Les spots de lumière s’allument. La musique commence.
Les visages habituels sont présents, à force, je les reconnais de loin, et le tout même avec un projecteur en pleine face. Toujours assis aux mêmes tables, dans les mêmes fauteuils. Leurs sourires et leurs regards sont toujours les mêmes. Leurs pensées probablement, aussi. M’enfin, ce n’est pas ce qui m’arrêtera ce soir. Comme tous les autres soirs.

De toute façon, je ne les vois pas.

Je suis désormais dans mon univers. Celui où personne ne peut m’atteindre. Celui où les regards, les paroles et les gestes ne peuvent avoir le moindre impact sur moi. Je suis seule. Seule avec ma musique. Seule avec ma danse.
Ils sont venus voir un spectacle. Je suis venue leur en donner un.

La main posée sur la barre métallique plantée en plein milieu de la « scène » du bar, je me tiens droite, figée, guettant le bon moment comme un prédateur guetterait sa proie. Rater le début d’un show, c’est rater un show.
« Sois sexy, la plus désirable qu’il soit. Mais sois aussi la plus fière, et la plus indomptable. La frustration engendre un désir encore plus fort. Tes clients reviendront à coup sûr. » Jusque-là, les paroles de celle qui m’avait accompagnée dans mon apprentissage du pôle dance n’avait jamais été erronées. La clientèle revenait toujours. Toujours désireuse d’en avoir plus encore, sans jamais obtenir quoi que ce soit de plus.
J’ai toujours suivit ce conseil. Ma tenue en témoignait déjà rien qu’à elle. Pas vulgaire, mais néanmoins – et apparemment – bien assez courte pour suffire à ces messieurs. Et dames, bien évidement. Dans ce genre de bar, personne ne cache son intérêt.

Une note particulière, et je m’élance. C’est le début. Le début parfait. Le début qui les fera tous rêver. Je connais mon niveau, et sans vouloir me vanter, je sais également qu’il est amplement suffisant pour satisfaire tous les regards.
Le moindre de mes mouvements est placé à la perfection. Même lorsque je quitte la barre pour m’avancer dans la foule, a la recherche d’une personne à provoquer un peu, histoire « d’animer la soirée » comme ils l’entendent.

Quand ma main se posa finalement sur le parfait cobaye, j’entamais une danse qui se voulait plus sensuelle, plus provocatrice encore. Avec un air « chaud comme la braise » comme on dit. Seulement pour moi c’est banal, froid. Rien à voir avec la véritable sensualité. Rien à voir avec la danse privée que j’avais offerte à ma petite amie le soir de notre rencontre.  Il n’y a en moi aucune envie, aucun désir quelconque vis-à-vis de la personne autour de qui je tourne. Lui, il ne le pense pas. Et pourtant, si son regard s’était réellement porté au mien au moins une fois, peut-être aurait-il capté le vide et l’absence totale d’émotion sincère.

Mais là, c’était trop en demander.

Après avoir offert à cet homme alcoolisé une vague rêverie durant laquelle il n’avait pas pu lever le petit doigt vers moi, je retournais d’où j’étais venue, histoire d’avoir un regard sur la petite foule satisfaite avant de terminer. Merci de me filer votre fric, et à bientôt.

Fin de la musique. Noir. Les lumières d’ambiance du bar se rallument alors que je file vers les vestiaires. Fini pour moi. Maintenant, place à la soirée où je profite réellement, au milieu de la foule. Sachant qu’un bon verre de vodka m’attendait au bar, je me changeais tranquillement, enfilant une tenue plus aisée : Un jogging bleu et une veste à capuche. Tout de suite moins sexy pas vrai ? Pourtant, je ne me trouve pas sans style ainsi.

Finalement prête, je me dirigeais vers la sortie du vestiaire avec mon téléphone à la main, avançant distraitement le temps d’envoyer un message à Leiko pour savoir ce qu’elle faisait. Mais avant même que je puisse envoyer le message ou passer la porte, cette dernière s’ouvrit, me faisant finalement lever les yeux.

