2022. Ca faisait combien de temps, aujourd'hui ? Peut-être huit ans. Oui peut-être bien huit ans. Huit ans que tous les matins elle retrouvait l'oreiller un peu creusé, la place chaude et qu'elle pouvait humecter une odeur familière et plaisante. Et comme chaque matin, elle avait envie de se rouler en boule, de sourire à tout va et de ne pas s'arrêter. Elle était sans doute partie pour, de toute façon, là, toujours aussi enfantine malgré ses 32 ans. Bagheera n'a pas changé, sa passion pour les peluches, les dessins animés et les pots de glace est toujours intacte. Et surtout, sa passion pour lui ne s'est jamais évaporée. Lui. Qui était-il ? Oh oui, vous avez bien compris, l'on pense bien à ce jeune homme qu'elle a croisé par pur hasard dans Tokyo alors que la nuit faisait rage et que les lieux semblaient être dénués de tout espoir. Il est apparut, ils se sont aimés à tel point qu'ils se sont quittés. Ce fut sans doute la plus grossière erreur de leur vie que d'ignorer cet amour grandissant de jour en jour, mais la jeune femme s'est vite rendue à l'évidence : il était vital. Essentiel. C'était le rouage manquant à son mécanisme. Son prince charmant. Son tout.
Résumer la vie d'un couple qui bat son plein depuis huit ans n'aurait pas de réel intérêt. Disons cela en un mot : perfection. C'était ce genre d'histoire que l'on ne voit que dans les films où les belles paroles sont d'or. Et oui, tous les matins elle se réveillait comme si elle redécouvrait ses sentiments. Toujours intacts, toujours passionnés et démesurés.
Gabriel.
Reposée contre son épaule, elle avait le sourire aux lèvres. Elle dormait. Mais elle souriait. C'était quelque chose d'automatique depuis huit ans. Sourire toujours. Elle en avait mal aux joues mais son cœur était sauf, c'était le plus important. Le soleil s'était levé tôt sur la ville nippone, le soleil caressait ses épaules nues et puis tout à coup des pas, plus forts, plus proches, une porte qui s'ouvre et un poids qui s'écrase contre leurs jambes pourtant si bien calées sous les draps.
« Papaaa, mamaaan ! Allez, debout ! »
Lançait une voix aiguë. Puis le lit se remuait, des petites mains s'appuyait sur ses bras et la cramponnait d'une maigre force.
« Non ma chérie, maman est fatiguée là... »
Marmonnait-elle presque dans un grognement.
« Mais t'avais dit qu'on allait au paaarc ! » « Oui j'ai dit qu'on allait au parc dimanche. » « On est dimanche ! Allez maman lève-toi ! Papa aussi ! »
Fronçant les sourcils et écarquillant les yeux, elle se ruait sur son portable. Dimanche, sérieux ? On est pas samedi ? Bagheera soupirait avant d'arborer son sourire habituel.
« Ah oui, bon.. Bah va te brosser les dents, on arrive. »
La petite fille avait à peine quitté la pièce qu'elle retournait s'affaler contre son homme. Gabriel Evans et Bagheera Rosebury, parents, hein. Drôle d'histoire. Ancien prostitué et femme-enfant, c'était peut-être la chose la moins probable qu'il pouvait arriver. Et pourtant. C'était une petite fille aux longs cheveux bruns et aux grands yeux bleus qui gambadait joyeusement dans cet appartement depuis maintenant sept ans et demi.
« J'espère que super-papa est en forme pour le parc. »
Lançait-elle en gloussant un peu.
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POINTS : 59 CITATION : my lover's got humour, she's the giggle at the funeral MESSAGES : 411 JUKEBOX : Fauve - VOYOU FEAT : Spain - Axis Power Hetalia DATE D'INSCRIPTION : 05/08/2013
Gabriel sentit ses paupières se décoller tout doucement alors que le petit monstre qu’il chérissait plus que tout s’était jeté sur ses jambes en poussant ses cris hystériques. Elle était haute comme trois pommes. Ou peut-être dix, pour lui rendre justice. Elle avait de grands yeux bleus comme sa mère, des cheveux châtains comme ses deux parents, les mêmes fossettes que papa et ce pouvoir magique absolu – qu’elle tenait de maman pour sûr – de faire craquer papa à chaque fois qu’elle ouvrait la bouche.
