La nuit était propice à la chasse. La pluie ne le gênait pas, si ce n'était qu'il était détrempé. Il n'attraperait pas un rhume, donc rien à craindre sinon l'inconfort des vêtements lui collant à la peau. La soirée était jeune, les proies de choix se faisaient rares, cependant. Il jugeait que c'était la faute de la mauvaise température, mais tôt ou tard, les bars se videraient, les clientèles se disperseraient et s'isoleraient. Le chasseur se mettrait en branle à ce moment. C'était un jeu qu'ils faisaient, une façon de s'entraîner sur des êtres vivants, de la véritable expérience plutôt que de la simulation. Le but était simple. Celui qui rapportait la proie avec le plus de valeur remportait le tournoi. Ce qu'il gagnait? Rien de plus que le respect des autres et peut-être quelques tournées au bar le lendemain. Mais ce n'était pas vraiment le but recherché par la manoeuvre. Instaurer un climat de terreur non plus. C'est pourquoi ils devaient laisser leurs proies vivantes, si possible. Dans ce cas-ci, l'expression «si possible» est très subjective et diffère entre chaque individu. Pour Junpei, c'était un acte inutile, surtout pour ce genre d'activités. Non pas que les remords pouvaient ressurgir à tout instant - il n'en ressentait que très rarement les remords d'avoir tué quelqu'un et se trompait souvent entre ça et des brûlements d'estomac-, mais bien parce qu'il ne voyait pas l'intérêt de se salir les mains sur une activité récréative. Ses idéaux restaient pourtant fermes et extrémistes, juste qu'il avait appris à reconnaître le bon moment pour user de violence.

Il n'était pas encore vingt-trois heures que les rues se désertaient déjà de plus en plus. La pluie n'était pas un facteur propice à la chasse à l'homme, mais le mutant n'était pas inquiet. Il y avait toujours des gens à l'extérieur, peu importe l'heure du jour ou de la nuit. Il n'avait qu'à être patient. Dans tous les cas, il n'avait rien de mieux à faire, justement. Changeant d'abris de temps à autre, il pistait les humains, se mettant dans la peau du chasseur. Sans doute que l'activité n'avait rien de bien moral, mais il était au-dessus de ça. Il se sentait fort, puissant, maître de son élément. Le simple fait d'avoir le choix et le pouvoir qu'il imposait aux autres était d'un jouissif presque malsain. La loi du plus fort était un feeling excellent. Il se demandait d'ailleurs pourquoi on ne lui avait pas parlé de ça auparavant. Sans doute parce que la société cherche à éviter ce genre de choses.

Puis, la chance était d'autant plus intéressante maintenant qu'un nouveau groupe avait fait savoir qu'il s'en prenait aux gens comme lui. Les traqueurs, qu'ils s'appelaient. C'était drôle, de voir que des êtres humains voulaient jouer à son jeu, maintenant. Apparemment, ils voyaient plus haut que leurs propres moyens. Junpei eut un frisson à cette pensée. Oh, il les attendait. Le jouissif devenait extatique et l'envie de chasser s'en voyait renouvelée.

Son téléphone montrait vingt-trois heures et plusieurs minutes déjà. Les rues étaient bien plus vides qu'il n'y paraissait et la pluie devenait plus contraignante pour son état d'esprit qu'il ne l'aurait pensé. Il désirait à présent la chaleur et d'être au sec. Mais pas avant d'avoir trouvé quelque chose de satisfaisant. Son regard perçant scruta les environs, perché sur le toit d'un édifice. Le ciel assombri par les nuages n'aidait en rien et les seules lumières de la ville manquaient trop souvent les recoins sombres et propices aux belles trouvailles. Si la vision n'était cependant pas son allié, son ouïe vint aussitôt rattraper le coup.

