Les petits pains au chocolat. Il ne savait pas ce qu'ils goûtaient, mais à ce qui paraissait, ils étaient délicieux. N'étant pas un épicurien, il ne savait trop quoi penser de la nourriture qui ne sortait pas d'une boîte en carton que l'on mettait dans un micro-ondes, mais cette fois, il aimerait bien se lancer. Visage dans la fenêtre, il fouillait dans ses poches de pantalons pour y trouver un tant soit peu de monnaie avant de s'offrir le luxe d'une douceur chocolatée. Hélas, bien trop fidèle à ses mauvaises habitudes, il avait oublié de prendre de l'argent au repère, encore une fois trop distrait. Ce n'était pas grave. Il y reviendrait un jour, avec de l'argent, cette fois.

Sans perdre sa bonne humeur, il changea de cap, comme si cette semi-mésaventure ne s'était jamais déroulée. Après tout, il n'avait pas d'argent, aussi longtemps remuerait-il ses poches, rien n'apparaîtra. Non, il trouvait que les bonnes choses valaient la peine d'être attendues et avec cette idée en tête, il se remit en marche. Il aimait moins la ville de nuit avec son éclairage artificiel, les gens pressés, les gens qui fêtaient, les gens qui ne savaient pas trop ce qu'ils faisaient, mais qui étaient tout de même là. Il s'intéressait particulièrement à ces personnes, visiblement hors de leur zone de confort. Curieux, il cherchait à savoir ce qu'ils faisaient là, ce qu'ils voulaient, ce qu'ils désiraient, au fond d'eux. Ses pensées migrèrent alors vers Shangri-La. Qu'est-ce que ses membres désiraient réellement? Il était parfaitement au courant de leur position en tant qu'être et la respectait totalement. Cela dit, il savait bien qu'au fond, c'était la chance de se retrouver et de s'entraider entre personnes similaires. Ensuite, il comprenait la nécessité de se supporter financièrement et même s'il aurait préféré prendre une voie différente, il n'allait pas se mettre en travers de leur chemin. Ils étaient là parce qu'ils le voulaient. Ils faisaient parce qu'ils jugeaient nécessaires. Pour la suite des choses, il n'avait pas son mot à dire. Du moment qu'on n’oubliait pas ce qui primait par-dessous tout.

Alors ces gens, visiblement perdus dans une foule d'êtres humains, cherchant des réponses à des questions qui n'avaient peut-être de sens que pour eux, avaient-ils oublié? Peu importe ce que c'était. Tout le monde était si différent. Tout le monde avait cette chose qui leur faisait garder la route. C'est pour ça qu'il aimait à ce point les gens. Ils avaient tous une histoire différente à raconter. Arrivé face à un café, il fut interpellé par la lumière qui en émanait. C'était chaleureux, invitant. Sans doute aurait-il envie d'y faire un tour, mais encore, il n'avait pas les moyens. Des gens discutaient entre eux, la plupart étaient assez bien habillés, d'ailleurs. Il regarda ses vêtements. Il était loin d'être mal habillé, mais ne dégageait pas la même prestance que toutes ces personnes. Peut-être ne mettait-il pas suffisamment de l'avant ses attraits? Mais encore, ce n'était pas ce qui le préoccupait, en temps normal. Quelqu'un le bouscule. Un peu normal, il est en plein milieu de la voie. Néanmoins, il se retourne.

«Mes excuses...»

C'était une femme. Qu'il n'avait jamais vu auparavant. Sinon, il s'en souviendrait. Elle dégageait quelque chose de mystérieux. Sans doute la marque de la bourgeoisie ou quelque chose dans le genre. Néanmoins, il regardait. C'était bien tout ce qu'il pouvait se permettre, d'ailleurs.

fiche codée par perry.

