Ils avaient marché comme ça, main dans la main, dans la nuit noire sans rien se dire.
Rien du tout. Juste à penser. Enfin ils en avaient l’air. Mais Gabriel n’arrivait à penser à rien. A vrai dire son crâne n’avait jamais été aussi vide, il se sentait léger, complet, entier. Il n’avait rien à penser puisque tout était parfait maintenant. Puisque tout irait bien.

Et puis ils arrivent.
Elle n’était jamais venue là, chez lui. Ils ne s’étaient vus que chez elle, tout le temps. Ca lui faisait un choc de la voir ici, dans ce décor gigantesque et froid qu’il habitait seul depuis des années. Elle s’avança doucement sur le parquet en contemplant l’appartement, les grandes baies vitrées, le salon de designer, la cuisine impeccable, tout.

▬ ... Je ne pensais pas que ça payait si bien la prostitution.

Gabriel s’approcha d’elle par derrière en posa son menton dans le creux de son épaule.

▬ Je suis pas juste une simple pute tu sais. Je suis une pute de luxe. J’ai jamais couché avec des ivrognes et des camés. J’avais un certain standing tu sais.

Plus de mensonges, plus jamais.
Il avait décidé d’être franc, à deux cent pourcents. Tant pis si c’était cru. Elle avait le droit de savoir, elle avait le droit de tout savoir.

▬ Là c'est le moment où tu me demandes de fumer avec toi en échange de boire avec moi. Et que tu me proposes un massage, après.

Gabriel sourit de toutes ses dents.

▬ Après c’est le moment où tu succombes totalement à mes charmes. Il marqua un temps, souriant, la tourna pour lui faire face. Où tu m’embrasses. Son visage se rapprochait du sien. Où tu me dis que de toute façon tu le voulais, que mon pouvoir n’y change rien. Où je commence à t’aimer pour de bon.

Il l’embrasse à en perdre haleine.
Lorsqu’ils se détachèrent, Gabriel sait quoi faire.

▬ Je sais où on va. Tu vas voir. Il s’engouffra dans la cuisine et prit une bouteille de vodka et deux shots. Ca c’est toi, sourit-il. Puis il ouvrit la table du salon et prit un petit paquet remplit de feuilles. Et ça c’est moi. Que dis tu qu’on revive la meilleure soirée de ma vie ?

Il attrapa le poignet de la jeune femme et la fit monter les marches immaculées du duplex. Puis il s’approcha d’une petite porte à l’étage donnant sur une nouvelle volée de marches. Au sommet : le toit de l’immeuble.
Gabriel conduit la jeune femme jusqu’au clou du spectacle, la piscine aménagée.
Quand on est riche à ne plus savoir qu’en faire, on s’arrange pour avoir quelques points vitaux comme celui-ci. Après tout c’est le strict nécessaire.
Il posa la bouteille sur le rebord de l’eau chlorée illuminée et se tourne vers Bagheera en déboutonnant sa chemise.

▬ Madame ne me laisserait pas profiter de l’eau seul ?

Gabriel n’avait enlevé que sa chemise et déjà elle le poussait dans l’eau. Son corps décrivit une courbe lente avant de s’écraser à la surface illuminée à grands jets. Le jeune homme sortit la tête de l’eau brusquement. Il eut un sourire d’enfant.
Bagheera avait plongé ses petits pieds dans la piscine chauffée.

▬ Hmm. Je sais pas. Elle est bonne au moins ? Il te faudra être convaincant plutôt que de te contenter d'un strip tease mon cher.

Il agrippa sa cheville et s’approcha de la jeune femme.
Brusquement, il se hissa sur le rebord et s’étala de tout son long sur le corps de Bagheera. Il sentait l’eau qui le couvrait humidifier les vêtements de la jeune femme. Leurs visages étaient à quelques centimètres l’un de l’autre, Gabriel souriait toujours.
Il posa un baiser léger dans le creux de son cou. Puis un deuxième, entre ses deux clavicules. Chaque baiser était une électrocution grâce à son pouvoir, un léger choc qui réchauffaient la peau. Il descendit effleurer du bout des lèvres son plexus et fit dans un souffle :

▬ Oh mince, tu es toute trempée, tu vas devoir enlever ça si tu ne veux pas attraper froid.

Il attrapa le col du t-shirt de Bagheera puis le craqua doucement, appliquant au fur et à mesure de plus en plus de pression jusqu’à ce que le haut ne se transforme en un morceau de tissus déchiré ouvert sur la poitrine de la jeune femme.

▬ Et puis de toute façon, fit-il, je n’aurais pas eu les moyen de m’offrir un strip tease, tu es hors de prix à mes yeux.

