« Okay, douche, on y va, doucement, tranquille, easy, voilà. »

Tu le soutiens, te glissant sous son épaule, le guidant pas à pas vers la salle d'eau. C'est rare. C'est rare et c'est flippant. Tu flippes, parce qu'un Traüma faible et fiévreux n'est pas un Traüma que tu comprends. T'essaies. Mais t'as toujours peur de le casser, avec ta violence qui suinte de tous les pores de ta peau. Alors tu lui parles encore, d'une voix que t'espères tranquille et assurée, tu le touches, tu l'effleures, tu lui montres que t'es là, que c'est réel, que les cauchemars auront d'abord à faire à toi avant de l'engloutir. T'as de la chance qu'il voit flou. Sinon, il verrait la peur qui te bouffe les tripes et te tord le coin des lèvres.

Tu le laisses s'appuyer contre le mur en carrelage le temps que t'allumes l'eau. T'hésites. Du froid, du chaud ? Il est brûlant de fièvre, faut l'refroidir. Mais le froid, c'est trop violent. Tu veux pas qu'il casse, putain.

T'optes pour un tiède frais, mais pas trop. Faut pas que Traüma se casse. Te retournant, tu le vois affalé au sol, s'étant laissé glisser contre le mur, la joue appuyée contre le carrelage froid. Tu t'accroupis en face de lui et attrapes son visage entre tes paumes. De tes lèvres, t'effleures son front, ses paupières, ses joues, sa bouche. Il faut qu'il t'aide, il est trop grand pour que tu puisses le bouger s'il s'évanouit. Alors tu lui parles encore, tu le convaincs de se redresser. Tu le désapes, ressers ton t-shirt autour de sa main pour que l'eau ne s'infiltre pas trop dans la plaie et tu le conduis sous la douche. T'y vas avec lui, tu t'en fous d'être trempé ou d'avoir froid. T'y vas avec lui parce que c'est comme ça que vous fonctionnez, ensemble. Tu choppes du shampoing dont t'aimes bien l'odeur et tu vous assieds, toi contre la paroi de la douche, lui contre toi. Tu lui dis qu'il y a la place, qu'il peut s'allonger et étendre ses jambes trop longues. Une fois sa tête contre ton torse, tu te décides à laver ses cheveux neiges. Gaffe à pas lui en foutre dans les yeux.

L'eau le rince et vous trempe. Tu passes tes bras autour de lui et tu te penches à son oreille.

« Traüma ? Eh, si tu veux t'endormir, tu peux. Je sais que j'ai dit que j'te ferai vivre l'enfer mais c'est faux. Tu peux dormir si tu veux, j'tiendrai les cauchemars à l'écart. »

Putain Rei, mais t'es con ou quoi ? Il se calmait enfin mais non, fallait que toi et ton ivresse vous combiniez pour le pourrir. Alors tu t'excuses. A répétition, tu t'excuses. Pardon, non, désolé, j'te laisse pas Traüma, j'suis là, j'ai rien dit, j'ai rien dit, t'iras nulle part, j'irai nulle part, on va rester là, t'inquiète, désolé, j'suis désolé, calme toi. Tu le sers contre toi, t'embrases sa tempe, tu sens même pas tes os gémir sous sa force ni ta peau brûler là où il la déchire. Parce que t'es parti loin. Ton corps s'occupe de Traüma, ta voix lui murmure de s'apaiser, ton esprit se tient debout dans le sommeil d'Aiko.

Tu observes les lieux. Le cauchemar règne, puant la peur, ruinant l'inconscient d'Aiko, la tuant en chimère. Tu l'observes un instant, tu le vis, tu le comprends. Et de gestes tout aussi doux que ceux que tu prodigues à Traüma, tu l'apaises. Tu te saisis du rêve néfaste et noir né du pouvoir de Traüma et forcé en elle. Tu apaises son sommeil. Tu t'arranges même pour qu'elle s'imagine avoir rêvé l'attaque du grand blanc, la faisant rêver, pour de vrai cette fois, d'une fin de nuit torride et jouissive. Tu sais comment rendre la chose réaliste parce qu'après tout, t'as connu ça aussi. Et t'espères qu'elle se contentera de ça à son réveil.

Tu reviens au présent, cessant ton dédoublement de consciences. Tu trembles. Contre coup de merde. Tu commences à te sentir nauséeux mais tu respires, lentement, de grande goulées d'air, et ça passe à peu près. Tu caresses la tête de Traüma, appuyant ton visage dans ses cheveux trempés.

« Faut pas qu'on reste ici, Traü'. Viens, on rentre à la maison. Okay ? »

Tu le laisses faire parce que l'énergie qu'il te reste, t'en as besoin. Tu le laisses faire parce que t'en as marre de ses conneries, de ses crises à la con, de l'inquiétude qui va avec. Tu le laisses faire parce que t'en as pas envie mais que t'as plus la force de lutter. Alors t'espères au moins que l'échange violent qui s'établit sous le joug de ses lèvres en vaut la peine et qu'il va l'aider à se ressaisir. Parce que t'en as marre, putain.

Tu finis par lui attraper les épaules et par le pousser, reprenant ton souffle, l'eau te martelant le crâne, emplissant tes yeux, ton nez, ta bouche. Tu t'en écartes, passes la paume de ta main sur ton visage histoire d'y voir plus clair. Tu t'étais dit que tu le lâcherais pas. Tu t'étais dit que tu l'aiderais au mieux. Mais t'es pas fidèle. T'es pas loyal. Rien en eux, tout en toi, comme dirait l'autre. Tu te redresses, éteint l'eau. Tu coupes tout. L'eau, les baiser, les caresses, les étreintes, les murmures d'encouragement. Tu chopes une serviette et l'enroules autour du corps rapetissé de traüma minuscule, le frictionnant pour le sécher et le réchauffer.

« On peut pas rester là, c'est trop dangereux, surtout si t'es comme ça. Tu te sèches, tu t'habilles, j'appelle un taxi et on se casse, pigé ? »

T'es froid, t'es sec, t'es cassant. Tu te détestes mais t'y peux rien. S'il faut, ça l'énervera. Ca le mettra en colère contre toi et alors il oubliera les cauchemars pour te démonter la gueule à la place. Peut-être que ce sera plus efficace que ta douceur faiblarde.

Tu sors de la salle de bain, restant en vue du grand blanc quand même, et tu vous appelles un taxi. En cet instant, tu remercies le gars ayant inventé les ascenseurs. Jamais tu réussiras à lui faire monter ou descendre des marches.