« J’espère que super papa est en forme pour le parc ! »
En forme pour le parc. Il y a huit ans, être en forme pour le parc, pour Gabriel, ça aurait voulu dire quoi... Un jogging ? Rien de plus. Et là il était père. Il vivait avec Bagheera. La femme de sa vie. Son rayon de soleil, son sucre d’orge, sa putain d’extasie quotidienne. Quoi ? On ne changeait pas un Gabriel. Il caressa la joue de sa première enfant, sa gamine à domicile.
« Voilà c’est tout fini tout prop ! » « Menteuse, je sens ton haleine de dragon depuis ma chambre ! Compte jusque 300 dans ta tête, ET PAS AUSSI VITE PETIT LUTIN. »
Aurora eut un petit couinement dépité mais il l’entendit reprendre sa brosse à dent dans la salle de bain et repartir à l’entretient de ses petites quenottes avec entrain. Gabriel posa un baiser sur les lèvres de sa femme puis reposa délicatement sa tête sur son ventre, le corps emmailloté dans les draps, le regard entièrement dirigé vers le sien. Amoureux transi, camé en plein trip. « Tu vieillis mal tu sais, je viens tout plein de rires sur ton visage parfait. » Puis il enfoui son visage dans la peau de son ventre avant de se faire frapper et souffla bruyamment. Déformation paternelle sans doute. Il se leva ensuite du lit pour entrer dans la salle de bain où Aurora se brossait encore les dents. Il failli lui dire qu’elle allait saigner de la gencive si elle continuait mais il opta pour un plus doux « c’est bon elles sont toutes brillantes maintenant ! »
Le téléphone sonna. Gabriel décrocha. Le boulot.
« Euh. Oui, non. Ce soir non. Demain après midi ? C’est parfait ! »
Et il raccrocha. Toujours en caleçon, il attrapa un crayon et griffonna dans son agenda son rendez vous. Pour son shooting. Car Gabriel avait raccroché son costume, brûlé ses menottes, noyé ses vieux démons. Il était mannequin maintenant. Il était sage. Il était amoureux. « Aurora t’es habillée ? On part sans toi sinon hein ! » La gamine eut un nouveau cri d’indignation avant de filer dans sa chambre enfiler à peu près tout ce qui lui passait sous la main et Gabriel mit tranquillement un jeans et un t-shirt simple. « Super-Maman enfile sa super cape qui moule son super corps et viens assister super-papa pour une super-promenade ? »
La vie avait un goût agréablement sucré. Doux, parfumé. Haut en couleur. C'était tout ce dont elle avait toujours rêvé : former une famille, ne pas refaire les mêmes erreurs que les parents et puis que tout aille pour le mieux, dans un bonheur infini. Parce qu'à trois, plus rien ne pouvait les atteindre si facilement.
Bagheera riait, épanouie. Elle n'avait pas honte de se prétendre la femme la plus heureuse du monde, elle a tout, absolument tout. Elle n'espérait pas mieux, elle voulait se contenter d'une vie simple et sans soucis et en fin de compte, elle a un homme qu'elle aime et une petite fille magnifique. Ca ne pouvait être qu'un rêve, mais son existence semblait le vouloir autrement : c'est une réalité. Ce n'est pas non plus un dessin animé. Elle était maman, et femme à la fois.
Dans la chambre, encore affalée comme un cachalot échoué sur la plage, elle pouvait entendre les râles enfantins d'Aurora qui était déjà bien trop en forme pour un matin de si bonne heure – bon ok il était dix heures et demie. S'étirant de tout son long, elle allait chercher de quoi s'habiller, reluquant sa robe d'été et ses talons aiguilles. Puis son jean. Et son t-shirt. Et ses converses. Et vous savez quoi ? Elle a choisi le jean, le t-shirt et les converses. Non elle n'avait toujours pas réussi à être une femme fatale malgré qu'elle soit montée dans les échelons de Paris Avenue. Quelle importance, après tout, boarf. Qui moule son super-corps hein ? Tu vas être servi chéri. Songeait-elle ironiquement en haussant les sourcils.