Un coup de fusil. Dans cette nuit noire et à une heure pareille. Le mieux, c'était à peine à quelques blocs d'ici. Quelques enjambées des blocs et il y serait déjà. C'est ce qu'il fit d'ailleurs. Peut-être qu'il pourrait prendre le gagnant et l'emmener comme trophée. Ou mieux. Peut-être que c'était ces fameux traqueurs. Sans perdre de temps, il observa la scène du mieux qu'il put avec sa hauteur comparée à la leur. Trois individus. Des hommes qu'il imagina. Deux plus petites personnes, dont une au sol. C'était quoi? Une séance de viol? Rien de bien intéressant au final. Non, Junpei n'était pas un héros et volait encore moins au secours de la veuve et de l'orphelin. Sans doute qu'elles l'avaient cherché, en jouant aux agaces avec leurs décolletés et leurs trucs de femmes. Des seins, que ça s'appelait. Il alla rebrousser chemin. Sauf qu'il fut retenu par quelque chose. Si c'était des mutantes, elles aussi? Non, si c'était le cas, elles se sortiraient de leur merde toutes seules. Être mutant était une chose, mais il fallait toutefois être en mesure de prouver qu'on était plus fort que les humains. En même temps. Il pleuvait et il n'avait rien trouvé pour la chasse. C'était sans doute mieux que de faire rire de lui par les autres. N'allez pas croire qu'il faisait ça pour leur venir en aide. Tss.

Étirant son bras, une masse noire la recouvrit en peu de temps, formant une lame à l'extrémité de la forme. Des filaments rouges parcouraient la structure qui semblait vivante, pulsant au même rythme que des battements de coeur. Malgré l'aspect relativement repoussant, il adorait son pouvoir. Obtenant un visuel sur celui qui s'apparentait être le tireur, il se laissa tomber en chute libre du toit de l'immeuble adjacent, lui sectionnant le bras d'un seul coup sec. Une fois au sol -l'impact ayant crée un nuage de poussière tout autour-, il étouffa les cris du premier en lui coupant la gorge et s'occupa d'un des complices à ses côtés en enfonçant sa lame organique au dans son ventre, lui pilant sur les pieds pour remonter pour lui séparer la tête en deux sur le sens de la longueur en deux parties presque égales. Enfin, pour le dernier, son bras restant se muta rapidement en une série de tentacules qui eurent tôt fait de le saisir par le cou et la taille avant de le fracasser à plusieurs reprises sur les murs de la ruelle. Junpei était satisfait. Il avait le sens du spectacle et il aimait ça. Sans doute que dans la cohue, les deux jeunes n'avaient pu que saisir l'essence de ses gestes, sans être exposées à l'horreur, mais cela n'avait guère d'importance. Le mutant reprenant une forme plus humaine, il se tourna vers la blessée et sa soeur. Il resta embêté quelques secondes. Elles se ressemblaient vraiment.

«Est-ce que c'était des traqueurs?»

Honnêtement, c'était la seule chose qui le préoccupait réellement. Aucune résistance, aucune difficulté. C'était embêtant. Puis il s'attarda vers celle qui était au sol, apparemment blessée. Enfin, une rafale de questions.

«Est-ce que ça va bien? Elle a pas l'air de bien aller, l'autre. Oh et vous m'en devez une bonne, maintenant. J'espère que vous en êtes conscientes. Bon, c'est pas tout, mais j'ai des trucs à faire. Bye.»

Il allait partir. Ce n'était plus de son ressort, maintenant. Il s'arrêta cependant. Est-ce que ça valait toujours le coup de les prendre pour otages le temps de quelques heures?

