Des gens, partout, dans tous les sens, à toute vitesse. Principalement en noir et blanc. Costard cravate. Jupe tailleur. Quelques touristes.
C'est l'heure de la sortie des bureaux, et toi, tu es à la gare de Shinjuku. C'est donc normal que tu te fasses bousculer de tous les côtés. C'est vrai que les Japonais sont disciplinés, se mettent en rang le temps que les métros arrivent, et attendent patiemment que les gens descendent de la trame. Sauf que personne ne descend à Shinjuku.
Personne sauf toi. Shinjuku est ton quartier de prédilection. Il y a le repère d'Atlantide -lieu que tu chéris-, kabukicho -lieu où tu boulottes-, shinjuku ni chome -lieu ou tu t'éclates-, la White Zone -lieu que tu fréquentes fréquemment- et enfin ton appart -lieu où tu pionces de temps en temps. Donc, toi, à Shinjuku, tu descends, et tu vas à contre courant, comme les saumons. Toi, la tête blonde, tu donnes des coudes à travers les pingouins noirs et blancs qui se pressent dans la trame déjà bondé pour rentrer chez eux.
Et le matin, c'est l'inverse.

Cette nuit, tu as un client, donc direction kabukicho, en passant par un combini, histoire de manger en truc. Tu as deux bonnes heures devant toi, donc tu peux y aller tranquille. Tu espères que ce client, paiera mieux que celui de la dernière fois. Pas de la nuit précédente, non, faut que tu dormes de temps en temps, mais celui de la nuit d'avant. Tu t'es défoncé le cul -ahem- pour être bien payé, et valoir ton prix, et ce connard, il t'en paie la moitié. Tu aurais pu te rebeller. Tu l'as fait d'ailleurs. Mais bon, face à un mec qui fait deux fois ton poids, tu vaux pas grand chose. Même si ça se voit pas toujours, tu tiens à ta vie, nan mais ho ! T'as pas envie de finir défiguré non plus. T'aurais plus de boulot.

Mais le pire dans tout ça, c'est que- HA! Oh non, oh non. Pas lui. Tu te caches parmi la foule et baisses ta tête pour ne pas qu'il te voie.  
Mais le pire dans tout ça, c'est que Shin Yuusan t'avais prévenu que ce mec te paierai pas bien.
Et le pire dans cette histoire, c'est que Shin Yuusan se tient à quelques mètres juste en face de toi. Et que bientôt, il n'y aura plus personne pour te cacher. Parce que toi, tu es un saumon, et que tu remontes le courant. Mais que le courant s'assèche souvent. Et les gens rentrent dans les trames de métros.

Et donc, le pire dans tout ça, c'est que, si il te voit, tu vas te faire ridiculiser. Parce que, soit il est déjà au courant pour ce connard de client, soit il va te demander comment ça va, comment ça c'est passé, et tout ce genre de banalités -ouais banalités ouais. Faut pas croire, mais beaucoup de monde demande comment s'est passé la journée de boulot, même à un prostitué. Surtout quand on est entremetteur...- Et donc, tu dirai que tout vas bien, tout roule. Sauf que ce gars a un détecteur de mensonges dans sa tête. Ou alors c'est que avec toi. Ou alors tu mens mal. Très mal. Donc, dès que tu mens, rien qu'un tout petit mensonge de rien du tout, une petite bafouille, un petit gazouillement, Shin le sait. Ça doit être marqué sur ta tête.... Pourtant c'est même pas ça son pouvoir -à moins qu'il n'en ai deux...-

Nan, lui c'est plutôt un répare bobo. C'est plutôt cool et vachement utile. Sauf que ça répare pas tout. Genre les cancers, les maladies génétiques, les maladies-du-coeur-même-chez-un-jeune-homme-qui-a-même-pas-20-ans, ça, il répare pas. Dommage. Ou alors tant mieux. Ouais, c'est vrai, tant mieux après tout. Ton destin, tu le connaîs, il est clair, tu vas mourir. Certes comme tout le monde, mais un peu plus tôt.
Si tu te retrouvais nez à nez avec un mec qui aurait le pouvoir de changer ce destin que tu as accepté très tôt, ça te foutrai mal à l'aise. Tu aurais un avenir, des projets, une vie, un futur. Nan, franchement, tout ça, c'est pas pour toi.

Mais Shin, il t'aide bien quand même. Okay, okay, tu fais genre que tu l'apprécies pas trop -tu fais ça à tout les gens qui s'intéressent à toi en même temps-, mais en fait, franchement, tu l'aimes bien. Il est gentil, amical, calme, te soigne de temps à autre, lorsque tu acceptes qu'il te touche.