Avant même que mon regard ne croise le sien, son parfum m'avait annoncé sa présence. Cette chevelure blonde et sauvage, ce sourire éclatant, et cette voix terriblement sexy. Leiko.
Moins d'une fraction de seconde plus tard, elle était pendue à mon cou, toujours avec cette même grâce et provocation. J'enserrais tout naturellement sa taille pour la serrer doucement contre moi avant de poser brièvement mes lèvres sur les siennes. Sentir ce contact doux et chaleureux était un réel plaisir. Cette étreinte embellissait l'ambiance du lieux sombre et à l'atmosphère lourde. Un rayon de soleil dans l'obscurité.
Un rayon de soleil qui cache la gêne que lui occasionne mon travail derrière ses jolies phrases diplomates. Car Leiko n'aime pas les regards malsains qui se posent sur moi. Elle n'aime pas non plus que je pose ma main avec élégance sur le corps d'une personne inconnue et imbibée d'alcool. Je peux le comprendre. Mais c'est mon travail.
Je m'avançais légèrement, entraînant la belle à reculons pour retourner dans la salle principale du bar. Le tout bien évidement en lui répondant :

-Je fais ça car c'est un métier qui ne me demande pas d'efforts. Et puis j'aime le pôle dance. Pour la suite, la personne avec qui je danse ne m'importe que très peu, tant qu'elle reste à sa place.

Je m'arrête afin qu'elle puisse se retourner et avancer correctement, mais avant de la relâcher : petit clin d'oeil.

-Enfin, c'est ça en général. Parce qu'une fois, j'ai dansé pour une inconnue tellement sexy que je n'ai pas pu m'empêcher d'aller plus loin.. Et bon dieu, qu'est-ce que c'était bien !

Rho, rangez vos menaces et vos offuscations, Leiko sait parfaitement de qui je parle, puisque cette fameuse inconnue n'était autre qu'elle. Et si elle ne le sait pas, elle peut également fouiller mon esprit. Bon, il y en a eu d'autres, avant, mais jamais de la même manière. Les précédentes histoires avaient été sans lendemains, voir même sans plus d'intérêt que ce que la drogue m'offrait.
J’entraînais la belle jusqu'au bar pour récupérer le verre qui m'y attendais et en demandais un autre pour la belle créature qui m'accompagnait. Cela ne me dérangeait absolument pas d'être vue avec elle. Après tout vous savez, les lesbiennes dans des bars de ce genre, ce n'est jamais mal vu. Au contraire. Surtout si elles acceptent les plans à plusieurs. Bon, ça, non. Mais tant que l'on ne vient pas nous poser la question, la réponse reste dans l'imagination et l'espoir de celui ou celle qui désire la poser. Enfin, de mon point de vue en tout cas.

Mais je ne pense pas que celui de Leiko diffère tellement.
Jalouse comme elle est.

Je m'accoudais au bar et la contemplais un instant.  

-Je t'aurais bien offert une danse particulière, mais je ne suis pas sûre qu'être vue dans ce genre de bar a profiter d'une danse que l'on voit limite davantage comme du stip tease ou de la prostitution ne soit bon pour ton image...

Il y a de l'orage dans l'air.
Je sens cette tension invisible qui s'est peu à peu dévoilée entre nous.
Leiko en a à dire, c'est évident. Je sais même exactement à propos de quoi.
C'est pourquoi, avant même qu'elle n'ouvre la bouche, j'esquissais une légère grimace discrètement.

Et voilà les mots. Les mots frappants et violents de Leiko Özilis. Les mots clairs. S'il y a bien un truc qu'on ne peut lui enlever, c'est sa franchise, et la manière dont elle parvient toujours à se faire comprendre. Impossible de la jouer bê-bête avec elle. Ce ton là annonce une discussion sérieuse.
Je la laisse donc déballer tout son sac, sans rien dire, sans l'interrompre. Je me contente de boire une gorgée de ma boisson, et de jeter un œil autour de nous.
Si le ton monte entre nous, tout le monde en sera au courant. Et étrangement, j'ai bien l'impression qu'il risque de monter.
Lorsque Leiko en vient aux menaces, c'est que ça ne va vraiment pas. Surtout quand les menaces en questions sont aussi détaillées. Ça ne fait qu'appuyer l'idée qu'elle en serait capable.

Lorsqu'elle termina par cette fameuse question stupide, je soupirais légèrement et lui attrapais le poignet.

-Bien sûr que non.