Juste un petit merci de rien du tout? C'était ça sa récompense? Dégueulasse. Jouer les héros du dimanche n'était pas sa tasse de thé à la base, alors quand il daignait le faire, il s'attendait qu'on lui déroule le tapis rouge et les confettis. Rien de moins. C'était l'étiquette, non? L'autre qui osait lui en demander encore, en plus. Pitoyable. La loi du plus fort. C'était ce qui régissait cette ville, à présent. Si elle était incapable de retirer une simple balle de son épaule, qu'allait-elle faire contre un véritable ennemi. Il la jugea sévèrement, d'ailleurs, lorsqu'elle vint poser sa petite main sur ses vêtements. Avait-elle vu ce qu'il avait fait aux trois hommes? Il était en mesure de la sectionner ce bout de chair en dix morceaux égaux avant même qu'elle ne comprenne ce qui lui arrive. Alors, n'était-elle même pas un peu inquiète de ce qui pouvait lui arriver?

Peu importe. Ce n'était pas important. Elle n'était rien d'autre qu'une statistique, à qui il avait offert la grâce d'un sursis. Mais quelque chose le retint alors. Certainement pas le remord, il n'en avait rien à faire. Son réel problème est qu'il devrait rentrer bredouille de sa chasse, par leur faute, d'ailleurs. Il avait agi dans l'unique but de se distraire et de les impressionner. Le fait de voir qu'elles n'accordaient que très peu d'attention au carnage qui les entourait le frustra un peu. Tant pis. Mais son problème demeurait, encore. Il n'avait aucune proie à montrer. Elles devraient faire l'affaire.

Ainsi, il reconsidéra sa position. Il pouvait les aider, aucun problème. Cela dit, il n'agirait pas par pure générosité. Ce n'était pas le type à faire cela de toute manière. Faisant face à la blessée, il se pencha pour la regarder de plus près, la poussant un peu pour qu'elle le lâche. Il considéra la blessure au travers de ses vêtements et se résigna à leur venir en aide. Il avait que ça à faire, d'abord.

«C'est bon, j'habite pas trop loin. Je vais vous aider. Mais en échange vous devrez faire quelque chose pour moi. Et vous êtes mieux de ne pas refuser. Vous n'êtes pas en position de le faire, de toute façon.»

La marche aura été courte, pour lui du moins, car il refusa catégoriquement de traîner la blessée. L'opérer était suffisant, déjà qu'il n'était pas médecin. La pluie toujours battante avait réduit son moral, mais quelque chose l'attendait chez lui. La chaleur d'une douche et des vêtements secs. Cette seule pensée valait la patience perdue à encaisser chaque goutte de pluie qui martelait la capuche de son sweatshirt. Ils arrivèrent à son bloc appartement une quinzaine de minutes plus tard, dans un quartier tout aussi peu recommandable. On voyait que l'édifice servait surtout à venir en aide à ceux qui avaient peu de moyens, mais il n'était pas incommodé par cette réalité outre mesure. Sans doute que les filles vivaient dans la richesse et la luxure, du moins les filles qu'il croisait ici n'avaient pas les moyens de se payer ce genre de fringues. L'intérieur était à l'image de l'extérieur. Sobre, pas très beau, surtout qu'il y avait des restants de bouffe chinoise sur la petite table dans le coin de l'une des trois pièces de l'habitation. Un téléviseur avec un écran géant, cependant, contrastant parfaitement avec le reste plutôt sobre. Dans la chambre, un lit qui sentait l'homme et des draps qui traînaient au sol. Il n'avait pas pris la peine de fermer la télé et on pouvait entendre une émission de variétés où des participants se faisaient flageller avec des anguilles. Rien de surprenant, donc. Une fois entré, il s'empressa de retirer ses vêtements détrempés et indiqua où se trouvait son lit.

«Dépose-la sur mon lit et prépare-la pour que je puisse lui enlever ce truc. J'en ai pas pour longtemps.»

Car bien assez vite, il se retrouvait flambant nu devant les deux jeunes femmes, sans aucune gêne apparente. Il n'allait pas faire de harcèlement sexuel, mais une bonne douche chaude s'imposait pour lui. Quelques minutes, rien de plus. Finalement, au bout d'une demi-heure, il en ressortit, une volute de condensation s'échappa de la petite salle de bain. Il en ressortit, serviette autour de la taille et une plus petite autour de cou.