Mais bon, aujourd'hui, là, maintenant tout de suite, tu veux pas le voir. Et il le sait. Et tu sais qu'il sait. Et il sait que tu sais qu'il sait. Bref, c'est un cercle vicieux.
Tu veux pas qu'il te regarde avec cet air de « je sais que tu sais que nous savons tout les deux mais je dis rien parce que je sais que tu aimes pas ». Ça te fous un peu mal à l'aise quand même. Il t'avais prévenu quoi. Et comme un fait exprès, BIM, ça a pas loupé, tu t'es fait carotte comme il l'a dit.

Donc si y'a bien une personne sur laquelle tu voulais pas tomber aujourd'hui là maintenant tout de suite, c'est Shin Yuusan. Et si y'a bien une seule personne que tu connaisse ici maintenant dans la gare -à part la mémé que tu croises tous les jours à la même heure-, c'est Shin Yuusan.

fiche codée par perry.

Allez, encore quelques petits mètres, non, centimètres, et Shin était derrière toi. Juste une petite oeur de rien du tout, un petit coup d'adrénaline, un instant à passer. Quelques pas, et vous vous croisez, sans qu'il ne te voie.
Mais rien ne se passe jamais comme tu le souhaitais. Les clients ne payaient pas bien, les gens que tu fuyais te trouvaient. Pas toujours. Heureusement. Mais là oui, un malheur n'arrive jamais seul. Bon, Shin, c'est pas vraiment vraiment un malheur.
Enfin... son regard pourrait vraiment te le faire penser. Sourcils froncés, traits tendus, mâchoire crispée, regard noir. Oups alors. Tu déglutis difficilement.
Merde un. Merde deux. De un, il t'a vu. De deux, il a l'air en colère. Donc, il savait. Et il savait que tu savais. Bref, on va pas en revenir. Et en plus, il se dirige droit vers toi. Tout droit. Il n'a qu'un seul but là, c'est de franchir tout ce courant de costard cravate pour arriver jusqu'à toi.

« Ça faisait longtemps Satsuki. » Haha, oui, oui, en effet, ça fait longtemps. En même temps Shin ne traînes pas vraiment au repère d'Atlantide. Mais sinon, c'est pas comme si tu l'évitais. Noooon.
« Longtemps que je te préviens de m'écouter un tant soit peu. » Ha. Haha. Hahaha. Il est au courant. Merde.
« Comme ça s'est passé ? » Hahahaha. Il est gentil. Non, il est pas gentil. C'est un sadique, il tourne autour du pot. Il sait que tu sais qu'il sait. Mais il fait semblant. Il veut te l'entendre dire de ta propre bouche. Bien fait pour toi.

Tu sens quelques gouttes de sueur glacé poindre leur nez, et ton cœur s’accélérer. T'es un gamin Satsuki. Un gamin qui sait qu'il va se faire engueuler, mais qui a peur de ce qui va suivre. Et là, tu vas te faire engueuler par Shin. Pas vraiment engueuler, mais c'est tout comme.

Tu émets un petit rire nerveux en te grattant derrière la tête.

▬ Haha... Salut Shin, ou-ouais ça fait longtemps...

Mais il est passé où ton air supérieur et ton attitude mi moqueuse mi rebelle ? Partie, envolée, disparue. Parce que tu es un gamin Satsuki, et que tu as fait une connerie.

▬ La nuit dernière ? Ha bah, ouais, ça c'est...bien...passé...

Ton ton est presque interrogatif. Non non Satsuki, on a dit qu'il fallait pas mentir à Yuusan. Ca sert à rien de dire que ça s'est bien passé. Il le sait que ça ne c'était pas si bien passé.

▬ Euh... enfin, pas vraiment. Mais bon, tu dois déjà le savoir si tu me le demandes.

Ha ! Ton insolence est revenue. Tant mieux pour toi. Tu relèves la tête et avances le menton, chose que tu fais toujours par réflexe pour paraître supérieur à tes interlocuteurs. Arrête de faire ça Satsuki. Arrête de faire l'insolent, ça t'avancera à rien, juste à énerver un peu plus Shin. Mais c'est plus fort que toi. Soit tu fais le gamin, soit tu fais l'adolescent. Conduis toi en adulte merde. Assume tes erreurs.

▬ Je sais ! Avant que tu me fasse la morale, je tient à dire que je la connais déjà. Je sais que je dois plus t'écouter aussi et bla et bla et bla. Donc, comme je le sais déjà, et que je t'emmerde, je pense qu'on peut clore notre conversation là. Non ?

Tu te défiles là. C'est pas bien. C'est dommage, déjà que tu vois pas Shin souvent. Mais en même temps, tu préfère le voir quand il est bien luné. Ou du moins pas quand il est mal luné à cause de toi. C'est la pire des choses.
Et de toute façon, tu sens que ta petite proposition ne va pas tenir. Il va te faire la morale et tout ce qui va avec. Et tu as beau réfléchir dans tout les sens mais oui, ça se dit !, tu trouves aucunes sorties de secours. Mais en même temps, peut être que tu n'as pas vraiment envie de fuir ?

fiche codée par perry.