Prête, saisissant le premier sac à côté du lit, elle s'empressait vers la porte d'entrée.
« Super-maman a décidé de ne pas avoir à signer d'autographe, alors elle reste juste maman pour aujourd'hui. »
Quittant l'appartement en plein centre de Shinjuku, c'est vrai que c'était étrange de croiser une famille purement occidentale dans les rues de Tokyo. D'un autre côté, elle était loin de s'imaginer se poser avec un jeune homme non-japonais, et c'était plutôt une agréable surprise – il faut dire que Gabriel était terriblement sexy et attrayant et que le temps ne le changera point.
Glissant sa main dans celle de sa fille, ils se rendirent alors jusqu'au parc. Un parc trop occupé mais incroyablement calme, c'est sûrement l'un des points les plus positifs chez les asiatiques : le respect. En Amérique, elle n'osait même pas imaginer le nombre de fanfarons qui traîneraient dans ce genre d'endroits à des heures pareilles. Sûrement assez pour la rendre folle et l'inquiéter comme pas deux. Mais là c'était sûr, elle le savait. Alors elle s'en allait paisible.
Bagheera fixait alors son cher et tendre, prenant place sur un banc à l'ombre d'un arbre.
« Je peux aller jouer ? » « Oui mais ne vas pas trop loin ! » « Mais vous allez vous faire des bisous j'aime pas c'est dégoûtant ! »
Lâchant un rire amusée, la blonde vint s'approcher doucement de son amant en tendant ses lèvres avec exagérations avant d'entendre l'enfant lâcher un beurk de dégoût exagéré avant de partir rapidement vers le premier jeu venu qui avait tout l'air d'un toboggan.
« ... Y a des fois où j'ai l'impression que j'ai pas plus grandi que ça quand je la vois en fait. »
Rire, à nouveau. Elle le regarde, glissant ses doigts entre les siens.
« Les joies du parc pour enfant, tu vas endurer ça avec moi encore un bon moment. Bientôt quand elle aura seize ans et qu'elle aura ses premiers copains tu pourras sortir le fusil, pas sûr que ça te plaise autant ceci dit haha. »
Puis sa tête se repose contre son épaule, souriante, délicate.
« Hey. Je t'aime. »
Depuis huit ans. Depuis toujours, en fait.
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« Quand elle me ramènera un petit copain je crois que je vais devoir refréner l'envie de lui coller trois tartes et de lui faire faire trois tours dans son slip sans toucher l’élastique. On va devenir les vieux rois et reines des contes qui ne veulent pas laisser leur petite princesse adorée quitter sa tour. Des vieux cons quoi. »
Gabriel eut un petit sourire.
« Et sinon t’es une enfant toi aussi, t’as pas grandi, c’est un de ces fardeaux d’avoir deux gamines brailleuses à la maison tu peux pas savoir... »
Il rit cette fois-ci plus ouvertement et Aurora revenait avec sa toute nouvelle trouvaille : un petit garçon, Irohito, qu’elle leur présenta comme son amoureux-depuis-trois-minutes et qu’ils allaient se construire un château dans la toile d’araignée. Le papapoule qu’il était se leva alors de son banc pour suivre les deux tourtereaux qui grimpaient déjà le long des câbles entortillés du jeu pour enfant. Ils s’amusèrent une bonne heure à crapahuter dans le parc, le tout agrémenté d’une bonne glace pour parfaire le tout.
« Aurora, on va y aller, tu as ton cours ju-jutsu ! »
Oui parce que la petite fierté de son papa ne se prélassait pas en tutu ou ne gribouillait pas pendant deux heures sur une feuille blanche comme les autres gamines de son âge. Non, elle éclatait des briques à la force de son front... enfin pas à ce point mais en tous cas elle se formait aux arts martiaux et, bien qu’ils furent au début un peu surpris de sa décision, elle était chaque semaine un peu plus motivée. Connaissant mieux que quiconque le verso de Tokyo, Gabriel ne pouvait d’ailleurs qu’approuver. Ils déposèrent leur petit amour à son cours et la petite pépilla :
« Bon donc à dans tout à l’heure, vous ennuyez pas trop sans moi c’est d’accord ? »
Gabriel se retourna vers la femme de sa vie.