Je pouvais être relativement méchante par moments, mais de là à souhaiter à quelqu'un de connaitre la colère de la belle blonde, quand même pas. Autant leur souhaiter la mort, ce serait plus doux.
Je tirais doucement sur son poignet pour l'inciter à me suivre vers l'extérieur. Dès qu'il y eu moins de monde autour de nous, je commençais alors à lui répondre à mon tour :

-Bien sur que si, j'ai pensé à faire quelque chose d'autre. Et à chaque fois, ça s'est révélé impossible. Il n'y a que pour ça que les gens m'appellent et me regardent. C'est là dedans que je suis LA meilleure. Si j'essaie de passer à des représentations d'une danse plus soft, plus gracieuse et renommée, on me claque toutes les portes au nez car je ne connais personne dans le milieu !  

Je m'arrêtais finalement, juste avant la sortie, lui faisant face. Je relâchais son poignet et soutenais son regard.
Je pense que le sujet sensible de notre couple est en partie là. Pointé du doigt. Mon travail. Cela énerve Leiko de savoir ce que je fais, et moi, ça m'énerve de ne pas parvenir à faire autrement. Le seul moyen envisageable pour le moment était d'arrêter la danse pour passer plus de temps à dealer. Pas sûre que Leiko apprécie davantage.

-Je n'ai pas la bonne réputation pour faire autre chose Leiko. Sinon, je ne serais pas dans ce bar ce soir.

Et Leiko me répondit calmement et gentiment qu'elle... Non, ça c'est uniquement dans ma tête. Dans la sienne, je ne parierais pas que les choses vont dans mon sens.
A elle de me le dire.

Et une soirée tranquille en couple, c'est combien ?

Parfois, j'ai l'impression d'être une enfant face à Leiko.
Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens comme une enfant fautive que l'on est entrain de réprimander. Pourquoi ? Aucune idée.

Quand elle se rapprocha pour me répondre en plantant son regard dans le mien, je détournais inconsciemment mon regard vers la droite. Pas que j'avais peur de l'affronter non, mais savoir que Leiko n'est pas contente n'est jamais rassurant.
Je l'écoutais cependant très attentivement. C'était compréhensible qu'elle n'apprécie pas que je travaille ici. De même pour le fait que je ne m'en étais pas remise à elle pour trouver un meilleur job. Oui, Leiko a ses avantages d'être connue, respectée et influente dans pas mal de milieu. Mais, et moi ? Devais-je simplement me contenter de me reposer sur elle, et d'attendre qu'elle fasse tout le travail pour moi ? Depuis bien longtemps, j'avais appris à me débrouiller seule, par mes propres moyens. Alors accepter son aide risquait d'être un peu compliqué.

Mais après tout...

-Quoi..?

Mon regard revint a la rencontre du sien. Je ne comprenais pas pourquoi elle me disait ça. Bien sûr qu'elle était importante dans ma vie ! Le fait que je ne lui demande pas d'aide n'avait rien à voir avec ce qu'elle représentait pour moi.

-Mais bien sur que tu es importante dans ma vie, Leiko ! Tu es ce qu'il m'est arrivé de mieux depuis... bien trop longtemps. 

Je soutenais finalement son regard, car sur ce point, j'étais plus sûre que n'importe qui. Leiko avait changé le cours de ma petite vie de dépravation. Les coups d'un soir, sans même pouvoir se rappeler de la tronche de la personne, s'étaient éteint avec son arrivée. Je ne passais plus mes fins de soirée à boire ou a me droguer dans mon coin, avant d'aller chercher la merde au premier venu avec un regard de travers. Non, désormais, j'avais cette envie permanente de retrouver cette beauté fatale aux longs cheveux blonds et au caractère bien trempé.
Leiko ne représentait que le bien dans ma vie.

Et d'ailleurs, elle attendait probablement que je continue mes explications.
Je tendais donc une main vers la sienne, attrapant le bout de ses doigts avec douceur.

-Je... Je n'ai pas l'habitude de demander de l'aide a qui que ce soit. Et puis, je me suis toujours dis que si quelqu'un devait me recruter, se serait après avoir vu mes talents, pas parce qu'on le lui demande.. Tu as déjà ta propre carrière à gérer, pourquoi te refilerais-je la mienne en sus ?

