Il a faim. C'est normal d'avoir faim. C'est logique, humain et terriblement chiant quand on a oublié de faire les courses. Puis les pâtes et les riz blanc, ça va un moment. Non, il avait faim de nourriture. De la vraie. De la bonne avec des légumes, de la viande rouge, du poisson fumant, un dessert aux fruits orangés et juteux. Il avait faim de couleur et de sophistication. D'un bon truc quoi. Sauf qu'il était pas doué en cuisine. Ça finissait toujours par avoir un aspect écoeurant, quelle que soit la bonne volonté qu'il y mette. Soupir. Il fantasme sur des plats de gourmets, des denrées fabuleuse. Un sourire s'esquisse sur ses lèvres et il s'étire sur son matelas usé. Il fait faim. Il gargouille.

Son sourire s'estompe, il finit par ne plus avoir l'air de rien ressentir. Il fixe le plafond. Il fronce les sourcils et se redresse sur son séant, se passant une main sur le visage. Non, ça n'allait pas. Rester allongé à ne rien faire et entendre son estomac se ronger lui-même faute d'avoir quelque chose à se mettre sous la dent, ça n'allait pas. Il devait bouger. Il devait manger. Il devait faire quelque chose de ses mains. Alors, par réflexe, il se lève, se gratte une fesse et choppe son paquet de cigarette avec le pied. Il s'en tire une, la coince entre ses lèvres et observe la pièce à la recherche de son briquet. Il râle, retourne tout, ne le trouve pas. Il finit par hausser les épaules et trouve une boîte d'allumette. Il en craque une, observe la flamme un instant et allume sa tige. Il se gratte l'épaule. Il ouvre la pseudo baie vitrée et va s'accouder à la rambarde rouillée du balcon monoplace, observant la rue en contrebas. Ça grouille de vie, ça crie, ça rit, ça parle et... Bordel, ça mange. Les odeurs de cuisine montent dans les airs, viennent chatouiller ses narines, titiller ses papilles.

Frustration.

Alors il jette sa clope, chope sa veste et sort. Il pourrait s'arrêter au premier resto venu, il pourrait s'asseoir à la première échoppe ambulante mais non. Monsieur préfère marcher, loin, longtemps, là où la bouffe est bonne, belle et riche. Là où le hype du hype, c'est payer une blinde pour une crevette si petite qu'on ne distingue même plus sa tête de son cul. Il part en chasse de bouffe, chasseur urbain, chasseur flemmard, charognard qui attend que tout lui tombe tout cuit dans la bouche. Putain d'hyène.

Il trouve son bonheur, enfin. A quelques rues du passage piéton plus célèbre que Molière et Shakespeare réunis, il entre, assied son royal postérieur sur un tabouret au comptoir et commande des rangées de plats tous meilleurs les uns que les autres. Tous excessivement chers. Et vu sa gueule de camé, ses mains et ses avant bras tachés de graisse noire, et ses fringues d'une banalité affligeante, il comprend le regard inquiet du patron. Il comprend qu'on puisse le prendre pour un type capable de manger sa pitance, se lever et se barrer sans gêne. Il l'a déjà fait, c'est pour ça qu'il en a la gueule. Mais non, cette fois, il va faire mieux. Cette fois, Rei va appeler Traüma.

« Eh, fils de chienne. J'ai besoin de fric et je peux pas bouger pour venir te l'soutirer par moi même. Donc sers toi de tes jambes de merde pour l'apporter. T'as vingt minutes. Tu sais à quoi ressemblent tes rêves quand j'suis pas d'bonne humeur. »

L'autre bâtard lui a raccroché au nez.
Il éclate de rire en plein milieu du restaurant. Un rire qui pourrait être contagieux s'il ne venait d'un type contrastant salement avec la clientèle propre sur elle et réservée. On sait jamais, rire avec lui pourrait attirer son attention sur nous, non, chérie, crois moi, ce genre de dingue, tu veux pas qu'il te remarque, c'est ça, baisse les yeux et tout ira bien. Le patron du bar s'inquiète un peu plus et Rei n'en rit que plus fort. Puis il ferme sa gueule d'un coup, mangeant ses petits plats bien bons. Traüma, Traüma, Traüducul ouais. Travailler, tsk. Comme si les activités de cette baltringue pouvaient être considérées comme du travail. Connard de géant. Alors ouais, peut-être qu'il ramenait plus de fric, ouais, peut-être que Rei bouffait toujours trois fois l'équivalent de son poids par repas mais putain, jamais, jamais, Traüma ne réussirait à lui foutre les foies. Et c'est ça qui le fait rire.