«Bon, faudrait lui enlever ce truc, pas vrai? C'est quoi vos noms, d'ailleurs, que j'aille pas à référer à vous comme étant uniquement des femelles?»

J'ai décidé de diviser l'action que je voulais faire en deux, pour pas faire juste un long post D:.

Il grogna. Si seulement il avait su que les jeunes étaient aussi pudiques, il ne les aurait pas ramené. Non pas qu'il espérait une récompense en bonne et due forme...mais un peu, en fait. Soit, il comprit malgré lui qu'il n'arriverait à rien avec les jumelles, surtout avec la plus foncée des deux. Déjà qu'elle n'arrivait pas à le regarder alors qu'il était habillé, il ne voulait pas imaginer son air lorsqu'il aurait dévoilé son atout le plus précieux. Bon, voyant qu'elle détournait le regard, il alla se changer, pour un boxer propre et un jogging usé, mais confortable. Le tout devant elle, toujours. Après tout, il n'en avait pas grand chose à foutre. Peut-être que c'était une première pour les deux, mais il ne tenait pas inexpérience avec la gent masculine suffisamment en estime pour préserver la première fois qu'elles verraient un homme nu -et ça, c'était seulement si elles voyaient un autre homme de sa trempe de leur vie-. Junpei s'approcha d'elles pour regarder la blessée. Le coup avait été tiré à bout portant et la balle s'était enfoncée assez loin. Trop pour qu'il ne puisse la retirer avec son pouvoir sans endommagé son corps davantage. Malheureusement, il n'avait pas les outils nécessaires pour performer une chirurgie dans les règles de l'art. Parce qu'en temps normal, il n'aurait jamais eu besoin de s'opérer avec les moyens du bord, son corps s'en chargeant pour lui. Toujours avec une serviette autour du cou, il s'épongea le visage (toujours torse nu, d'ailleurs), s'adressant à sa soeur.

«Dans quelle connerie je viens de m'embarquer, moi. Bon, va falloir trouver ce qui faut pour enlever ça. J'suis pas un médecin, donc j'ai pas nécessairement tout ce qui faut.»

Soupirant, il détourna le regard de la noire. Tiens, ses vêtements semblaient secs. Avaient-ils eu le temps de sécher durant sa douche? C'était improbable, non? Surtout qu'il pleuvait des clous à l'extérieur? Il ne leur en tint pas rigueur, ayant bien d'autres problèmes sous les mains. Il se dirigea alors vers le frigo pour chercher l'objet le plus important pour ce qu'il allait accomplir. Une bière, pour lui. De marque inférieur, certes, mais il aimait le goût du bon marché. Il s'y était surtout habitué, en fait. Jetant son bouchon dans la poubelle, il remarqua que l'évier était mouillé alors qu'il ne l'avait pas utilisé depuis très longtemps. Est-ce que c'était elle qui l'avait ouvert? Dans quel but? Pour un verre d'eau, peut-être... Il commença à faire des liens entre cette eau et le fait que leurs vêtements soient secs. Si elles étaient des mutantes, tant mieux. C'était ça de moins à se préoccuper. Il avala une bonne gorgée de la boisson houblonnée, expirant de bonheur par la suite. Trouver ce qu'il fallait pour l'opérer, alors... Dans la pharmacie, il trouva un fond de bouteille de chloroforme et un pansement. Ça pouvait servir. Dans l'armoire à alcool, de la vodka. Il aurait préféré un truc plus fort, mais ça devrait faire l'affaire. Dans son coffre à outil, une paire de pince allongée, pour jouer dans des trucs électriques. Ramassant son bagage d'objets, il l'apporta dans sa chambre où la blessée semblait un peu plus mal en point.

