Elle reste de dos, fuit lâchement. Quoi ? Toujours pas de réponse à cette question là. Il y a quelque chose, bien sur qu'il y a quelque chose. Quelque chose d'effrayant. Et de merveilleux à la fois. Quelque chose d'étrange qui la pousse encore et encore dans ses bras. Mais quoi ? Elle cherche la réponse au fond d'une tasse pleine de savon. Mais visiblement, rien n'est inscrit dans les bulles de savon. Kimiko pousse un soupir.

▬ ... Très bien.

Il fallait s'en douter. Elle s'attendait à quoi au juste ? Visiblement, il n'y tient pas tant que ça. Mais tenir à quoi ? Elle se sent idiote. Terriblement idiote. Et continue de frotter cette putain de tasse à la con. Elle serre si fort les dents que ses mâchoires commencent à devenir douloureuses. Impuissante, rien ne sort de sa bouche, elle n'arrive même pas à bouger de devant son évier. Allô Kimi, Ici la Terre ! Réagit !

▬  Si tu as besoin d'aid-... Je serais au repère. 

Elle voudrait hurler, mais pour dire quoi. Et toutes ces choses qui se bousculent au fond de sa tête.. C'est assourdissant. L'eau lui monte au yeux, sa poitrine est lourde, emprisonnée, écrasée par un poids énorme et invisible. Elle se rend enfin compte que la tasse est propre depuis longtemps. S'arrête de frotter. Son visage est figé dans une drôle d'expression. Quelque chose qui mêle culpabilité et colère.

▬  Bye. Et la porte qui se ferme.

Quelques secondes s'écoulent, lentes, silencieuses. La jeune femme fixe le fond de son évier et finit par donner un grand coup de pied dans la porte du placard de dessous l'évier. PUTAIN ! Elle laisse échapper une volée de jurons avec rage. Se rend compte qu'elle est en train de pleurer. Essuie ses larmes salées. Il faudrait se calmer. Alors elle s'assied, doucement, sur la banquette. Et reste là. Sans comprendre. Se demande ce qu'elle a loupé. Qu'est-ce qu'il vient de se passer au juste ? Personne peut lire dans ta tête Kimi.

Une heure assise là. Mais rien ne se calme. C'est encore pire à chaque secondes qui passent. Le vide est en train de la bouffer lentement. Et sa présence qui ne veut pas disparaître. Et ce poids qu écrase sa poitrine. Tant pis. Elle se lève, enfile un pantalon, des chaussures, sort en claquant la porte. Tant pis. Mais quel con ! Mais quelle idiote !

~o~o~o~

Ses pas résonnent dans l'entrée du repère. Elle cherche, des yeux, la silhouette familière. Ok, il faut qu'elle le retrouve. Elle en a besoin. Tourner au coin et...  Lui.
Au départ, elle marche doucement, se contient, essaie de rester calme. Mais..Hm. Ca ne sert plus à grand chose. Kimi accélère, un peu, encore et fini par balancer son poing en avant.
Qui vient s'écraser sur la mâchoire de Kamui.

Elle n'a plus tellement assez de force pour lui faire réellement mal. Mais ça la démangeait tellement. Elle secoue sa main, a certainement bien plus mal que lui en cet instant.  Ses yeux sont remplis de colère. Elle fixe un instant, les dents serrées. Se sent petite pour la première fois. Ridiculement plus petite que lui. Mais peu importe.

▬ POURQUOI T'ES PARTI ESPÈCE DE-

Serrer les dents. Elle s'en veut. Je voulais pas que tu partes. Et lui en veut.
Crier, insulter, frapper, expier sa propre bêtise en rejetant la faute sur les autres. Sa main la fait souffrir, elle respire difficilement et a envie de pleurer. Mais elle reste là, à le fixer, les yeux rougis. Pourquoi t'es parti espèce de sale con ?!
Il faut qu'elle comprenne ce qu'elle a tellement bien loupé. Qu'elle soit fixée une bonne fois pour toute. J'te laisserais pas t'enfuir cette fois. Et après, s'il le veux, il s'en ira. Tant pis pour elle. Tant pis pour moi.

▬ J'ai quel âge ?

La question se fracasse sur le visage de Kimiko. Elle n'a pas.. De sens. Pas de sens apparemment. Cette question est tellement idiote, tellement hors de propos. Et pourtant, elle reste là, suspendue dans l'air. Parce que Kimi n'a pas la réponse. Sa bouche s'entrouvre, elle se mord l'intérieur de la lèvre. Nerveusement.

▬ Mon nom complet ? Ma date de naissance ? 