« Qu’est ce que papa et maman vont bien pouvoir faire pendant deux heures ... ! »
Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire ? Bagheera haussait les sourcils et retint de pouffer de rire ou de faire une remarque suggestive que leur fille n'aurait pas pu comprendre, mais les gens autour probablement. Aurora s'enfuyait donc à va vite dans la salle de sport, retrouvant un groupe d'ami. Un sport de combat, sérieusement. Elle ne s'en remettra sans doute jamais, elle qui l'imaginait faire de la danse ou de l'équitation – un truc de fille quoi. Mais bon, d'un côté elle était contente. Un adorable petit monstre débordant d'énergie a besoin de se défouler. Se tournant vers son homme, la jeune mère lui offrait un regard pétillant, amusé.
« Ca se trouve c'est elle qui bottera le derrière de ses copains et t'auras même pas besoin d'être le papa menaçant mais plutôt compatissant. »
Et puis du moment qu'elle ne va pas dans un gang quand elle fera sa crise d'adolescence, tout va bien. Ah les gangs. Rosebury ne les avait jamais oublié, ils avaient fait partie intégrante de leur vie, c'est un peu à cause de tout ça que leur amour a su se déchirer mais aussi se réparer en une existence paisible. Glissant sa main dans celle de Gabriel, elle soufflait rien qu'à l'idée de devoir rentrer à l'appartement.
« Rah j'ai plein de rangement à faire j'en peux plus de ces cartons. T'as intérêt à m'aider hein ! »
Dit-elle d'un ton presque enfantin.
De retour à l'appartement, il paraissait bien vide sans la jeune demoiselle – Aurora entendons-nous donc – courant dans toutes les pièces, impossible à être arrêté à moins qu'elle ne se prenne pour la énième fois le coin de la table de la cuisine pour se calmer. C'est triste à dire, mais bon, c'est une enfant. Baghee s'approchait en traînant des pieds des vieilles affaires traînant au milieu du salon. Elle qui n'avait pas toujours été adepte de l'effort et du rangement, la voilà à vouloir « faire un tri dans les trucs du placard ». Entraînant Gabriel avec elle dans sa chute sur le canapé, la tentation fut forte pour se blottir dans ses bras, mais à quoi bon. Il ne partira pas. Ils ont toute la vie devant eux.
« Bon voyons voir... »
Sur ce, elle tirait le premier machin qui venait dans le carton, un vieil album photo de ses années lycées. Puis le son d'un froissement, un papier qui vole et qui effleure sa jambe. Allant chercher ledit papier, Bagheera le reconnu rien qu'au toucher.
« Oh. »
Elle l'ouvrait. La lettre de Gabriel quand il était parti une fois. Cette fois-là.
« Le début de tout. Quand tu te la jouais grand brun ténébreux alors que maintenant tu fais des prouts sur le ventre de ta fille. »
Rire. Parce que c'était déjà loin. Parce que ça les avait forgé, dans le fond.
