─Les jambes sur le mur, le dos contre le matelas, les cheveux pendus à ton crâne penché vers le sol, tu regardes ta chambre vide de présence. Tu aurais pu passer une éternité ainsi, s'il n'y avait pas eu ton sang qui remontait jusqu'à ton cerveau. Tu te lèves, faisant pression sur tes paupières fermées de deux de ton pouce et ton index droits alors que la chaleur commençait à t'étouffer. Plusieurs heures déjà étaient passées et tu perdais le fil, chaque fois un peu plus, de tes pensées inhabituellement mal organisées. Un soupire t'échappe.
─Tu te perdais dans la solitude. Te perdais dans la monotonie et le mépris. Tu avais peur. Peur de toi, des autres, de ce qu'ils pouvaient te faire, te dire, à quel point ils pouvaient t'influencer. C'était la seule raison de ton enfermement. La seule raison de ta solitude, raison pour laquelle tu restais infiniment torturée par la distance que tu t'imposais, à toi et aux autres.

─Sauf qu'aujourd'hui était différent, parce qu'aujourd'hui, tu avais versé une larme. Symbole de ta saturation, symbole qu'il en était assez de cette situation. Alors tes yeux s'étaient braqués sur ton portable. Il y avait une personne que tu devais voir.. Parce qu'il y avait une personne à qui jamais tu n'avais donné signe de vie. Comme tous les autres que tu connaissais ou que tu connais toujours, ceci dit.
─Tes doigts voyagent sur les touches de ton portable et tu le laisses, l'abandonnes sur une armoire de ton appartement, retournes à tes occupations de chaque jour, sans te soucier de la réponse du destinataire. Il viendrait. C'était certain.

─C'est pourquoi tu t'étais réveillée, ce matin-là, t'étais douchée, maquillée et habillée de manière classique, comme d'habitude. Toujours assez jolie, toujours assez soft, car tu savais que tu n'avais besoin de plus. Alors d'un pas hésitant mais enjoué, tu t'étais dirigée vers le point de rendez-vous, un sourire lourd de mots illuminant ton visage.
─Et comme prévu, il était là. En t'avançant, c'est un sourire angélique que tu lui adressas dans la plus douce de tes démarches alors que sans hésiter, il t'enlaça. Cela faisait longtemps. Si longtemps, que personne n'avait osé te frôler si ce n'était pour brusquer ta pudeur.

─ Je ne suis pas sûre d'être capable de t'en donner, malheureusement.

─Alors que ton souffle séchait tes lèvres entre-ouvertes, tes yeux se plantaient dans les siens. Criminel. Décidément, c'était peut-être une mauvaise idée de décider ainsi de sortir de ta bulle. Tu baisses les yeux mais gardes ton sourire alors que tu cherchais tant bien que mal les mots qui pourraient expliquer le pourquoi de ton absence. Sauf que toi-même, tu n'étais pas certaine de ce que tu avais vécu. Même si vécu n'était pas un mot approprié.

─ Je suis certaine d'être morte, je l'ai senti, je me suis vue, mais.. Un sourire nerveux décore tes lèvres alors que tu avances, supposant qu'il te suivrait sûrement. ─ Je me suis réveillée, sur un lit d'hôpital, alors que les médecins m'avaient classée comme décédée. Je ne sais pas ce qui est arrivé et je m'en moque, sincèrement. En voyant mon nom dans la rubrique nécrologique, j'ai pris peur et.. C'était de plus en plus bizarre, ce que tu disais, et tu en prenais conscience. Tu comprendrais s'il fuyait en courant. Un soupire t'échappe alors que tu t'évertues à maintenir ton sourire. ─ J'ai abandonné l'idée de reprendre contact avec toi comme avec ceux que je connaissais.

─Doucement, tu relèves la tête vers lui, un peu hésitante. Cela faisait longtemps, maintenant, que tu avais décidé de rester morte dans la tête des gens. Au plus tu parlais, au plus tu te disais que c'était une erreur, de te montrer à nouveau.. De lui prouver que tu n'étais pas normale, comme, finalement, beaucoup de gens. De toutes façons, avec toutes ces histoires de mutation, ta résurrection n'avait alarmé personne.

─ Désolée, j'aurais peut-être pas du te demander de venir..

─Et il parle. et parle. et parle. parle encore. puis encore. et tu ne comprends rien. Peut-être plus parce que tu n'avais pas envie de comprendre que parce que tu en étais dans l'incapacité, ceci dit. Le fait était pourtant là; tu n'avais pas suivi ce qu'il te disait. Alors tu hochais bêtement la tête, alors que tu laissais tes yeux voyager dans la foule, détailler chacun des passants sans t'y fier plus que ça. Un sourire se dessine sur tes lèvres quand ton regard croise des enfants se mêler les pinceaux avec leur barbe à papa.