Son téléphone sonne. Il le sort, patiente, patiente, patiente jusqu'au dernier moment puis se décide à décrocher, engloutissant une boulette de poulet marinée. Il mastique, fort, gluant, bien dégueulasse, nourrissant le tympan de son interlocuteur des doux bruits de ses réjouissances gustatives.

«  T'es où, crevard ? »
« Dans ton cul, juste comme tu l'aimes ma salope. Sinon, il se pourrait que je sois aussi chez Yakusabe, mais ça, c'est une autre histoire mon gars. Le seul moyen pour toi d'le savoir c'est de courir sur tes putain de jambes trop longues. Il te reste seize minutes, cours Forest, cours. »

Il tente d'entamer la discussion avec son voisin mais celui-ci se détourne, paie précipitamment et s'en va. Il tente d'entamer la discussion avec le serveur mais celui-ci évite désormais sa zone, faisant un large détours. Il tente de discuter avec l'une des patronnes derrière le bar mais celle-ci l'ignore totalement. Il pue de la gueule ou bien ?

Vu qu'il s'emmerde, il commence à graver le bois du comptoir à l'aide d'un tournevis qu'il avait dans la poche. Rien de spécial, juste des lignes jetées au hasard les unes sur les autres. Ca, ça devra bien les forcer à lui parler, ne serait-ce que pour lui dire d'arrêter de jouer au apprenti Michel Ange et de dégager. Mais non, ça non plus c'est pas dans leurs cordes apparemment. Rei finit par dégager tout ce qui se trouve devant lui et pose sa tête sur ses bras pliés. Connard. Il allait le démonter cet empaffé d'asperge trop grande.

Un éclat blanc lui titille la rétine -comme c'est joliment dit-et le blond se redresse paresseusement, digestion oblige. Il plisse les yeux puis sourit. Se levant, il sort du restaurant, s'étonnant à peine du mouvement de recul d'un couple qui sortait au même instant, ignorant le serveur qui lui courut après en criant au vol. Il s'arrêta devant Traüma, obligé de lever le menton pour voir sa gueule de cachet d'aspirine, et il lui piqua sa clope, tirant une taffe.

« La note est sur le comptoir. J't'ai mis des trucs de côté à emporter si jamais t'as la dalle. Et mon salaud, tu vas pas fermer l'oeil de la s'maine. »

Il ricane, tirant sur le filtre de sa clope volée. La main au cul ne le fait même pas bronché, question d'habitude. Avec Traüma, c'est l'amour fou, faut l'savoir. Entre les poings dans la gueule, les coups de pute qu'ils s'envoient à la tronche avec leurs pouvoirs, les soirées où ils s'emmerdent comme deux porcs et qu'ils décident de s'organiser un plan à quatre avec les voisines de palier de Traüma, non, franchement, ils s'aiment. Comme on aime un cafard qui squatte la cuisine mais qu'on ne tue pas parce qu'on aime bien le torturer par-ci par-là en le foutant dans le micro onde ou le bac à glaçon après lui avoir arraché les antennes.

Traüma ressort, chargé des divers denrées épargnées par Rei, et se plante à côté de lui. Rei tourne la tête pour lui rendre son regard, clope au bec. Il sourit.

« Non, jouer aux cons avec toi c'est inutile, on sait très bien qu'c'est toujours toi l'plus con des deux, mon gars. Nan, c'qu'on va faire c'est que je vais te trouver une nouvelle cliente bien sympa et bien riche, pour me faire pardonner de l'interruption. Puis vu que c'est moi qui vais t'la trouver, tu m'fileras la moitié du fric quand t'auras fini de la trouer, géant de merde. »

Je souris. Ouais, t'inquiète mon grand, j'vais bouger. J'vais bouger et tu vas m'suivre comme une ombre trop grande parce que l'air de rien, malgré tes airs de cannibale névrosé et ta sale aura patibulaire, j'suis encore la seule personne qui arrive à te supporter. Crevard. Je termine ma clope retrouvée avec patience, commençant à déambuler dans la quartier. J'observe les gens, les gens nous observe. Nos cheveux trop clairs, Traüma minuscule avec sa taille de girafe. C'est vrai qu'on détonne. Et que l'autre asperge se remarque de loin.