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Gabriel jeta un œil par-dessus l’épaule de Bagheera. Il voyait son écriture penchée, un peu tremblante, le papier froissé encore et encore. Il se souvenait de déposer le mot sur la petite table de l’appartement de la jeune femme. Il s’était bouffé les doigts encore et encore. Il s’était dit que ça passerait. Que la culpabilité et le dégoût de soi glisseraient sur sa peau comme autant de mains différentes qui lui effleuraient l’épiderme. Mais il avait eu tord. Il s’était retrouvé rongé. Chaque matin un peu plus il se dégoûtait. Chaque matin un peu plus il la regrettait. Chaque soir il imaginait son visage à la place de ses clients. Ce ne fut que lorsqu’il s’aperçut qu’il n’était plus sûr de ses traits qu’il vécut un électrochoc. Il avait pris un billet pour les Etats-Unis le matin même, avait remué ciel et terre pour la retrouver et, lorsqu’enfin il s’était présenté à sa porte, l’avait demandée en mariage. Elle lui avait retourné la baffe de sa vie et avait refusé en hurlant, claquant la porte à son visage. Gabriel était resté plusieurs semaines aux Etats-Unis. Ne lui disant rien mais faisant savoir qu’il était là. Et puis un jour elle se pointa à la porte de son hôtel, en larmes, en lui disant que c’était un connard de merde et qu’elle l’émasculerait s’il la faisait pleurer une autre fois. Depuis elle n’avait plus jamais pleuré par sa faute. Il remit en place une mèche de ses cheveux et caressa son visage.
« Que veux-tu, on fait tous des erreurs de jeunesse... La première étant de demander à cette inconnue perdue ce qu’elle faisait à une heure pareille à la gare ! »
Et il lui ravit les lèvres pour l’empêcher de répondre.
Hey, je t'aime. Un peu, beaucoup, pour toujours. Même si t'es vraiment qu'un con, même si t'es parti comme une pute et que t'es revenu comme un clebs abandonné sur l'autoroute. T'en fais pas, on va reprendre le chemin ensemble et on va s'aimer comme des enfants, on va s'aimer pour de vrai. On va s'aimer parce que, putain, c'était tellement évident en fait. On aurait jamais pu passer à côté de ça, notre vie n'a de sens que lorsqu'elle est partagée. La mienne en a parce que t'es là. Qu'est-ce que j'aurai fait dans les rues de New-York à marcher comme un immonde fantôme si tu n'étais jamais revenu ? Oh non j'y pense pas. J'y pense jamais. J'y penserai jamais. Parce que t'es là. T'es là. Et c'est tout ce qui compte.
Bagheera rit un peu contre ses lèvres, lâchant un râle faussement agacé.
« C'est vrai, mes peluches étaient quand même bien mieux que toi. »
Elle sourit, encore. C'était devenu si naturel. Les gens ont tendance à dire qu'ils brûlent les étapes. Ils s'aiment, ils se quittent, ils se retrouvent et puis ils se marient, et ils forment une nouvelle famille. Elle était devenue Bagheera Evans en rien de temps et leur bonheur fut succédé à leur adorable petit troll à couettes.
« Même si les peluches sont moins bien foutues que toi. »
La jeune femme hausse les épaules, remettant ses cheveux blonds vers l'arrière avant de se lever et de ranger un carton derrière la table. Au moins elle ne le voit pas et ne se sentira pas obligé de le ranger – jusqu'à ce qu'Aurora ne débarque et décide de faire une cabane pour ses poupées dedans, ça ferait combien d'années de thérapeute lorsqu'elle découvrira le papier sur lequel son père avoue se prostituer ?
« Je me disais... On pourrait peut-être, je sais pas, fuir Tokyo ? Et.. Aller vivre dans les banlieues de New-York. Et pendant l'été avec Aurora on ira en Californie, un peu comme dans les films tu sais ! »
Le retour aux sources était important pour elle, mine de rien. Peut-être que Tokyo, malgré ses couleurs, restaient un lieu empoisonné et bien trop sombre. Un endroit où ils s'étaient rencontrés, certes, mais pendant une époque de déchéance totale.
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Gabriel grogna en promenant ses mains sur le corps de sa petite femme, taquin. Puis elle eut comme un regard dans le vague et lui lâcha la phrase qu’il, à vrai dire, s’attendait à entendre depuis un moment déjà. Rentrer vivre aux Etats-Unis. Gabriel ne voulait pas lui avouer qu’il n’en avait pas envie. D’abord parce qu’il avait sa carrière à Tokyo, quelques amis et qu’ils s’étaient enfin posés. Mais aussi parce qu’il était réticent à quitter la ville qui lui avait tout donné, comme un gamin superstitieux qui refusait de quitter son stylo fétiche, de peur d’échouer à tous ses tests.
