Eldorado.
Les souvenirs affluaient en moi, mélancoliquement douloureux. J’avais vécu tant de chose au sein de ce clan que j’avais créé. Mon clan. Ma famille. Ma maison.

Ma maison me manquait, et c’est pourquoi, emprise de mélancolie, mes pas m’avaient inconsciemment guidé au QG des Eldorado. Je ne savais pas si les membres actuels du clan avaient conservé l’ancien repère où nous avions élus domicile lors de la création du clan.

La nostalgie se fit plus prononcée quand je pénétrais dans Shibuya. Je pouvais attribuer à chaque parcelle de ce quartier un souvenir bien précis que j’avais partagé avec mon clan. Ce lieu était comblé de mes réminiscences en tant que chef des Eldorado.

Plus je m’approchais de mon ancien repère, plus mon cœur se serrait. Je souhaitais tellement pénétrer dans mon domaine et retrouver des personnes partageant mes valeurs. Ju souhaitais retrouver Eldorado, les unifier et battre les traqueurs pour que plus aucuns des mutants n’ait à croupir dans l’Enfer qu’est No Dawn.

Je sentis son relent animal, sauvage bien avant qu’il ne détecte l’odeur de souffre que je dégageais après chaque transformation. Kamui. Mes lèvres esquissèrent un sourire. Même des années après voir cesser de garder Kamui, j’avais continué de garder un œil bienveillant sur le petit garçon dont je m’étais occupée pendant si longtemps. J’avais connaissance de sa mutation et je connaissais son odeur ce qui me permit de le reconnaître si aisément, même sans le voir.

Je ne savais pourtant pas ce qu’il était devenu après ma capture et mon emprisonnement à No Dawn. C’est pour cela que je fus grandement surpris par l’homme qui se tenait devant moi. Je dus relever la tête pour pouvoir poser mon regard verdoyant sur son visage. Grand et musclé, il dégageait une assurance sauvage… animale. Il n’était plus le gamin sec et maigre que j’avais connu, mais un homme, un vrai. Sa voix grave et basse me surpris tout autant que son changement physique : Il y avait de la puissance dans son timbre, un aplomb catégorique qui rappelait celui d’un chef que l’on écoute sans broncher.

Ses derniers mots me soutirèrent un petit rire alors que je m’approchais de lui. Je paraissais minuscule en face de lui et c’était étrange quand on savait que j’avais toujours été plus grande que lui.

- Non. En effet, louveteau, je ne suis pas humaine, mais en même temps tu ne l’es pas non plus donc je ne vois pas où est le problème.

Je fronçais le nez, humant maintenant à plein nez sa fragrance animale et sauvage.

- Et je sens peut-être le souffre mais tu n’es pas vraiment mieux avec ton odeur de chien mouillé. Tu as peut-être changer physiquement mais je présume que tu détestes te doucher tous les jours, comme quand tu était petit et qu’il fallait presque se battre pour te faire prendre un bain.

Un sourire malicieux se dessina sur mes lèvres alors que je contemplais le jeune homme dont j'avais partagé l’enfance.  Je me rappelais alors où je me trouvais et lançais d’une voix moins espiègle :

- Attends, si tu es ici… Ça veut dire que tu es Eldorado. Je savais que tu m’admirais, mais de là à rejoindre le clan que j’ai créé, je ne m’y attendais pas vraiment Kamui.

 

 Je contemplais avec un certain désarroi les expressions qui se peignaient sur ce visage que j’avais connu pendant tant d’années. Kamui.

Je venais tout juste de perdre son père quand j’avais du me trouver un petit boulot pour aider mon oncle Hiro à subvenir a nos besoins. J’avais fait du porte à porte dans le but de trouver un peu de ménage à faire. Je ne m’attendait pas à avoir à prendre soin d’un enfant aussi jeune alors moi même je n’étais pas très âgée. Et pourtant la mère de Kamui, qui ne semblait pas vraiment préoccupée par mon âge, me recruta immédiatement pour pouvoir prendre soin d’un enfant de 9 ans mon cadet.