« Loué soit mon cul d'empereur alors. Tiens, celle là a pas l'air mal. Reste en retrait sinon tu vas lui faire peur, avec ta sale gueule de grincheux. »

Je jette mon mégot, ignorant royalement les jurons et malédictions que Traüma marmonne dans mon dos et jette sur ma descendance jusqu'à la quinzième génération. Je préfère m'approcher d'une jolie femme, probablement plus âgée que Traüma mais bien conservée, en train de boire en terrasse, profitant des quelques rayons de soleil passant entre les immeubles. Et portant des fringues de luxe. C'est à ça qu'il faut les repérer. Gaffe aux imitations. Je mets en place sur mes lèvres mon plus charmant sourire et l'aborde avec grâce et aisance. Racoler des gens est devenu une habitude parce que l'autre empaffé est trop violent et trop mal dégrossi pour le faire sans déclencher une crise de larmes. A se demander comment il est devenu escort le mec. Elle me propose de prendre un verre avec elle, Miss Aiko, alors je m'exécute. Et je lui tiens la jambe comme un vrai gentleman pendant une demi heure, laissant mijoter Traüma, construisant en elle un besoin nécessaire, flirtant comme un porc. Être direct, souvent, ça vaut mieux que quinze mille détours. Alors une fois qu'elle est bien braisé, je me penche à son oreille et lui murmure des mots salaces qui la font rougir et glousser à la fois. Les femmes riches s'ennuient, souvent. Un rien les satisfait. Je me relève, la salue, et retourne voir ma pute.  

« T'as du cul, Traü, c'est une chaudasse. Elle m'a dit d'aller la retrouver à cette adresse. » Je lui lis le nom écrit sur ma paume. « Tous les deux, au fait. Elle aime être observée par un tiers pendant qu'on la culbute. Bonjour, appelle moi tiers. »

Je souris, un sourire de merde, mi-figue mi-raisin. Moi non plus j'aime pas mater. Voir ce connard en action, ça me fout toujours la trique, j'y peux rien, c'est ma queue qui réagit toute seule, comme le bon chien d'garde qu'elle est et qui se fout au garde à vous dès qu'elle repère un beau cul ou d'la bonne baise. Elle veut en être, m'voyez. Et Traüma baise bien, après tout. Allez, ressaisis toi gars.

« Toi et ton sens de l'orientation foireux, putain, comment tu fais quand j'suis pas là... On peut y aller direct. Je sais pas quand elle nous rejoindra pas contre. Au pire, on s'en tape mec, elle nous a filé carte blanche avec le room service. On pourra pétave l'argenterie. »

Je m'approche de Traüma et glisse mes mains dans les poches de sa veste. Vides. Tch. Je tente les poches avant de son jean, y égard mes ongles alors que je le griffe à travers le tissu. Vides bis. Putain de bordel. Je tente, enfin, les poches arrières. Aha ! Dans l'une d'elle, un paquet de clope. Laissant mon dextre dans la poche vide pour lui masser le cul histoire de m'occuper la paume, je tire un filtre avec mes dents et replace le paquet où je l'ai trouvé. Là. Puis je recule et allume la tige de nicotine, tirant une taffe bienfaitrice.

« C'par là, connard. Qui m'aime me suive. »

Non, laisse moi ma clope sale chien, je l'aime, elle. Elle m'occupe la bouche. Puis merde, nervermind. Son patin, je l'avale et le savoure, comme un truc un peu dégeu' mais infiniment addictif. Entre ses lèvres, je laisse mon souffle. Fils de pute. La clope me paraît bien fade maintenant.

Sans répondre, sinon par un ricanement bref alors que j'avise les gens outrés par notre comportement en plein milieu d'la rue, je nous amène à bon port en un rien de temps. L'hôtel est luxueux. C'est ça qu'est bien avec Traüma. On finit toujours dans des endroits aussi chics que j'suis pouilleux. Ça se voit d'ailleurs tellement à ma gueule que la sécurité se sent obligée de s'avancer à notre rencontre pour nous demander la raison de notre visite. La signature de Miss Aiko au creux de ma paume les persuade de nous faire la haie d'honneur. Pour un peu, ils nous baiseraient les pieds. Hall d'entrée, accueil, ascenseur à petite musique d'ambiance casse couille. Couloir. Porte. Suite royale. Eh ben mon vieux.