« Je sais pas si je suis prêt à... à laisser tout ça. Tokyo, notre vie, tout. »
Le seul majeur inconvénient dans la capitale nippone restait les clients du jeune homme. Bien qu’ex prostitué, il n’en demeurait pas moins l’une des figures emblématiques – et tabou – du monde du plaisir dans les hautes sphères sociales. Si ça avait été bien vite source de plaisanterie (« et lui alors ? – micro péniiiiiis ») il était vrai que se voir parfois harceler de coups de téléphones de gens tellement puissants qu’ils pourraient les faire expulser du pays en un clin d’œil... c’était parfois sportif. Gabriel papillonna des yeux.
« Ou alors si ? »
Son regard s’illumina. En fait oui. Qu’est ce qui le retenait à Tokyo à part sa femme et sa fille ? Rien. Rien du tout !
« On se casse putain. On recommence tout à zéro. Plus personne ne me connaît, réputation plate, nouvelle vie. Je suis presque sûr que l’agence peut nous filer des contacts. On sera plus personne ! Ce serait fantastique putain. Je veux. Arrête de ranger, on va tout remballer. On va partir, on aura qu'à aller en Floride, ou en Californie oui, près de la mer. On va se construire un nouveau nid loin des vautours d'ici. Putain j'ai tellement hâte. Chérie... Je t'aime. »
Une semaine plus tard, Gabriel aidait Aurora à boucler sa ceinture dans l’avion.
Quitter Tokyo ne serait pas une mince affaire. Aller loin des amis et de son travail, tout recommencer à zéro, gérer les papiers administratifs et... et ils étaient déjà parti la semaine suivante. Bagheera avait coulé sous les dossiers et les cartons et, par chance, ils avaient réussi à trouver un charmant logement à San Diego, en Californie. L'avion. Ils y étaient déjà, les bagages plein les mains et pourtant leurs sourires ne s'effaçaient pas. Profiter d'une nouvelle vie. C'était cela le plus époustouflant. Oui, époustouflant qu'un jour ils puissent s'évader de cette prison dorée qu'était le Japon. Le lieu de leur rencontre mais aussi de leur martyr. Il n'y avait plus rien pour les retenir désormais.
Enfin assis, Bagheera sentait le stresse lui monter à la tête, sa respiration semblait être plus rapide qu'à son habitude. Elle n'était pas effrayée par le voyage mais par la nouveauté. Non. Elle était euphorique, nuance. La jeune mère dégageait son sac sous ses pieds, enfin calée dans le fond de son siège jusqu'à ce qu'Aurora ne lui tende son doigt.
« Regarde maman ; une crotte de nez ! » « Oh non c'est dégoûtant ma chérie. »
Lança-t-elle un peu agacée avant de vite sortir un mouchoir et de retirer ce fabuleux trésor de son index.
« Bon quand on arrivera tu restes bien avec nous hein ? Tiens regarde il y a une télé si tu veux. Si tu veux aller aux toilettes tu me dis aussi, hein ? »
Maman poule est de sortie.
« Tout est bon de ton côté, Gabi ? »
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Gabriel était aux anges. Ils étaient tous les trois sur une rangée et Aurora regardait par le petit hublot, ses grands yeux bleus fascinés par le décollage de l’imposant appareil qui les emmenaient vers leur nouvelle vie.
