Cassandra se trouvait dans les bureaux de Color Street, feuilletant les informations sur les Universités de Tokyo. C’était aujourd’hui qu’elle devait partir à la recherche de nouveaux talents chez les étudiants en arts. Mais où aller ? Elle avait déjà été à Aoyama Gakuin et à Keio. Elle réfléchit un instant. Il devait bien en rester une qui n’était pas trop loin. Peut-être Waseda. Oui, c’était là où elle devait se rendre. Elle prit son sac à main, son GPS et elle descendit au parking pour prendre la voiture de l’entreprise. Pour une obscure raison, elle avait décidé de ne pas s’acheter de véhicule à elle. Ce serait pourtant tellement plus simple, mais la jeune femme était têtue. Lorsqu’elle avait décidé quelque chose, on ne pouvait pas le lui enlever de la tête. Du moins pas sans preuve tangible pour lui prouver le contraire de ce dont elle est si sûre.

Une fois à bord de l’automobile, elle mit le siège à la bonne taille et elle alluma la radio. Un morceau pop rock était ce qui passait à ce moment-là. La demoiselle se rappelait déjà l’avoir entendu quelque part, seulement, elle ne se rappelait pas où. Elle fonça les sourcils en essayant de s’en souvenir, mais en vain. La rousse se concentra à nouveau sur le travail qu’elle était venu faire du côté de Shinjuku, elle espérait pouvoir dénicher au moins une ou deux personnes. Elle savait que les jeunes étaient pleins de talents, cependant la plupart d’entre eux voulaient finir leurs études avant de se lancer dans une entreprise comme Color Street. Surtout que pour quelques-uns, c’était terrifiant de s’embarquer dans l’une des trois plus importantes entreprises de Tokyo. Et bien évidemment c’était beaucoup de pression. Enfin, ça l’était pour les autres, ça ne l’avait jamais été pour Cassandra. Sauf lorsqu’elle s’était retrouvée à devoir gérer CS presque toute seule.

Elle soupira. C’était du passé, c’était terminé maintenant que Monsieur Byakuya était revenu. Il ne les laisserait pas tomber, lui. Intérieurement, elle croisait les doigts pour que ce soit vrai. Bref, elle venait d’arriver devant l’université. C’était beau, c’était grand, c’était rempli d’universitaires et c’était surtout l’endroit où elle n’avait jamais pu mettre les pieds pour autre chose que pour le travail. Elle avait pourtant rêvé, il y a longtemps, de pouvoir intégrer une université. Seulement, elle avait dû prendre ses responsabilités au lieu de faire comme ses amies. On la guida jusqu’aux classes d’arts plastiques. Il y avait les œuvres des meilleurs élèves accrochés aux murs et l’un d’eux attira son attention. Elle s’approcha, l’observa et se tourna vers l’un des professeurs.

- Excusez-moi monsieur, pouvez-vous décrocher celui-ci ? Il faudrait que je voie la personne qui l’a dessiné.

L’homme le-lui tendit, puis il essaya de reconnaître la signature qui y était inscrite. Il lui dit que ce devait être un jeune homme du nom d’Haru Tendo. La rousse regarda le dessin encore une fois, c’était une ébauche de manga à ce qui lui semblait et ce jeune homme était vraiment très doué. Il manquait de mangaka à Color Street, il fallait qu’elle lui en touche quelques mots.

- Pouvez-vous le faire venir ?

Le professeur demanda à l’une de ses collègues si le jeune homme était en cours, mais celle-ci lui dit que ce n’était pas le cas, puis elle lui chuchota quelque chose à l’oreille. Il se tourna vers Cassandra, puis il lui dit qu’elle n’allait qu’à voir si il n’était pas dehors. Il lui fit une bref description de l’élève, puis elle sortit de l’immeuble pour se rendre dans ce qui ressemblait à un mini-parc à côté du bâtiment le plus à l’ouest. Elle aperçut une silhouette qui semblait correspondre à ce qu’on lui avait décrit alors elle s’approcha.