A peine le pas de la porte franchi, je sors mon fidèle couteau d'un geste souple, en sors la lame et plaque Traüma contre un mur. Il a beau être aussi grand qu'il est con, à force de me battre avec sa sale gueule, je sais m'y prendre. Sourire aux lèvres, un bras en travers de son torse pour le garder en place, je descends la pointe de ma lame contre son entrejambe, l'appuyant légèrement sur son jean alors qu'elle court de haut en bas contre sa trique en devenir. Rictus. Je souffle contre sa gorge.

« Plus jamais tu fais ça, sale pute. Pigé ? Faut qu'tu gardes ton gun chargé pour l'autre pouffiasse. »

Je sais ce qu'il veut, ce salopard. Je sais c'qu'il attend. Je sais de quoi il a envie. Tu sais qu'tu l'veux aussi. Ça commence à te remonter le long de l'échine, une vibration ténue, brûlante, à l'instar de ton souffle qui s'échoue contre la peau de ce fils de pute. Il sait que j'suis dingue. Il sait que j'suis l'seul assez dingue pour ça. Il sait que, contrairement aux autres, j'le prends, lui et ses cauchemars, lui et sa cruauté, lui et sa connerie, que c'est même grâce à ça que j'reste planté là, à vriller mon regard au sien. C'est uniquement parce qu'il est tout ce qu'on peut détester dans un être humain que j'en suis là. Alors tu te hausses légèrement, parce ce connard de géant est trop grand, et tu expires contre ses lèvres sans briser le contact entre vos prunelles. T'expires une haleine chaude, un sourire ourle le coin de ta bouche. T'effleures la sienne de tes lèvres. Tu l'pousses à bout, continuant de l'haranguer avec la pointe de ta lame toute en délicatesse. Un jour, j'lui planterai mon couteau dans les couilles. Mais pas aujourd'hui.

Je lui refuse le baiser qu'il espère. J'lui refuse ma bouche, mes lèvres et ma langue, comme un connard. A la place, tu éloignes ton couteau de ses bijoux de famille et tu soulèves son t-shirt de ta main libre. J'abaisse ma carcasse contre son plexus, glisse mes lèvres sur sa peau. Je descends encore, lui repeins le bas ventre à coup d'expirations lourdes, ardentes. Je m'arrête au dessus de son jean et je souris contre son derme. Tu sors les crocs et lui mords violemment l'aine, à sang par endroit. Y'croyait quoi ce connard, que t'allais le sucer ? Nan, c'est pas dans tes projets. Le rendre dingue ouais. Le foutre à tes pieds ouais. L'entendre te supplier d'arrêter de jouer avec lui ouais. Là, peut-être, possiblement, tu considérerais cette éventualité. Tu le mords encore, crispant tes doigts contre sa chute de rein, l'amenant vers toi pour mieux pouvoir lui ruiner la peau. J'vais te bouffer, Traüma.  

J'décide que c'est suffisant. Alors je me relève. Mes genoux grincent, ces salopiots. Je jette un coup d’œil goguenard à l'autre enflure, ne cachant en rien l'effet que cette session murale a eu sur moi. Et j'le laisse en plan, entrant dans l'appart' pour en faire le tour, ouvrant le mini bar, choppant les bouteilles, en descendant quelques unes avant de les balancer par terre, vides.

« T'es déjà v'nu ici, non ? Ils avaient l'air de te connaître en bas. Tu t'es déjà tapé cette vieille peau ? »

Azy, c'est ça, parle Rei, blablate, fais comme-ci de rien pour l'énerver et l'tenter comme tu sais si bien l'faire. Espèce de chienne.

T'as entendu, Rei ? Tu dois pas boire comme ça. C'est pas bon pour la santé, l'alcool. Et faut manger cinq fruits et légumes par jours. Et boire de l'eau, beaucoup d'eau. Tu ris comme un gosse. Allons, Traüma, tu sais bien, toi, que le seul biberon que Rei goulotte doit être à minimum 45 degrés. Et on ne parle pas ici de degrés Celsius, nan nan. Ton monologue interne te fais marrer, p'tit con, alors tu continues de ricaner comme l'abruti que tu es, laissant l'alcool te brûler l’œsophage, l'estomac et le peu de santé qu'il reste à ton foie. Tu préfères brûler de l'intérieur à cause de l'alcool que d'être incendié tout entier à cause de Traüma.