Il l’embrassa à pleine bouche, oubliant un moment son pouvoir, submergé par l’émotion. Il le rattrapa vite mais elle avait dû sentir une vive décharge d’érodermie. Il s’en fichait. Il savait qu’elle aussi. La prenant par surprise à nouveau, il la tira avec lui dans l’eau, laissant son jeans troué et ses converse s’imbiber d’eau comme le faisait déjà son propre pantalon et ses chaussures.
Il plongea sous l’eau avec elle, les yeux grands ouverts. Il enleva ses pompes en apnée et fit glisser son pantalon au fond de la piscine. Il resta là à flotter devant Bagheera, arraché à tous ses soucis, gravité comprise, jusqu’à ce que ses poumons ne s’enflamment. Il remonta alors à la surface pour prendre de l’air.
Il prit la jeune femme dans ses bras et nagea jusqu’à une profondeur très basse, assis, ils avaient les épaules hors de l’eau. Il s’assit face à elle et enlaça ses jambes autour de ses hanches. Posant un nouveau baiser dans son cou, il se mordit la lèvre.

▬ Non. Non. Attends, pas encore, pas tout de suite. Raconte moi, comment c’était, où tu étais ? Tu as... rencontré quelqu’un ?

Il se retenait tant, tout son corps ne tendait qu’à faire qu’un à nouveau avec l’unique être pour lequel il avait été dessiné. Mais il avait besoin de savoir, pour passer totalement au renouveau.
De toute façon peu importait la réponse, il l’aimait déjà comme un fou. Piégé.

▬ J'ai largué mon taff à Paris Avenue. Je suis devenue une petite surveillante dans une école quelque part aux Etats-Unis. Et y a eu une fusillade. Un des étudiants qui a pété un câble, qui a tiré sur tout le monde. Beaucoup sont morts. Sous mes yeux, en fait. J'ai cru que j'allais y passer aussi tu sais. Je sentais toute la panique et la tristesse à cause de mon pouvoir et je devenais folle. On se cachait sous les pupitres, dans les salles, on murmurait pour pas se faire entendre, y avait même des filles autour de moi qui se pissaient dessus littéralement. On entendait les tirs, les pas, les cris, puis le silence, on se disait que ça allait s'arrêter mais ça recommençait. La police est venue mais on avait déjà beaucoup de décès au compteur. Et j'ai réalisé que je ne voulais pas mourir avec des regrets. Et que j'ai énormément besoin de toi. Juste, de toi.

Leurs corps flottaient là, dans le liquide turquoise crument illuminé par les spots sous-marins. Rien n’était plus doux-amer que la chaleur de l’eau et la morsure glaciale du vent nocturne sur leurs peaux nues. Gabriel fixa les beaux yeux de la jeune femme.
Elle semblait plus forte, plus endurcie, plus déterminée.
Elle semblait loin de la jeune fille fragile qu’il avait aimée éperdument.
Et il l’aimait tout autant.

▬ Je me suis détesté, tu sais. Je me suis haï. J’ai... j’ai essayé de t’oublier. Je pensais pas être con au point d’être tombé amoureux mais intérieurement, je le savais. Tu m’obsédais. Tu m’obsèdes toujours. J’avais tellement peur. Peur parce que je ne savais pas où tu étais, ce que tu faisais, si tu étais ne serait-ce qu’encore en vie. Tokyo craint en ce moment. On aurait pu retrouver ton corps disloqué au coin d’une ruelle. Je me serais plus haï encore. Mais je faisais semblant. Semblant de t’avoir oublié. J’ai pas réussi.

Gabriel caressa doucement sa joue.

▬ J’ai réussi à contrôler mon pouvoir, tu sais, mon don. Regarde, ça ne te fait rien. Je suis devenu plus fort. Je me disais que si tu me pardonnais, si tu revenais, je serais plus fort. Mon corps n’a battu la cadence de ma misérable vie que dans l’optique de cet instant, tu sais.

Il ne dit plus rien.
Il se contentait de la fixer.
Leurs lèvres se rencontrèrent encore plus fort, avec plus de passion encore. Les mains de Gabriel serraient son dos avec force, de peur qu’elle ne se disloque, qu’elle ne s’effrite, ne s’envole, ne disparaisse. El la prit délicatement dans ses bras et l’emporta tel un prince charmant sur un coussin déposé au sol près de la piscine. Il la fit s’allonger délicatement et prit ses poignets dans les siens pour les ramener au dessus de sa tête. Elle ne pouvait rien faire d’autre que se laisser guider.
Il embrassa sa mâchoire, son cou, faisant glisser ses doigts le long de ses bras tendus vers l’arrière. Lorsque ses mains arrivèrent à son dos, elles détachèrent habilement le sous-vêtement de la jeune femme.
Le cœur de Gabriel s’emballa, perdant complètement le sens du rythme. Il ne retenait plus son don, il ne pouvait plus. Entièrement tendu dans un désir plus brut que sauvage, il enfoui son visage dans cette chaire qu’il chérissait plus que tout avant de relever les yeux fiévreux vers elle.

▬ Moi aussi j'ai besoin de toi. Désespérément.

Il n’avait besoin que d’un signe, d’un clignement d’yeux et il serait enfin totalement comblé.