- Bonjour, pardon de vous déranger, mais êtes-vous monsieur Tendo ?

Le jeune homme en face d’elle confirma qu’il était bien celui qu’elle pensait. Alors c’était lui l’artiste qui avait fait ce dessin, il lui semblait être un peu plus jeune qu’elle. Mais peut-être qu’elle se trompait. Cassandra n’était pas très forte pour juger de l’âge des gens en fonction de leur visage ou de leur physique, puisque de tout façon, même avec cela on pouvait faire des erreurs. Par exemple, on lui avait déjà donné vingt-six ans alors qu’elle en avait vingt-deux. Certes ce n’était pas une grande différence, mais ça la gênait tout de même. M’enfin, elle préférait ça plutôt qu’on lui dise qu’elle ressemble à une gamine de seize ans. Elle n’avait rien contre les filles de cet âge-là – quoi que -, cependant comme elle devait se faire respecter au bureau, il fallait qu’elle n’ait pas l’air d’être beaucoup plus jeune que ses collègues. La rousse se reconcentra sur le jeune homme lorsque celui-ci lui demanda pourquoi elle avait son dessin et surtout qui elle était. La demoiselle rougit, elle avait oublié de se présenter pendant qu’elle était perdue dans ses réflexions.

- Oh, excusez-moi. Je suis Cassandra Davis, directrice des ressources humaines de Color Street. Vous connaissez notre entreprise, je suppose ?

Ce n’était pas une question stupide, il arrivait que certaines personnes soient trop concentré sur ce qui se passe dans leur quartier et qu’elles ne fassent donc pas attention à ce qui se passe ailleurs, pour savoir ce qui existe en dehors. Et comme Minato était à 13 km, les personnes vivant dans les environs ne s’intéressaient pas forcément à ce quartier. La rousse replaça une de ses mèches de cheveux qui était tombé devant son visage, puis elle continua.

- Et en ce qui concerne votre dessin, je l’ai parce que je trouve que vous avez du talent. Vous êtes encore étudiant, mais je me permets de vous offrir un poste de mangaka chez nous. Comme je viens de vous le dire, vous êtes doué, très doué et nous manquons d’artiste comme vous. Surtout qu’à ce que j’ai pu remarquer, vous avez votre style bien à vous. Alors que pensez-vous de ma proposition ?

Elle lui offrit son plus beau sourire et elle attendit sa réponse. Elle espérait qu’il accepte. Il fallait qu’il accepte. Color Street n’avait pas encore remonté totalement la pente depuis le départ de l’ancien PDG, ce jeune homme pouvait être d’une grande aide pour toucher le sommet du bout des doigts. Ce n’était certes pas à lui de faire tout le travail pour y arriver, mais ce serait l’une des personnes qui participeraient à cette remontée. Cassandra ne savait pas si le jeune homme la croyait ou pas, alors elle fouilla dans son sac à main et en ressortit une carte qu’elle lui tendit.

- Voici ma carte au cas où vous auriez des doutes quant à mon identité. Et il y a mon numéro si jamais vous ne voulez pas me donner de réponse tout de suite ou alors si vous avez besoin de renseignements quelconques.

La jeune femme lui sourit à nouveau, puis elle leva la tête. Une belle journée s’annonçait, il faisait beau et pour l’instant aucun nuage à l’horizon. Il y avait un petit vent frais, mais rien de désagréable. Peut-être que ce temps allait aider le jeune homme à accepter sa proposition.  Elle croisait les doigts. La rousse baissa la tête et regarda à nouveau Haru. Pourvu qu’il dise oui. Elle le détailla un peu, il avait les cheveux bruns ou châtain, elle n’en était pas sûre et il avait l’air un peu plus grand qu’elle. Mais ça aussi, elle n’en était pas sûre, puisqu’il était assis dans l’herbe.