« Et comment ce sera aux zamériques ? » « On dit « en Amérique » ma chérie. Et tu verras c’est très différent de Tokyo mais tu vas adorer, j’en suis sûr. Ils font les plus gros hamburgers du monde là bas ! Et il y a des pots de glace tellement grands que tu pourras te noyer dedans ! »
Gabriel se rua sur le petit ventre dodu de sa princesse pour la chatouiller jusqu’à ce qu’elle ne hurle grâce, les larmes aux yeux. Une fois l’avion stabilisé au dessus des nuages, leur petit démon national ne tint pas longtemps. Elle ferma les yeux devant un dessin animé quelconque, sombrant dans un sommeil profond. Bagheera aussi s’était endormie sur l’épaule de Gabriel qui contemplait les femmes de sa vie avec un amour inconditionnel. Il caressa doucement le visage de sa femme, repoussant une mèche de cheveux pour mieux observer son doux visage d’endormie. Il l’aimait. Il l’aimait à en crever. A en quitter ce qu’il considérait comme son pays en moins d’une semaine. Il l’aurait suivie n’importe où. Il l’avait déjà fait après tout. Et puis il y avait l’autre femme de sa vie, son petit ange, sa beauté. Il rajusta la couverture pour couvrir tout le haut de son corps et posa une main bienveillante sur son épaule soulevée régulièrement par sa respiration paisible. Il resta ainsi un long moment. Juste à les regarder. A se gaver de tout son soûl de ces deux visages qu’il affectionnait plus que tout. Il était bien. Une hôtesse lui proposa quelque chose à boire mais il refusa, pour ne pas les réveiller. Et puis Aurora décolla ses paupières pour secouer le bras de papa, un peu assoupi.
« Dis à maman que je veux pipi ! »
Gabriel sourit mais Bagheera était déjà réveillée. Elle tendit sa main à Aurora qui l’attrapa, le visage encore tout endormi, les cheveux plaqués d’un côté et dressé de l’autre, donnant une définition presque parfaite du mot adorable. Les deux filles partirent aux toilettes. C’est alors que survirent les premières perturbations. Gabriel failli bondir de son siège mais un steward l’en empêcha. Son rythme cardiaque s’accéléra.
« Monsieur s’il vous plait calmez vous, ce n’est qu’un court passage de perturbation, restez dans votre siège, nous allons voir votre f... »
Le type eut un gros coup de chaud, Gabriel ayant momentanément perdu le contact sur son pouvoir. Il reprit rapidement les rênes et l’homme le lâcha. Il lui intima une nouvelle fois de se calmer puis s’éloigna en s’accrochant aux sièges. L’épisode de secousses se calma et Gabriel respira à nouveau. Il se retourna juste à temps pour voir Aurora arriver en courant, le visage baigné de larmes, Bagheera derrière.
« Papa ça tremblait super fort et tout et... »
Nouvelle secousse, beaucoup plus brutale cette fois. Les lumières s’éteignirent presque toutes et Gabriel put voir sa fille s’envoler brutalement, sa femme dans son sillage. Les deux choses les plus précieuses à son cœur semblèrent décoller doucement, comme au ralenti. Gabriel ne respirait plus. Son cœur ne battait plus. Leurs deux nuques se brisèrent contre le toit de la cabine dans le même son écœurant. Gabriel venait de perdre sa raison de vivre. Il hurla. Au ralenti encore, les deux dépouilles tombèrent et l’avion chutait plus encore. Tout l’avion hurlait à la mort mais Gabriel ne les entendaient pas. Il n’y avait que ce son. Ce son d’os brisés. Ce son de mort. Gabriel savait qu’il allait mourir. Mais si Dieu il y avait il le détestait pour ces quelques secondes pendant lesquels il fut seul comme jamais. Il le détestait, il le haïssait, le vomissait, le méprisait. Gabriel pleurait comme un enfant. L’avion entra dans l’eau si fort que la carlingue explosa. Le temps ralenti encore un peu plus. Gabriel se senti projeté en avant, le visage sur le point de heurter le siège d’en face. Son front allait se briser contre la tablette, son nez exploser, sa nuque se tordre puis sa colone se fissurer. Il allait mourir. Il allait mourir. Il mourrait. Il mourrait.
Gabriel ouvrit les yeux, le souffle court, en sueur, les draps trempés. Il pleurait et suffoquait, sur le bord de vomir. Il chercha des yeux quelque chose à quoi se rattacher. Mais il n’y avait rien. Aurora n’était pas là. Elle n’avait jamais existé. Bagheera n’était pas là. Il l’avait quittée. Il y avait sept ans déjà.
codes par shyvana
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2022 Δ for your precious love Δ gabriel & bagheera
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Gabriel sentit ses paupières se décoller tout doucement alors que le petit monstre qu’il chérissait plus que tout s’était jeté sur ses jambes en poussant ses cris hystériques. 