Tu te postes devant les baies vitrées, observe la vie qui fourmille, là, en contrebas. T'observes, tu t'interroges. Si je pétais la vitre, combien de personnes seraient blessées à cause des morceaux de verres aiguisés comme des poignards leur tombant sur le coin d'la gueule ? Tu appuies ton front contre la vitre. C'est frais. Ça te fait du bien. Tu te retournes et observes Traüma, cette fois ci. Si je le balance contre la vitre, est-ce qu'il la ferait exploser ? Tu te poses sérieusement la question. Un pas, deux, trois. Tu t'arrêtes en face du cauchemar. Ce serait si simple, franchement, de te foutre à califourchon sur lui, de lui baiser la bouche et le corps, de donner satisfaction à la soif que tu lis dans ses prunelles. Ce serait si facile. Et c'est pour ça que tu n'le fais pas.

A la place, tu t'assieds par terre. Tu te cales entre ses jambes et appuies ton dos contre le fauteuil. Ta tête tombe sur le côté, s'appuyant contre l'un de ses genoux, et tu continues d'observer cette putain de baie qui t'hypnotise. Tant de possibilités, tant de scénarios possibles. T'as envie de tous les essayer, un à un, de tous les ruiner, de tous les massacrer, toutes les possibilités imaginables, comme en rêve, quand tu peux te permettre de faire, d'effacer et de recommencer différemment.

« Eh, connard, tu penses que si j'cours assez vite et que j'frappe assez fort j'peux passer au travers de ces putains de fenêtres ? »

Tu te poses trop de questions, tu t'inventes trop de réponses. T'en as marre de l'invention. Du concret. Tu veux du concret. Mais t'es pas suicidaire.

Tu fais la moue, regrettant de ne pas être immortel, ça ç'aurait été un pouvoir utile, et tu laisses ta tête partir en arrière, la posant sur l'assise du fauteuil. T'observes Traüma par en dessous, étudiant son expression à l'envers. T'es curieux. Avec lui, t'as toujours l'impression d'être un gosse. Peut-être la faute à vos 10 piges d'écart, mais aussi parce qu'il te laisse te comporter comme un chiard sans t'en tenir rigueur. Et ça, c'est plutôt cool. Tu lui souris.

« Eh, Traüm'. Tu s'rais triste si j'passais par la fenêtre ? »

Faut bien passer le temps en attendant votre cliente.

Traüma a toujours eu des paluches trop grandes. Du coup, quand il lui prend l'envie de te papouiller les cheveux, tu trouves ça hyper agréable. Cette fois là n'fait pas impasse à la règle. Tu pourrais limite t'endormir comme ça. Mais t'es bien trop tendu pour dormir. Bien trop à vif. T'as chaud, merde. Le chauffage doit être à fond dans ce putain d'appart', tu vois pas d'autre explication. Ou plutôt tu ignores l'explication de deux mètres qui laisse courir ses lèvres sur ton front. Ca t'amuses, hein mon connard ? de l'entendre aussi nerveux, de le voir aussi énervé par les connerie que tu déballes, presque apeuré. Allez, avoue, t'adores le faire souffrir.

Ses lèvres, tu les trouves bien trop volatiles. Bien trop prudes. Alors tu lèves les mains et tu agrippes sa tignasse de neige sale, glissant tes doigts dans ses mèches avec délice, t'y accrochant avec force. Tu le tires vers toi. Zappe le front, enculé. Tu l'écrases contre tes lèvres et tu l'embrasses comme le sauvage que tu es, lui volant son souffle, son agacement et tout le reste. Tu baises ça bouche comme personne ne sait le faire, il te le rend comme personne n'a jamais su te le rendre, et, quand enfin ton souffle te fait défaut, tu tires sa tête vers l'arrière, à peine, juste de quoi laisser l'air passer. Tu souris contre ses lèvres, haletant.