«Bon, c'est tout ce que j'ai pour lui enlever la balle. Ça va faire mal, très mal, je t'avertis tout de suite. Mais je peux l'endormir avec ce truc sur un chiffon. Honnêtement, j'ai pas envie d'avoir une gamine qui gémit alors que j'ai une paire de pince qui joue en elle, mais la décision t'appartiens. Tu veux que je l'endorme ou pas?»

Lui laissant un instant pour y réfléchir, il alluma la hotte du four pour y fumer une cigarette sans empester tout l'appartement. Il en profita pour allumer un rond du poêle au maximum. Il faudrait chauffer la paire de pince, pour éviter qu'elle aille une infection. Ça serait bête.

«Alors, c'est quoi ta décision? Fais vite, j'ai pas que ça à faire, de jouer les premiers répondant pour une gamine qui aurait dû rester chez elle au lieu de fréquenter les mauvais coins.»

Ah les jeunes. Ça trouve toujours le moyen de chialer sur tout et pour n'importe quoi. Ça faisait remonter les souvenirs, le lycée. Ils s'en foutaient, ces gosses, quand Junpei était tout seul. Quand il chialait parce qu'il n’arrivait pas à les suivre dans une séance de sport. Parce qu'il était trop faible. Quand il pleurait parce qu'on se moquait de sa maladie, aussi. C'est drôle, parce qu'aujourd'hui, leurs corps n'ont pas encore été retrouvés. C'est comme une situation inverse, vous voyez? Enfin, lui ça le soulage. Il appelle ça le karma, pour les autres plutôt que pour lui, parce qu'il n'a pas vraiment le besoin de se déculpabiliser. Il les a tués de sang-froid pour lui avoir offert une enfance bercée par l'ignorance et les railleries de ses pairs. Bref, de les voir toutes les deux ça lui rappelait ça. C'était dérangeant, un peu, surtout qu'il avait été assez généreux de sa personne pour leur venir en aide. Il bâille, désire en finir le plus vite possible avec tout ça. Elle parle de récompense, comme si c'était le temps, ce à quoi il répond:

«L'argent m'intéresse pas. J'vais avoir besoin de vous pour un truc tout à l'heure et vous avez pas le choix de dire oui. Vous allez voir, c'est pas si mal, surtout si vous coopérez.»

Il s'arrête un instant, comme conscient pour la première fois de ce qu'il leur ferait faire. Le jeune avait fait beaucoup de conneries dans sa vie, des choses qui en mettraient plusieurs au tapis sous le poids de la honte et de l'immoralité. Si pour lui tout cela n'était que de nouveaux acquis qu'il pouvait se permettre, il se demandait en même temps ce que leur quotidien pouvait avoir l'air comparé au sien. Deux chemins fondamentalement différents, sans doute. Dans la cuisine, il joue avec la paire de pinces sur le rond de poêle, le métal qui sans devenir rouge, était très certainement brûlant à ce moment-ci. Torse nu, sa serviette autour de cou, il attendait que les petites se fassent une idée de ce qu'elles voulaient tandis qu'il profitait de sa vue magnifique sur le bâtiment d'en face. Au final, il n'aura jamais été normal, Junpei. Passer de l'enfant malade à l'adulte violent, un bond prodigieux qui lui fit sauter à peu près toutes les étapes importantes de sa vie. Son adolescence passée à fantasmer en silence sur ce qu'il aurait pu être, sa première fois aura été un viol. Il n'a jamais connu l'ivresse de la boisson, son corps rejetant toutes les toxines, même chose pour la drogue. Au final il se trouve toujours là, une coquille qui ne renferme qu'un but, une seule idée. Mais peut-être est-ce justement pour cette raison qu'il peut se lancer dans un tel projet sans arrière-pensées. Parce qu'il est toujours empreint de cette naïveté simple et bon enfant. Sa plus grande force et sa plus grande faiblesse à la fois.