Je m’attachais tout de suite au petit garçon. A peine plus haut que trois pomme, il avait déjà un caractère indépendant et débrouillard. Il était extrêmement intelligent et intuitif pour son âge. Kamui n’avait jamais été une corvée ou un travail pour moi, mais un besoin. Chaque jour après mes cours, j’avais hâte d’aller retrouver Kamui. J’avais développé un certain instinct de protection envers l’enfant, je n’aimais pas le laisser seul avec sa mère qui ne semblait pas vraiment s’en occuper, préférant faire la cours à son nouveau compagnon. Dès que je le retrouvais, je me sentais mieux, son caractère buté, ses rares sourires et rires éloignait mes propres démons, repoussait la douleur d’être orpheline.

Le revoir après tant d’année me serra le cœur. Il avait tellement changé et pourtant je reconnaissais dans ses mimiques, dans son porté, dans son regard pénétrant, le petit garçon buté et débrouillard que j’avais tant aimé. Le petit garçon qui m’avait sauvée d’une vie de tristesse et redonnée un peu de d’espoir après le décès de mon père.

Ses derniers mots me firent mal. Une douleur peut-être encore plus perforante que celle qui irradiait mes poumons après chaque transformation. Il croyait que je l’avais abandonnée. Pendant toutes ces années, il pensait vraiment que je l’avais « lâché ». Une colère furieuse me secoua l’espace d’un instant quand je me rappelais la dernière fois que j’étais venue garder Kamui. Une rage acerbe et violente s’insinua en moi et l’ombre d’un instant, mes yeux devinrent dorés alors que je contenais le dragon en moi.

Je m’approchais de lui, lentement, et plantait mon regard redevenu vert dans le sien, l’obligeant à me regarder. Tant de fois je lui avait attribué ce regard quand je voulais qu’il m’avoue quelque chose ou quand je souhaitais qu’il me croit. Que jamais je ne l’abandonnerais, que je serais toujours là pour lui… Et je lui avais menti.

- Je ne t’ai pas lâché Kamui. Ta mère… elle était devenue jalouse de notre relation. Elle ne supportait plus que tu ne m’attendes que moi, te fichant totalement d’elle. Elle qui n’en avait rien à foutre de toi, était maintenant jalouse de ce que nous avions. Alors un jour où je suis venu pour te garder, elle m’a bloquée à l’entrée de la porte, m’interdisant de te voir et m’annonçant qu’elle n’avait plus besoin de mes services. Que si je revenais pour te voir, elle irait voir la police pour lui dire que je te battais et pire encore. Elle est devenue parano et hystérique, elle pensait que je complotais contre elle et que je voulais la tuer pour te prendre et t’éloigner d’elle. Elle m’a dit que c’était à cause de moi que tu étais si terrible avec elle et que je te montais la tête contre elle. Elle m’a annoncé qu’elle ‘hésiterait pas à me faire passer pour une pédophile s’il le fallait. Je voulais me battre pour toi, Kamui, mais je venais juste de commencer mes études de droit pour devenir avocate, et ces accusation, même s’il elles n’étaient pas vraies, m’aurait couté ma bourse d’étude.

Mon corps s’était mis à trembler sous des émotions que j’avais trop longtemps gardées en moi. Abandonner Kamui sous les accusations de sa mère avait été la deuxième chose la plus douloureuse après la mort de mon père. Il m’avait été autant que je l’avais.

- Je ne t’ai jamais oublié pourtant Kamui. Je n’étais jamais vraiment loin. Je t’ai vu si souvent te battre, et même donner des coups comme je te l’avais appris. Je t’ai vu partir de chez toi et ne plus y revenir. Je t’ai vu te transformer en loup pour la première fois. Je n’ai jamais cessé de garder un œil sur toi, du moins jusqu’à ce que je ne termine en prison. Mais une chose est sure. Je ne t’ai jamais lâché.