Il n'était pas malicieux, au fond. Simplement un peu perdu, mais tout autant admiratif de se retrouver dans une ville qui brillait de jour comme de nuit avec des gens particuliers et tout aussi intéressants. Dans le lot, il devait bien être celui qui ressortait le plus. Sur cette rue, principalement, déambulaient personnes dont le portefeuille n'était qu'avant-goût de leur richesse, ces personnes à la dernière pointe de la mode, qui observaient d'un air très certainement hautain ceux qui arrivaient à toucher le fond de leurs poches. Il ne s'en indignait pas, bien au contraire. S'ils étaient heureux dans cette situation, c'était tout à leur honneur. Même si lui n'avait pas de vêtements de rechange et qu'il arrivait presque à voir ses orteils au travers de ses souliers, il savait qu'il n’avait pas besoin de s'encombrer inutilement de biens matériels qu'il oublierait sans doute un peu partout ou qu'il finirait par offrir à des gens qui en avaient plus de besoins que lui. C'était dans sa nature. Toutefois, même en heurtant l'une de ces personnes, il était indiqué de s'excuser, pour la forme.

Soit, il n'avait que très peu à faire des conventions. Il savait pertinemment qu'il y avait une notion sous-jacente de respect, mais son cerveau n'arrivait à retenir toutes ces bonnes mesures. Il savait s'excuser et il savait vouvoyer. Après, il ne fallait pas trop lui en demander. Tandis qu'il s'excusait, la vue d'une bien étrange bête tenue en laisse captiva son regard, bien avant celui de sa maîtresse. D'aussi loin qu'il se souvienne, jamais n'avait-il vu cet animal dont le nom lui échappait tenu ainsi, domestiqué de cette façon. La vue de cet oiseau ne lui était pas inconnue certes, déjà les souvenirs du zoo cascadaient dans sa tête. Était-ce un caprice des gens fortunés? Quoi qu'il en soit, il n'avait rien de commun. Puis, il regarda celle qu'il venait de faire tomber. Était-elle blessée? L'attention qu'il avait portée au paon lui avait fait presque oublier cette dame. Les gens autour regardaient, évidemment, ce remix urbain de la belle et la bête, bien que dans ce cas-ci, la bête n'était pas au courant de sa propre condition. Il était un peu sale et on pouvait deviner qu'il n'avait pas mangé depuis un ou deux jours, mais sinon tout allait bien. Il pouvait retourner au repère quand il le voulait.

Sans la moindre parole prononcée, elle ouvre un paquet pour en sortir un pain au chocolat. Pourquoi lui montrait-elle cette viennoiserie? Elles avaient l'air délicieuses, c'était un fait. Était-ce pour lui? Comment savait-elle, d'ailleurs? Une voix confiante et féminine semble s'adresser à lui, confirmant qu'elle l'avait bien vu faire, il y a quelques minutes. Franchement, ce n'était pas nécessaire. Ensuite, son regard rejoint le sien et c'est étrange. Il se connaissait assez bien pour être maître de ses émotions et connaître ses réactions, en général. Alors, lorsque son regard atteignit la dorure de ses iris, quelque chose lui indiqua que ce n'était pas normal. Sans être expressif, il était agacé. Forcément, il la trouvait attirante, mais savait que c'était en partie artificiel, commandé par une force autre que la sienne. Brandissant toujours le pain au chocolat devant ses yeux. Il le prit dans ses mains, se demandant si c'était juste. Elle n'allait pas en manger deux, certes, mais pourquoi lui?

«Je vous remercie, mais je n'ai pas faim. Plus sérieusement...»

Son regard rejoignit le sien et il sentit la même décharge le traverser, encore. C'était plus fort que lui et même s'il tentait de rationaliser cette sensation qui l'habitait, il n'y arrivait pas.

«Quoi que vous fassiez en ce moment, j'aimerais que vous arrêtiez. Je n'aime pas ça.»

Il baissa les yeux. Il avait oublié quelque chose, n'est-ce pas? Ah oui!

«S'il vous plaît, voilà.»

Concentrant ses énergies sur le pain au chocolat, il le sépara en deux avant de se pencher vers la créature qu'elle avait domestiquée. Il lui présenta une moitié de la pâtisserie, le partageant ainsi. Surtout qu'il semblait en avoir plus envie que lui, sur le coup.

«Pourquoi vouloir m'offrir quelque chose? Je n'ai rien fait pour vous, pourtant.»

Ça l'intéressait, ça aussi. C'est vrai, il ne recevait jamais rien de la part des inconnus. Alors, pourquoi maintenant?

fiche codée par perry.