Il se tourne vers les jumelles, s'approche d'elles alors qu'il arrête de regarder la pluie tomber dehors. L'une des deux s'adresse à lui, comme résignée au sort qu'il réserve à sa soeur. Il l'écoute, arque un sourcil. Gamine, pas gamine, y'avait pas de quoi accrocher là-dessus, franchement. Il hausse les épaules, las de ce caprice d'enfant gâtée.

«Ok, gamine, j'arrêterai de vous appeler comme ça. Quand bien même j'aurais vingt ans de plus que vous, ça ne fait pas de moi moins un gamin pour autant. J'imagine qu'une adulte ne se serait pas retrouvée dans ce genre de pétrin, hmm?»

Il n'insiste pas plus, il n'a pas envie de se donner en spectacle avec elles. Il sort un chiffon, l'imbibe de la solution de chloroforme. Qu'elles ne demandent pas à quoi ça sert, elles risquent de prendre leurs jambes à leur cous, sinon. Il lève la tête de la plus pâle des deux et applique le chiffon.

«Résistes pas, ça va pas te tuer. Les gens se servent de ça pour violer des filles dans la rue. Le reste je m'en occupe.»

Il attend quelques secondes, pas plus, que le produit chimique aille fait son effet. Alors il retire le chiffon de sous son nez et la repose sur le lit. Il se tourne vers l'autre soeur.

«T'es pas obligée de regarder, ça risque d'être sale un peu. T'as pas l'air du genre à en voir beaucoup, non plus.»

Et alors, il va chercher les pinces chauffées et la bouteille de vodka. Sans prendre la peine de faire attention, il verse de l'alcool sur la blessure, pour désinfecter. Ensuite, il agite les pinces rapidement pour les refroidir, afin de ne pas le brûler. Il touche le bout des pinces à plusieurs reprises, jusqu'à ce que la chaleur soit adéquate, puis observe la blessure. Il étire le trou un peu, avec les doigts et sans perdre de temps, y enfonce les pinces. Pas trop profond non plus. Il demeure calme malgré la gravité de la situation dans laquelle il se trouvait. Il trifouille un peu, cherchant à délimiter la balle sans trop causer de dommages internes. La blessure saigne, un peu, pas trop non plus. Il se lance, attrape l'objet incrusté dans le corps de la jeune et retire le tout en tournant, pour diminuer autant que possible la friction. Au bout de quelques minutes, pas plus de cinq, la balle est sortie, la blessure à découvert. Bien sûr, c'était loin d'être bien fait et surtout avec les moyens du bord, mais c'était ça de fait. Il s'enlève alors de sur le lit, va nettoyer son outil et ses mains dans l'évier pour y enlever le sang. Il donne ensuite des indications à l'autre.

«Nettoie sa plaie et referme-la. Elle devrait s'en sortir, et ça ne devrait pas s'infecter non plus. C'est pas plus compliqué que ça. Ça valait le coup de venir jusqu'ici pour ça, au final?»

Il essuie ses mains et la regarde. Décidément, ils ne vivaient pas dans le même monde, ces deux-là.

Au final, le tout s'était un peu mieux déroulé qu'il ne se l'était imaginé. Évidemment, avec les moyens du bord, c'était dur de faire un travail exemplaire, mais les années d'expérience et l'autodidaxie avaient aidé à obtenir quelques notions d'asepsies et de médecine. Pour le moment, il ne restait plus qu'à le recoudre le trou et tout serait parfait dans le meilleur des mondes pour elles. Quel drôle de monde quand même. Loin du malheur, des problèmes et des choix immoraux. Enfin, sans doute avaient-elles leur dose de petits tracas, mais leur propre espérance de vie ne devait pas revenir souvent dans leurs pensées. La sienne non plus cela dit. Mais voilà, disons qu'il vivait dans un monde un peu moins parsemé de bonbons et de confettis. Avaient-elles aimé leur avant-goût du bas monde? À en juger par leurs blessures, il serait porté à croire que non, mais ce serait à peu près la même chose pour tout le monde dans la même situation, au fond.