Je.. Elle essaie mais. Non, toujours pas de réponse. Elle reste là, sa main serrée contre sa poitrine. J'ai merdé hein ? Elle qui pensait avoir touché le fond de l'idiotie, elle tombe encore un étage en dessous. Sa poitrine est comprimée, elle rêve d'une bouffée d'air, d'une aparté, d'un endroit où se cacher, lâchement. Un pas en arrière.

▬  Je viens, je t'écarte les cuisses et ça t'emmerde pas ? T'es au courant que si j'avais pas entendu ton prénom, tu resterais la gonzesse sans nom que je baise facilement ? 

Les mots sont rudes à entendre. Ils l'enfoncent un peu plus ba qu'elle ne l'est déjà. Son ego souffre. Sa fierté, sa sale petite fierté mal placée de sale petite peste. Elle souffre que ça sorte de sa bouche. Souffre du manque d'air, souffre de son idiotie. Une petite voix dans sa tête lui hurle de se barrer. Comme ça. Elle ferait une grimace, dirait un truc méchant, un truc déplacé. Puis elle se barrerait. La fierté serait sauve. La voix, satisfaite. Mais tout le reste... Tout le reste se noie déjà au fond de ses chaussettes. Alors à quoi bon ? À quoi se sentir aussi mal ?

Elle grimace. Serre ses poings si fort que les jointures de ses doigts blanchissent. Un pas en arrière. Dans sa tête, tout fuse à une vitesse hallucinante. Incapable de mettre les choses en ordre, elle est obligée de fermer les yeux. Ses lèvres restent closes. Elle se frotte la tête. Dépassée comme jamais auparavant. Plus encore que le jour de son réveil. Mais il a raison. Il a foutrement raison. Et ça la tue.

▬  Qu'est-ce que tu veux, vraiment ? 

Cette question.
Cette question.
Cette question.
Ça la dérange tellement qu'elle en devient pathétique. Qu'elle fait des gestes à répétition. Se frotter les yeux, se mordre la lèvres, fermer les paupières. Recommencer. Reprendre un peu le fil de ses émotions, calmer ce qui gronde partout dans son corps, se concentrer, vraiment. Répondre enfin à cette stupide question. J'ai été stupide. Ok, ça on sait.  Admettre sa faute, au moins à soi-même. Elle est déboussolée. N'importe quel mec aurait été ravi de la situation et elle pensait que ce serait facile, vraiment. Mais elle avait tort, il faut l'avouer. Répondre. Qu’est ce que je veux vraiment. La réponse lui paraît évidente. Toi. Mais comment peut-elle répondre ça... C'est... Non. Elle respire. Met du temps, c'est vrai, mais il lui faut bien ça. Pour ne pas répondre bêtement. Elle va faire l'effort, un seul effort, le premier réel effort depuis des mois. Et c'est dur.
Elle a oublié comment on faisait.. Comment on faisait pour être vraiment sincère. Comment lui dire. Au début, je ne voulais rien. Elle ouvre la bouche. Je.. La referme, souffle. Se frotte le bras et baisse la tête.  Dire la vérité, c'est bien plus compliqué que ce qu'elle croyait. Mais il le faut. Pour ne pas regretter plus tard. Pour que lorsque ça s'arrêtera, elle puisse se dire qu'elle a dit tout ce qu'elle avait à dire.

▬ Je – elle refrène un haut-le-cœur, se frotte encore le bras – veux... Je ne sais pas. Je veux que tu restes le matin, je veux savoir où et quand t'es né, je veux pouvoir oublier ta date de naissance et le faire exprès, je veux aller acheter des trucs à bouffer et me faire engueuler parce que j'en ai oublié la moitié, je.. - Elle n'arrive même pas à relever la tête tellement ce qu'elle dit lui semble idiot. Et plus ça sort, plus elle réalise à quel point elle s'est menti ces dernières semaines. - Je veux pas que tu t'en ailles.

Je veux pas que tu t'en ailles. Best réponse ever. Mais il a posé la question. Elle lui répond.
Et c'est tellement idiot, ça lui arrache un sourire désolé. Elle s'excuserait presque. Et au fond, elle le déteste tellement. Elle déteste cette façon sévère qu'il a de la regarder. Elle déteste ses yeux, sa bouche, ses mains, son visage, son corps. Elle déteste sa façon de parler, sa façon d'être.

Ses yeux sont rivés au sol. Elle déglutit, relève la tête. Enfin.

▬ Je veux que tu fasses partie de ma vie. Pour de vrai.

De façon très égoïste, je te veux toi.
Pour de vrai. Ne plus jouer à faire comme si. Mais au fond, elle a déjà commencé à se préparer à ce qu'il dise non. Comme beaucoup d'autre le ferait. Et c'est encore plus dur que de dire la vérité.