Ce que la demoiselle craignait arriva. Haru refusa sa proposition à cause de ses études. Cassandra essaya de ne pas paraître déçue, mais au fond elle l’était. C’était encore un échec. Que lui arrivait-il en ce moment ? Voilà, elle avait maintenant l’impression que c’était sa faute si Color Street avait de moins en moins de personnes qui s’intéressaient à l’entreprise. Alors que c’était simplement que certains jeunes préféraient les études au monde du travail. Même si, le jeune homme en face d’elle s’apprêtait à lui faire une proposition et cela se voyait qu’il était navré de devoir décliner son offre. Il voulait travailler pour eux sans être salarié. D’abord, la rousse fut surprise par cette idée, puis elle se dit que ce n’était pas forcément une mauvaise idée. Il lui demanda ensuite s’il ne fallait pas qu’elle en parle à son patron.

- Hé bien écoutez, pour ce qui est du recrutement, j’ai carte blanche, mais pas pour ce que vous me proposez. Alors, j’en parlerai à mon supérieur et je vous tiendrai au courant. En attendant, j’ai une question à vous poser. Quel âge avez-vous ?

C’était peut-être une question indiscrète, mais elle lui trottait en tête depuis qu’elle l’avait aperçu. Et comme la jeune femme était plutôt franche, dès que quelque chose la gênait ou dès qu’elle voulait savoir quelque chose, elle était obligée d’en parler. La DRH posa son sac à main sur l’herbe et elle prit place à côté du jeune homme. Elle devait lui sembler bien étrange, cependant, une des raisons pour laquelle elle n’était pas partie, c’était qu’elle n’avait pas envie de rentrer. Elle irait faire son rapport, ou peut-être qu’elle irait voir une ou deux personnes talentueuses, seulement, elle n’en avait pas spécialement envie. Pour une fois que son travail n’était pas à son goût. Peut-être était-ce un peu d’amertume dû au refus de ce garçon. La demoiselle se tourna vers lui.

- Je ne voudrais pas vous déranger en essayant d’en savoir plus sur vous mais avez-vous un cours ces vingt prochaines minutes ?

Ce Haru l’intriguait vraiment. En fait, elle était de nature curieuse, alors lorsqu’elle faisait la rencontre de quelqu’un, elle voulait apprendre des choses sur cette personne. Cependant, elle avait un peu le sentiment de le déranger, après tout, il était entrain de dessiner juste avant qu’elle n’arrive. Et elle savait à quel point c’était énervant d’être dérangé en plein travail. Lorsque c’était son cas, elle s’énervait assez facilement. C’était surtout en général parce que ça criait dans les couloirs quand monsieur Byakuya était absent ou lorsque celui-ci était d’humeur à s’amuser. Même si en ce moment, c’était plutôt pour la première option. Cassandra s’allongea doucement, cet air frais et ce soleil lui donnait presque envie de faire une sieste. Elle ferma les yeux, puis elle sourit.

- Vous savez, vous avez de la chance d’être à l’université, je comprends que vous vouliez y rester. Je connais des personnes qui auraient aimées être à votre place.

Parlait-elle d’elle-même ? Un peu, certainement. Mais pas seulement, elle savait que des employés de Color Street n’avaient pas pu finir leurs études pour une raison ou une autre. Elle ouvrit les yeux et regarda l’arbre près duquel ils se trouvaient. Il était assez grand et il leur faisait un peu d’ombre, ce qui rendait la température idéale. La jeune femme se sentait bien, même si elle se trouvait un peu trop envahissante. Elle se redressa d’un coup, puis elle se tourna à nouveau vers Haru. Un air désolé affiché sur le visage.

- Désolé, je. Je me suis peut-être un peu trop détendue en votre présence. Elle rit ensuite, d’un rire joyeux et navré en même temps.