S'il y a quelque chose que j'ai appris sur ma petite amie, c'est que lorsqu'elle a une idée qui lui parait évidente et bonne, on  peut lui dire ce que l'on veut, si elle n'est pas convaincue, elle ne cédera pas. Et sur le sujet de mon travail, elle ne le sera pas, pas tant que je bosserais à moitié nue devant des pervers bourrés.
Avant qu'elle ne puisse répliquer de quelque manière que ce soit, je tirais légèrement sur sa main pour qu'elle se rapproche.

-Tu es ce qu'il y a de plus important dans ma vie Leiko. J'aime bien le travail que je fais car j'aime la pôle dance. Mais je ne veux pas que tu te torture -ou que tu torture quelqu'un d'autre- à cause de ça. Je... Je chercherais autre chose. Un autre travail.

Peut-être s'attendait-elle à davantage de résistance, d'opposition, et voir même de cris ? Non. Parce qu'au fond, je pouvais comprendre ce qu'elle ressentait. En me mettant a sa place et en l'imaginant danser, je pense que j'aurais déjà, et depuis longtemps, tué plusieurs clients aux regards trop inquisiteurs.

-Avec ton aide...  

Pitié, qu'aucun des membres de mon gang, de mes acheteurs ou de mes petites victimes ne voient ça. Sinon, c'était toute ma réputation qui s'écroulerait aux pieds de la belle Leiko Özilis.

Non, je ne suis pas une soumise. Juste une femme amoureuse.

Plus tu regardes cette femme, juste là, devant toi, et plus tu te demandes ce que tu as fais pour avoir la chance de lui plaire ce fameux soir dans la rue. D'ailleurs, il t'arrive même de repenser à la façon dont se sont déroulés les événements juste après. Votre histoire a le mérite de ne pas avoir commencé comme toutes les autres. Et puis de toute façon, une histoire banale et sans encombre ne pouvait pas vous être destinée. Le destin, la chance, ou allez-savoir-qui, avait préféré que tu te fasse lacérer le dos pendant une belle soirée par un monstre spectral.
Un début de relation mouvementé, mais qui avait déjà prouvé l'attachement qu'il y avait entre Leiko et toi. Attachement qui n'avait fait que se consolider avec le temps, vous menant a une relation agréable et complice.
Tu serres doucement ta petite amie contre toi, profitant de ce doux baiser qu'elle t'offre. Elle n'est pas vraiment fâchée, juste inquiète, jalouse et possessive. C'est largement compréhensible, vu que tu l'es tout autant.

-Je pense que tout se passera bien alors. Je te fais confiance, Leiko.  

Tes doigts s'entremêlent aux siens, puis tu lèves sa main à hauteur de ton visage pour y poser un baiser. Il est temps de passer à autre chose. Les discutions boulot, c'est bien, mais pas en début de soirée devant un bar.

-Et si on allait boire un verre ailleurs ? Laisse-moi juste le temps de me changer et on va se trouver un endroit un peu plus classe, d'accord ?  

De toute manière, rester ici avec elle ne t'enchante pas. Ce bar est  remplit d'ivrognes sans limites, et tu n'as pas envie que votre soirée ne soit pourrie par trop de regards pervers ou tentatives de drague agaçantes.
C'est pourquoi tu lui prends la main pour l'entrainer à nouveau à l'intérieur, vers les vestiaires dont tu étais sortie quelques temps auparavant. Là, tu l'abandonnes quelques secondes pour récupérer ton sac d'affaires puis tu reviens vers elle en l'ouvrant. Commence alors la métamorphose.
Exit le jogging et le sweat à capuche. Place au pantalon moulant, au débardeur et à la petite chemise ouverte, sans oublier les talons aiguille. Changement aussi radical que surprenant n'est-ce pas ? Cela ne devrait pas laisser Leiko de marbre.
Tu te recoiffe rapidement de quelques coups de main, puis tu récupère ton sac, fin prête, te tournant vers ton amante.

-Je pense que maintenant, habillée ainsi, je peux entrer dans n'importe quel bar. Une envie particulière ma Belle ?

Tu agrémentes le ton posé de ta voix d'un mouvement vers elle, te penchant pour effleurer ses lèvres. Juste une caresse de tes lippes aux siennes, tentatrice, joueuse.
Et tu sais très bien que Leiko ne restera pas sans te répondre.
C'est votre jeu.
A toutes les deux.