When you can't sleep, well, you can't dream
When you can't dream, well, what's life mean?

Le beau temps revient.
Il est quatre heures de l'après-midi, le soleil brille sur la capitale ; les ruelles grouillent de passants, bruyants et radieux, divisés en autant d'éclats de bonne humeur. Tu avances d'une démarche hésitante, ballotté par le flux constant de Tokyoïtes, confortablement égaré dans la masse - tu portes le masque de l'individu lambda, de l'adolescent au quotidien paisible qui ne connaît pas la souffrance, et le tissu de mensonges dont tu as cousu ton déguisement pèse sur tes épaules. Tu es sorti ce matin pour te rendre au quartier général, dans l'espoir d'y trouver Kyo ou Shin, mais tes camarades semblent avoir déserté le repaire depuis la dernière session de combat, et en définitive, tu devrais certainement éviter de les fréquenter. Tu ne ressens plus la solitude, de toute façon : à présent, Sébastien est omniprésent de ton existence. A tel point que la maison hantée que tu détestais depuis si longtemps te paraît chaleureuse, que tu as hâte de franchir le pas de la porte pour te précipiter dans les bras de ton amant. Aujourd'hui, comme tous les autres jours, passés et à venir. Les épreuves qui vous ont tant abîmés sont derrière vous, jetées aux oubliettes, dissimulées sous l'épaisse couche de chloroforme spirituel que sont tes sentiments pour lui. La vie est belle, Sora. La vie est belle.

Tu sors ton téléphone portable de la poche de ta veste, tapotant quelques secondes sur l'écran tactile. Je t'aime, écris-tu. Je rentre bientôt. Ces quelques lettres ont les accents du bonheur, et tu t'en délectes en silence. La redoutable cécité de l'amour te permet d'ostraciser tant des fantômes et des craintes qui autrefois dévoraient ton cœur ; tu ne vois plus la haine, tu ne vois plus la colère, tu ne vois plus les démons tapis dans l'ombre qui menacent de te démolir encore, tu ne vois plus la bêtise de la passion que tu portes à celui qui était ton tortionnaire, tu ne vois plus les péchés qui tâchaient tes mains.

Tu ne vois pas la Toyota Yaris grise qui déboule à toute vitesse à l'instant où tu traverses la rue. Ou plus exactement, tu la vois trop tard : le crissement aigu des roues sur le bitume t'avertit de la calamité qui te fonce dessus. Littéralement. Tu lèves vivement la tête, les yeux écarquillés, et puis c'est le vide. Les hurlements des touristes écorchent à peine le cocon de stupeur dans lequel tu es paralysé. Tu es incapable de bouger, tes iris dilatés fixés sur le capot de l'automobile qui se rapproche à toute allure. Une seconde, peut-être cinq, peut-être dix - pour toi, c'est une éternité de néant qui se répercute dans ton crâne vide. Non. Non, je vous en prie. Pas ça.

Collision.
Le son de tes côtes qui se brisent résonne dans l'atmosphère alors que ton corps est projeté dans les airs pour retomber lourdement sur la chaussée, désarticulé, à l'instar d'une marionnette dont on aurait coupé les fils. Déjà, le sang s'agglutine autour de tes membres écorchés, souille le béton. Tu es en feu, et tu ne peux plus bouger, tes muscles refusant de t'obéir. Par chance, tu ne sens la douleur qu'une minute à peine.
Et puis l'obscurité.

We feel a little pity, but don't empathize
The old are getting older, watch a young man die.

fiche codée par perry.