Yuusan te regarde avec ce regard moqueur que tu adores voir dans tes yeux, mais pas dans ceux de tes interlocuteurs. Un regard hautain, froid, le regard du « tu-vois-je-t-avais prévenu ». Détestable, mais tellement compréhensible. Surtout que tu étais en tort cette fois ci. Enfin, en tort, tu faisait ce que tu voulais après tout. Si tu aimais couchais avec des hommes pour être payer trois clopinettes, c'était ton problème. Sauf que c'était vraiment un problème, donc ça t'enchantait pas...

« Si tu le connaissais si bien, pourquoi tu t'es fait avoir alors ? »

Tu tentes d'ouvrir la bouche, pour répondre, mais tu la refermes de suite. Non, non, tu n'as rien à dire. Tu ne trouves rien à répondre. De toute façon, si tu répondais quelque chose, Yuusan renchérirai. Et tu devrais encore trouver une réponse. Donc autant ne pas s'aventurer la dessus, ça valait mieux pour toi.

En fait, entre Yuusan et toi, c'est de l'amour qu'il y a entre vous. De l'amitié sincère. Tu sais qu'il s'inquiète pour toi. Il joue le rôle de grand frère avec toi, comme maintenant. Et comme n'importe quel petit frère, tu réponds bien souvent « bah puisque c'est comme ça, j'vas bouder d'abord ! ». Enfin, plus ou moins gentiment. Mais jamais irrespectueusement.

« Tu m'emmerderas autant que tu le voudras, je crois que ton client le fera encore plus quand je l'aurais retrouvé. »
Shin veut parler des représailles que le client subiras. Ça marche comme ça, toi tu te fais prendre -sens propre ET littéraire-, pour une raison qui t'échappe, Shin le sait toujours, et lui et Gabriel vont lui en faire pâtir. C'est cool, on dirait des gardes du corps. Qui agissent un peu en retard certes. Mais bon, dans l'histoire, le pigeon, c'est toi. Donc tu ne relèves pas.

« Donc, non la conversation ne vas pas se clôturer ici surtout que ça fait un moment que je t'ai pas examiné. Alors, désolé pour toi, mais je te lâcherais pas. »
Tu tics à ses mots. Tu laisses échapper un « t » de ta bouche pour marquer ta contrariété. Tu plantes un regard froid dans les yeux de Shin. C'est à ton tour cette fois ci, de crisper la mâchoire et de raidir les traits de ton visage.

Pourtant, tu savais que la conversation en arriverait là. Ça fait plus d'un mois, voire plus, que tu n'as pas vu Yuusan. Donc plus d'un mois que personne, mis à part toi, n'a vérifié comment tu allais. Enfin toi... La seule chose que tu fais, c'est vérifié le rythme de ton cœur en le comptant pour t'endormir. Donc ça ne compte pas.
Et Yuusan est médecin. C'est certainement le nœud de votre relation. C'est parce qu'il est médecin que tu as tant d'aprioris sur lui. Et c'est parce qu'il est médecin, qu'il s'inquiète pour toi. Il est plus conscient que les autres des risques que tu encoures. En même temps, les « autres »ne savent pas que tu es malade. Tu ne dis jamais rien à personne. Et tu ne comptais rien dire non plus à Yuusan, parce qu'il était médecin.
Mais c'est aussi de par son statut que tu as été obligé de le lui avouer. Enfin, tu lui avais pas avoué, il a compris tout seul. C'était le premier hiver que tu passais seul à Tokyo, et tu as choppé une bonne grosse mauvaise toux. Tu savais que Shin était médecin, c'est pourquoi tu t'es dirigé vers lui pour te soigner. C'était ça ou te traîner cette toux pendant très longtemps. Et ça, ça te brancher pas vraiment. Et en t'auscultant, il a compris que y'avait un truc qui clochait lorsqu'il a entendu ton cœur chuinter. Ou plutôt chouiner comme tu dis. Un "boum shh boum shh boum shh" au lieu d'un joli "boum boum boum". Ce "shh" que tu taisais auprès des autres.
Seuls Ikeda et Yussan sont au courant. Mais maintenant, Ikeda fait plus parti de tes ennemis que de tes alliés... Et ça, ça te fait très peur. Tu es en position de faiblesse devant lui.

Tu n'as jamais dit clairement au médecin de quoi tu souffrais. Tu détournes le sujet, nie ces suggestions. Pas d'échographie, ni d'examens médicaux dans ce genre, donc pas de diagnostique précis. Tu le gardes pour toi. Il en sait le stricte minimum pour t'être utile.

Tu lèves la tête et le regarde dans les yeux, un sourire moqueur aux lèvres.

▬ Et tu vas faire quoi ? Sortir ton stéthoscope de ta poche et m'examiner là, dans la gare de Shinjuku ? Dis tu d'un ton moqueur

S'il le fait vraiment, tu te jettes sous le premier train...

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