Plus cette étrange soirée avançait, plus il doutait de ce qu'il voulait leur faire par la suite. Principalement parce qu'il jugeait qu'elles en avaient eu pour leur argent, mais aussi parce que l'idée lui plaisait moins du coup. Bien sûr, capturer de jolies jeunes filles drôlement accoutrées ferait rire ses amis et lui vaudrait sans doute le prix de la meilleure trouvaille de la soirée, mais au fond, est-ce que cela était réellement nécessaire? Bien sûr, on se foutrait de sa gueule au lieu de la leur, mais c'était pas comme s'il n'était pas habitué, non plus. Puis bon, deux jeunes filles dans une salle remplie de désaxé, ça sentait déjà le caca nerveux.

Ensuite, cet échange particulier avait bâti une certaine forme de proximité entre les deux partis. Strictement professionnelle, entendons-nous -et parce qu'elle n'arrêtait pas de se plaindre à l'aide-, mais son bon fond eut raison de lui. Puis, un certain quelqu'un serait content de voir qu'il était venu en aide à ses semblables. S'il ne s'était pas encore perdu dans la ville, cette espèce de tête en l'air. Bref, il n'était plus intéressé par l'idée de les ramener comme trophées de chasse. C'était leur jour de chance, il espérait qu'elles en étaient conscientes.

Elle lui demande ce qu'était le service en question. Ça avait l'air important...Non pas tant que ça, c'était seulement une question d'honneur et d'éviter les railleries des autres. BIEN SÛR QUE C'ÉTAIT IMPORTANT. Mais ça le tiraillait au fond. Autant pour elles que pour lui. Il n'en avait pas si avant que ça, au final. Il passe une main dans sa nuque, expirait lourdement, profondément.

«Oublie ça. C'était un caprice de ma part, rien de plus. Même si je te disais ce qu'il en était, tu ne me croirais pas.»

Il devait avouer que pour le commun des mortels, c'était le genre de choses très dures à croire. C'est vrai, qui de nos jours faisait de la chasse à l'homme uniquement pour le plaisir du sport? Certainement pas le everyday salaryman. Puis, elle décline son identité. Ah, elles ne sont plus juste les petites, désormais. Des jumelles, deux noms à consonances similaires. Fut une époque révolue, peut-être aurait-il décelé le thème sous-jacent, mais sans pour autant s'abrutir d'année en année, ce genre de détails lui échappait complètement. Beaucoup moins ancré sur le fioritures, beaucoup plus dans le concret. C'est vrai. Il n'y avait rien de beau ni même de poétique dans ce qu'il faisait. C'était fait parce que ce devait l'être. Ni plus ni moins. Bon, dans combien de temps allait-elle se réveiller? Ça, il n'en savait vraiment trop rien.

«Donne-lui du temps pour se reposer. Elle doit être épuisée après ce qui lui est arrivé. Je sais que c'est pas le grand luxe comme endroit pour vous, mais du moment que ça vous protège de la pluie, je pense que vous avez tout à y gagner, vos deux. Tu devrais dormir un peu, toi aussi. Tu pourras appeler un taxi demain, quand elle se sera réveillée.»

Il sort une couverture et un oreiller d'un garde-robe, qu'il gardait spécifiquement dans l'optique où il recevrait des invités pour dormir. On dirait que ce soir, c'était lui l'invité. Il déplia le divan-lit avant de lui lancer.

«Donne-lui de l'espace. Tu peux venir dormir avec moi, si tu veux. Si j'avais eu l'intention de te faire du mal, ce serait déjà fait depuis longtemps, de toute manière.»

Elle n'allait pas accepter cette étrange proposition, il le savait déjà. Mais ça valait le coup, rien que pour la réaction. S'il ne s'endormait pas avant, cela dit.