Haru lui apprit qu’il avait 24 ans. La demoiselle essaya de ne pas écarquiller les yeux. Elle ne pensait pas qu’il serait plus âgé qu’elle. Le fait qu’il pouvait avoir le même âge qu’elle avait été une possibilité dans son esprit mais là, elle ne s’y attendait pas. Serait-ce un compliment si elle le lui disait ? Peut-être, peut-être pas. Elle ne voulut pas prendre le risque alors elle ne lui dit rien. Le jeune homme lui annonça aussi qu’il était le premier de sa classe. Là par contre, elle ne fut pas plus surprise que cela. Elle avait vu l’un de ses dessins et cela lui avait suffi pour juger qu’il avait beaucoup de talent. À force de côtoyer des artistes, elle avait fini par avoir l’œil pour ces choses-là. Apparemment il était aussi ambitieux, puisqu’il comptait rester en première position dans sa classe. Il dit ensuite que c’était à son tour de poser des questions. La rousse le regarda intrigué en écoutant ce qu’il voulait lui demander. Sa dernière question la laissa perplexe et elle commença à arracher des brins d’herbes nerveusement.

- Alors pour commencer, j’ai 22 ans. Cela fait quatre ans que je travaille à Color Street officiellement. Je dis officiellement, parce qu’avant j’avais fait un stage d’une année. Et comme ça m’a plu et qu’ils avaient apprécié mon boulot, j’ai postulé et ils m’ont engagé.

La jeune femme s’apprêtait à lui répondre pour le verre, mais Haru reprit la parole peu avant. Il ajouta qu’ils pouvaient prendre ce verre dans un café ou dans un bar et que ce n’était qu’un rendez-vous professionnel. Cela se voyait qu’il avait paniqué, ce qui fit rire Cassandra. Ce n’était pas un rire moqueur, mais le fait qu’il veuille se rattraper alors qu’il n’en avait pas forcément besoin, c’était assez drôle.

- Ne vous inquiétez pas, pas besoin de vous justifier. Je ne fais rien ce soir, donc c’est d’accord. Et je vous laisse choisir l’endroit où vous êtes le plus à l’aise. Personnellement, ça m’est égal. En attendant, me laisseriez-vous vous regarder dessiner ? Elle désigna le début de dessin qui traînait à côté de lui. Je vous ai interrompu en plein travail, et ça m’intéresserait de vous voir à l’œuvre.

En quelque sorte, ça l’avait rassuré qu’il ajoute le fait que ce n’était que professionnel. Elle aurait été un peu gênée qu’il ne le fasse pas. Après-tout on ne l’invitait jamais à sortir. Enfin, les hommes ne l’invitaient jamais à sortir. Peut-être parce que les seuls qu’elle fréquentait, c’était les employés de Color Street et que ceux-ci la voyaient certainement comme une martyr. Ce qu’elle n’était pas vraiment, cependant elle était obligée d’être un peu sévère de temps en temps avec eux. En tout cas, en général, les artistes qu’elle rencontrait dans les écoles étaient trop occupés pour penser à lui faire la cour. Et cela ne la dérangeait pas du tout, c’était le contraire qui l’embêtait un peu. Elle n’en avait tellement pas l’habitude qu’elle risquait une crise de panique le jour où ça lui arriverait. Même si cette fois, elle avait su rester calme avant que le jeune homme ne se rattrape. La rousse remarqua qu’elle ne faisait même plus attention à Haru tellement elle était perdue dans ses pensées, alors elle se sentit obligée de dire quelque chose.

- Pour ce soir, vous n’êtes pas obligé de décider de l’endroit tout de suite. Il y a mon numéro sur la carte que je vous ai donnée avant donc vous pourrez me communiquer l’endroit et l’heure du… de… là où vous voulez aller, d’accord ?

Le mot "rendez-vous" ne voulait pas sortir de sa bouche, même si ce n’était que professionnel, cela lui faisait bizarre de l’employé. Elle aurait bien utilisé le mot "meeting", mais elle ne savait pas si les japonais connaissaient tous sa signification, alors elle avait juste fini sa phrase autrement. La demoiselle leva à nouveau les yeux vers le ciel, c’était si rare qu’elle se retrouve en dehors des bureaux et qu’elle puisse admirer le ciel et profiter d’un temps comme celui-ci. Un sourire satisfait apparu sur son visage, elle était heureuse de cette journée, même si elle n’avait pas réussi à embaucher le jeune homme qui se trouvait avec elle.