Une fois que c'est sorti, c'est trop tard. Mais un poids énorme vient de s'ôter de sa poitrine, elle arrive presque à respirer sans entrave. Elle arrive presque a se sentir bien. Si ce n'est sa fierté de créature sauvage qui vient lamentablement s'écraser par terre. Oui, elle l'avoue, elle éprouve quelque chose pour lui. Quelque chose qui la dépasse et qui la rend un peu dingue. Quelque chose qui la tient éveillé la nuit, qui la fait rire, qui la rend triste et qui s'amuse allègrement avec son coeur déjà mal en point. Il faut qu'elle s'en protège, elle ne sait pas comment. Et ses yeux, mon dieu, ses yeux. Pourquoi sont-ils si bleus ?

Et il ne répond pas. Et Le silence s'installe, elle a envie de reculer, encore, de s'en aller, loin, très loin. D'arrêter là, d'abandonner. De le laisser. Et même si ses traits s'adoucissent, même si elle ne peut s'empêcher d'être complètement charmée, elle voudrait fuir. Fuir. Fuir ce qu'il va dire, fuir comme d'habitude. Elle se perd encore une fois dans ses propres pensées sur sa propre petite personne, égocentrique au possible, en oublie le concerné. Elle rêve d'une bouffée d'air à nouveau, d'un moment sans que ses pensées ne se bousculent...

Ouch. Elle louche un peu, c'est trop près. La carte d'identité, les caractères, tout est un peu flou. Mais elle arrive à distinguer quelque informations. Kamui Hasegawa . 20 Mai 1990. Hokkaido. Elle plisse les yeux pour essayer de voir la photo correctement. Esquisse un petit sourire puis se ravise. Ce n'est pas le moment. Vraiment.

Elle l'aime bien cette photo, sincèrement.

▬ Je ne serais jamais ton petit copain.  - Ce n'est pas ce que je te demande.

Cette phrase est prononcée de façon si rude. Elle se raidit. Mais ce n'est assurément pas ce qu'elle vient de demander.

▬ Si jamais tu trouves quelqu'un d'autre avec qui tu t'envoies en l'air. Tu me préviens, est-ce clair ? 

Le paradoxe formé avec la phrase précédente la laisse perplexe. Vraiment, perplexe. Ses yeux se font ronds. Son cœur se calme peu à peu. Et son visage change. La colère. La revoilà. Celle qui la ronge tous les jours depuis plus de six mois. Cette horrible et monstrueuse colère. Elle se mord la lèvre inférieure, pour ne rien dire, ne pas lui faire remarquer qu'il ne peut pas lui demander ça comme ça, sans qu'il y ait quelque chose en retour.
Inexplicablement, ses yeux recommencent à déborder. Et elle retient un flot de larmes. Il comprendrait de travers. Elle ne veut plus jamais qu'il y ai des choses de travers.

▬ Maintenant tu m'excuseras, mais j'aime pas l'idée qu'une étrangère puisse me toucher.
…
Une longue minutes s'écoule. Lentement. Les secondes défilent devant les yeux de Kimiko.

▬ Ça n'avait l'air de te gêner tant que ça ce matin. Ou hier soir. Ou les autres fois. Ni la première en fait. N'oublies pas que je t'ai demandé avant d'agir. N'oublie pas que c'est toi qui est venu me chercher dans la réserve. N'oublie pas que je ne t'ai rien demandé. À aucun moment jusqu'à maintenant....

Elle croise les bras, sa voix tremble un peu, ses mains, ses jambes aussi. Mais rien n'est dit sur le ton du reproche. Ses yeux débordent, elle essuie nerveusement une larme, avant que le flot ne soit trop fort. Bordel, pourquoi est-ce que c'est si dur ? Si dur de dire non, si dur de résister à l'envie de se rapprocher. Cette envie qui la ronge douloureusement. Depuis le début. Depuis le premier jour. Pourquoi est-ce que ça fait si mal ? C'est quoi cette merde... ?

▬ Et maintenant je peux te dire que... Je m'appelle Kimiko Sasebayashi. C'est à peu près tout ce que je sais. Je ne me rappelle plus du jour de mon anniversaire. Je ne peux pas te dire le nom de l'endroit où je suis née. Je ne sais pas quel âge j'ai. Si j'ai des parents, s'ils sont vivants, s'ils sont morts. Si j'ai eu une enfance heureuse ou malheureuse. Donc, je suis une parfaite inconnue, même pour moi. – elle essuie des larmes, sa bouche, ses yeux, se noie – et je n'y peux absolument rien.