« J'crois que j'ai entendu la porte s'ouvrir. Tu vas pouvoir lâcher la bride à ta frustration. »

Tu te laisses tomber au sol, t'allongeant sans gêne. T'es bien par terre. C'est stable, propre, net. Pas comme toi. Mais du coup, t'aimes bien. Yep. De ta position, tu regardes Traüma se redresser et se figer. Putain, mec, allez quoi, fais ton job, saute lui dessus. Mais non. Traüma reste figé, observant Miss Aiko comme s'il ne la voyait pas, ou comme s'il voyait un fantôme, tu hésites encore. En tout cas, ce n'est pas son attitude habituelle envers une cliente. Ca t'inquiète presque.

Râlant dans ta barbe, tu te relèves lentement, faisant gaffe à ton équilibre précaire. Tu te postes à côté de Traüma, bien trop conscient de sa présence mais faisant comme de rien. Tu observes Miss Aiko. Elle a mis de la musique d'ambiance, un truc jazzy qui te pète les couilles. Et elle se désape en rythme. T'admires la vue. Faut dire qu'elle est bien foutue, la MILF. Puis tu vois Traü' qui phase toujours, alors tu prends les choses en main.

Tu t'approches de votre cliente, glissant ta main à sa taille, jouant avec la limite de son boxer en dentelle.

« Veuillez excuser Traü', il a rarement l'occasion de voir un corps aussi sublime que le votre dans son métier, ça le chamboule. »

Très sourire et très pro, tu te glisses dans le dos de la femme, accompagnant son corps dans une danse des plus sensuelle alors qu'un morceau lent et parfait s'accorde à vous.

Tu jettes un coup d'oeil à Traüma. Un coup d'oeil brûlant. Tu te mords même les lèvres. Dans ta tête, tu t'imagines danser avec lui. Mais putain, c'est à lui de la baiser, pas à toi. C'est lui la bête de sexe, pas toi. Qu'il s'attende pas à ce que tu fasses son boulot à sa place. Même si, au fond, tu préférerais qu'il envoie paître son job et qu'il s'occupe de ta sale gueule à la place. Mais ça, tu l'admettras jamais, pas vrai, Rei ?

Eh bah voilà, t'vois que c'était pas compliqué, connard. C'est ce que tu te dis quand tu vois TRAÜMA majuscule s'emparer de Miss Aiko avec une grâce aliénée et l'allonger sur le lit. T'as cru saisir qu'ils se connaissaient. Le sourire de Traü', le sourire de trop, c'est ça qui t'met sur la piste. Dès que tu l'vois, ce putain de sourire, tu sais que t'as plus qu'à aller errer dans la suite, voler quelques trucs de valeurs, prendre une douche et te barrer. Tu sais que Traüma se fera un max de fric parce que t'as su ramasser sur le trottoir la seule meuf capable de le faire sourire comme un être humain normal. Mentalement tu t'envoies des fleurs. T'es bon, putain.

Mentalement, tu bouffes les fleurs. T'es con, putain.

Tu les laisses à leurs affaires. Probable que l'Aikonasse, toute à ses retrouvailles, oublie que t'es censé faire parti d'la partie, en tiers voyeur. Pour tout dire, tu penses pas en avoir très envie de toute façon. Trop lent, trop chiant, traü' bandant.

Alors tu t'balades. En bruit de fond, des respirations qui s'échappent de la chambre, hachées, volatiles, lourdes. Des glissements furtifs, peau contre peau, mouillés, lèvres contre lèvres, gémissant, ah, Traü' s'fout enfin au boulot. Tu t'balades. Au passage, tu choppes encore une bouteille. Quitte à rien foutre, autant rien foutre les mains pleines. Tu zieutes, t'ouvres des portes de placards, des tiroirs. Tu voles rien, parce que rien ne t'intéresse. T'as l'attention qui s'estompe et qui s'égare, se perdant dans les mélodies corporelles qui emplissent l'appartement de plus en plus fort. Tu te dis que c'est quand même chiant sur les bords, ce bruit de fond digne d'un porno.

Enfin, putain, tu vas dans la salle de bain. Tu claques la porte d'un coup d'talon, tu descends une gorgée qui t'arrache et poses la bouteille sur un meuble. Une douche géante, avec des tas de jets de partout. Le pied. Tu te désapes. Tes fringues finissent en un tas méticuleusement plié au sol derrière la porte et toi, tu finis sous la cascade d'eau brûlante. T'oublies ta vie pendant un moment. Tu t'laisses ramollir dans la torpeur moite et humide, tu t'laisses entraîner, loin, et tu finis par tomber dans un rêve. Un rêve au hasard, qui t'attends juste au coin d'la conscience d'un quelconque individu. Et tu planes, et tu t'enivres, et tu fuis, loin, tellement loin.