─ Et je suppose que tu as beaucoup d'événements à me raconter depuis ce temps.
─ Hein de quoi ?

─Tu le regardes, les sourcils levés, sans te rendre compte de la vulgarité de tes propos et tu finis par étouffer un bref rire. Merde. Tu évites son regard un instant, alors que tu finis par te passer une main dans ta tignasse rousse. Accélérant le pas, tu cherchais quelque chose à dire, pour effacer l'évidence même que tu ne l'écoutais pas et tu te pinças les lèvres nerveusement. Tu t'arrêtes d'un coup.

─ Une barbe à papa. Tu le regardes, lui souris. ─ Je veux une barbe à papa.

─Tu avais l'air d'une gamine, mais c'était toujours mieux que de ne rien dire, pas vrai ? Au moins tu avais retrouvé tes moyens, et tu pouvais continuer à te triturer les doigts tranquillement. Tu avances vers le stand, d'un pas rapide, prenant la main du jeune homme, sans lui laisser le choix de venir ou non. Il te suit, un point c'est tout. Aha, si tes élèves te voyaient, de quoi donc aurais-tu l'air..

─Et c'est justement là qu'une petite te regarde et te sourit. ─ Madame Shimizu ! Madame Shimizuu ! C'est votre amoureux ? Eh. La mauvaise blague.. Tu soupires puis souris alors que ton visage change du tout au tout. De la gamine gênée, tu étais passée à la maman douce et accueillante. Même si elle n'était pas ta fille, que tu n'étais pas sa mère, c'était tout comme. Tu lui expliques calmement que comme elle, tu avais parfois besoin de te changer les idées après toute une semaine de travail, que Disneyland était parfait pour ça et surtout, que seule, ça aurait été moins rigolo, tu comprends ? La petite approuve d'un large mouvement de tête et s'éloigne pour retourner vers ses parents qui t'adressent un bref regard avant de disparaître dans la foule.

─ Je.. Tu regardes Aomine, oses un sourire gêné. ─ Je suis institutrice primaire, voilà.

─Et encore une fois, tu avais l'air d'avoir changé de la maman à la gamine et ton sourire éclatant revenait à la charge, comme pour le supplier. Tu voulais cette barbe à papa. Non mais vraiment, c'était pas une blague et pas juste pour changer de sujet, tu avais vraiment envie de ça.

─ Et ma barbe à papa, alors ?

─La barbe à papa à la main, tu grimaces lorsqu'il s'approche pour t'en voler alors qu'il en avait une à lui. Prête à sortir les crocs et les griffes, tu te contentes de lui en prendre presque le double, un sourire satisfait sur le visage. Tu es le génie du mal uhu. Il n'y avait rien à raconter, rien qui ait changé, tout était comme avant. Comme ça avait toujours été. Tu n'es pas morte, tu en as juste réchappé, tu n'étais pas une mutante, tu ne le serais jamais. Lui-même le disais: tu n'as pas changé.

─Perdue dans des songes incertains, tu te contentes d'un faible sourire. Est-ce qu'Aomine avait changé, lui ? Est-ce qu'il était différent d'avant ? Que faisait-il dans la vie ? Où était-il lorsque l'accident s'est produit ? Tes pas s'arrêtent net. Les yeux figés, le regard perdu, les lèvres entre-ouvertes et la peau qui pâlit, tu passas une main sur le haut de ta poitrine, sentant ton cœur la perforer. Tu déglutis, te mords la langue.

─ Attends.

─Tu ne voulais pas lui poser la question, tu ne voulais pas savoir ce qu'il était, tu ne voulais rien savoir du tout. Sauf que c'était trop tard; les mots te brûlaient déjà les lèvres et arrachaient ta gorge. Tu ravales ta salive. De ta main libre, tu viens chercher la sienne, exerce de tes doigts une faible pression.
─Ne pose pas la question, Kaede, tu n'as pas envie de savoir. Oublie. Fuis. Fuis et oublie.

─ Aomine, est-ce que tu..

─Merde. Tu serres les dents, lui lâches la main. La terreur envahit tes membres et tu commences à paniquer. Pourtant, dans la paralysie, tu souris, sans le voir. Tu n'avais même plus la force de lever les yeux. Tu étais pitoyable. Tu soupires, prends un bout de ta barbe à papa, pour te calmer sans doute.

─ Oublie, c'était idiot.. Tu ne peux pas être mutant, de toutes façons, pas vrai ?

─Rire nerveux.
─Tu étais vraiment pitoyable.