Absolument rien. Et ses larmes coulent lentement le long de son visage bouffi. Elle se rend compte que c'est la première fois qu'elle arrive à le dire. Que c'est dur. Pathétique. Elle hausse les épaules. Il prend ça comme il veut, tant pis. Elle ne peut pas faire mieux. Elle en est réellement incapable. Si elle le perd totalement aujourd'hui, elle pleurera. Mais avec le temps... On verra.

Enfin. Enfin au bout de tout ce temps, réussir à admette le perte de son passé. Enfin, peut-être, en faire le deuil. Et se reprendre. Elle essuie ses larmes dans son t-shirt, se félicite de ne pas avoir mis de maquillage. Ç'aurait été tellement pire.
Elle se dit que peu importe à qui elle le dit, ce soit à lui ou à quelqu'un d'autre, sa réaction aurait été la même. Parce que sa détresse ne change pas. Sa colère non plus. C'est tellement faux. Mais elle fait un pas en avant, pour grandir. Avancer.

Et maintenant que les choses retombent, Kimiko se rend compte que le monde autour n'a pas disparu pendant qu'elle pleurait sur sa vie perdue et sur celle à venir. Qu'une ou deux personnes l'ont certainement aussi vu dans cet état assez proche du pitoyable et ça, ça l'agace fortement. Perdre son sang-froid de la sorte dans le repère du gang, hm... Pas la meilleure idée qui soit.
Mais elle ne regrette pas vraiment, au moins maintenant, lui sait ce qu'il en est. Elle peut lui dire adieu sans regrets. Ses larmes cessent doucement de couler et elle étouffe un hoquet assez violent.  Mais lorsque ses yeux se reposent à nouveau sur Kamui et qu'elle le regarde véritablement... Ce n'est pas vraiment ce à quoi le jeune femme  s'attendait.

▬ ... T'oublies carrément où tu te trouves. Tu t'es bien informée lorsque tu as rejoins le gang ou ... ?

Elle reste interdite, ne sait pas trop s'il faut répondre ou si c'est rhétorique. Essuie une dernière fois son visage. S'il me demande de m'excuser, il peut gentiment allez se faire voir. Même si c'est lui ? Je ne sais pas. Elle s'attend à une réflexion cinglante dans le genre « tu me fous la honte, t'es pathétique, casse-toi » ou quelque chose de ce genre. Elle s'attend à une bonne grosse gifle verbale. Mais...
Il lui prend la main ,récupère, du sang et Kimi, perdue, déboussolée, à vif récupère sa main violemment avant lance un regard inquisiteur.

▬ J'vais confier ça à quelqu'un et on aura des résultats d'ici deux, trois jours. Si je retrouve tes parents, je fais ce que je veux de ton cul pendant une semaine.

Les yeux écarquillés, elle le fixe. Intensément. Passerait-il son temps à réfléchir au moyen le plus efficace de la déstabiliser ? Ses yeux font un aller-retour entre sa main et le mutant. Pas de casse-toi, pas d'adieu cinglants. Juste cette remarque déplacée. Qu'elle n'entend pas comme il le voudrait. Une semaine de plus, c'est toujours mieux que rien. Idiote. Idiote. Indécrottable idiote.

… Va-t-il vraiment m'aider à retrouver mes parents ?
Cette potentielle réalité la bouleverse. Elle chancelle un peu en essayant de ne pas recommencer à se donner en spectacle.
Mais elle a encore du mal à décider s'il fait ça pour elle ou juste pour qu'elle arrête de pleurer ? Ou peut-être est-ce juste une question de sexe ...

▬ Maintenant rentre et attends-moi chez toi. Sans tes vêtements, de préférence. 

Drôle de façon de dire « t'en fais pas, je reviens ». Mais elle prend, ça lui va. Étrangement, tout lui va maintenant.
Et après ces quelques mots, elle se rend compte qu'elle est fatiguée, épuisée même. D'avoir couru, d'avoir pleuré, d'avoir été autant bousculée dans son petit monde bien rangé.   Mais ça va. On peut dire que ça va. Elle reste encore un peu là, à fixer son dos. Sourit avec les yeux. Semble voir quelque chose. Quelque chose qui doit exister, elle le sait. Quelques secondes passe encore et elle finit par tourner les talons. Pas besoin de parler, il ne l'écouterait pas et de toutes façons, elle est vide de tous mots. Sa tête est pleine de questions auxquelles il va falloir réponde rapidement. Mais soulagée d'un poids immense. Et dire que même là, j'ai lutté pour ne pas le toucher... Quel sale enfoiré.