La peau de tes doigts et toute fripée quand tu reviens à toi. C'était un hit express, un dose minimale, palliant à un autre besoin désormais mis en sourdine. T'as les mains qui tremblent.

Tu t'rhabilles sans te presser, omettant ton t-shirt parce que tu crève toujours de chaud. A la place, tu le balances autour de ton cou et il se mange les gouttes tombant de tes épis. Par contre, t'omets pas la bouteille. Tu bois, again. Trop, again. T'as les membres gourds, mais ça n'a rien à voir avec l'alcool. Non, au contraire, lui il t'aide à te foutre à coup de fouet au cul pour te remettre dans les rails. C'est la faute à ton pouvoir qui te pompe tes réserves, qui te creuse les yeux et les joues, qui t'enlève la maîtrise de tes dextres. Tu t'assieds dans le fauteuil que squattait Traüma quelque demi-heure plus tôt. Des cris, des plaintes, des gémissements tantôt suaves tantôt étouffés, tout s'échappe depuis la bête à deux dos sur le lit. Mais toi, tu fixes la baie vitrée.

Tu te sors une clope, maîtrisant de ton mieux ton putain de corps traître. Tu l'allumes, tires un taffe. Tu te demandes si Aiko te libérera de tes obligations de présence après le premier round. Tu rentrerais bien pioncer un coup.

T'observes la fumée qui s'échappe de ta clope avec une attention légèrement grise. Tu te dis que t'es pas un chien, que c'est faux, que tu vas pas rappliquer dans cette putain de chambre juste parce qu'on s'enquiert de ta présence. Tu te le dis, mais tu le fais pas, débout alors même que l'appel s'évanouit dans l'air. Tu te le dis, encore, et tu râles contre ta volonté inexistante, alors que tu t'arrêtes dans l'encadrement de la porte, observant traüma minuscule qui semble perdu et prêt à s'effondrer. Il a plus rien du grand méchant loup. C'est plus qu'un animal aux aboies.

Tu t'approches et tu vas te poster en face du grand requin blanc échoué sur le rivage. La claque que tu lui colles résonne dans la pièce trop grande. La caresse que t'y appliques juste après ne fait aucun bruit. Tu attrapes son menton, tu l'obliges à te regarder. Faut que tu le refoutes à la mer, ton requin.

« Eh, j'suis là. Tout va bien. Tu respires, calmement, et tu t'occupes de rien. T'as confiance ? T'as confiance. T'inquiète. J'vais nulle part. »

C'est comme de s'occuper d'un enfant. Tu passes une main dans ses tiffs pour le rassurer et pour le clamer, tu lui parles sans arrêt de tout et de rien, tu le distrais du rivage pour qu'il se concentre sur l'océan. T'avises sa main qui pisse le sang et qui tâche le sol. Tu laisses ta clope terminée tomber dans la petite flaque et elle émet un grésillement agréable. T'attrapes son dextre entre les tiens, comme pour l'étudier. Toi aussi, t'es un requin, après tout. Le sang, ça te fout une dalle meurtrière.

« Tu sais que t'as une artère qui se termine dans ta main gauche ? Si jamais quelqu'un te coupe le mauvais doigt, tu peux te vider de ton sang. C'est un clodo qui m'a raconté ça, mais vu qu'il avait plus qu'le pouce à sa main gauche, ça d'vait être un mytho. »

Tu lèches la plaie, la nettoyant avec ta salive, le seul désinfectant à ta disposition, puis tu attrapes le t-shirt autour de ton cou, l'en retire, et en fais un bandage de fortune autour de la paume déchirée. C'est précaire. Mais ça devrait contenir le saignement. Tu relèves la tête, observes Traüma. Tu te demandes s'il va mieux. Tu sais jamais trop quand il redevient lui même.

« Tu veux prendre une douche ? Tu veux rentrer ? Tu veux dormir, manger, faire un truc ? Si ça peut t'aider à choisir, la douche est vraiment orgasmique ici. »