Les talons d’Amanda tapaient joyeusement sur le sol immaculé de No Dawn. La jeune femme était arrivée la veille et avait depuis lors pris ses quartiers dans la partie réservée aux punis, pardon, aux gardiens traqueurs. Puis lorsqu’on lui dit que son petit protégé était réveillé, elle s’était immédiatement mise debout, toute excitée à l’idée de passer à sa phase préférée.
Parce que si Amanda aimait la chasse, elle était encore plus amoureuse de l’idée de cuisiner ses proies.

Lorsque la jeune femme entra dans la cellule de Wisdom, sa robe était plus courte que jamais et ses talons plus hauts encore. La couleur rouge de l’ensemble contrastait violemment avec le blanc des murs, de la blouse du prisonnier, de sa peau pâle à mourir.

▬ C’est donc vous.

Amanda eut un rire cristallin.

▬ Et oui, c’est moi.

Elle avisa l’esquimau qu’elle tenait entre ses mains – denrée rare de chez rare à cette profondeur – et déchira le papier. Elle ne dit rien, prenant le temps de savourer la glace, restant debout devant le prisonnier, assis sur le rebord du petit lit.
Elle sortit la glace de sa bouche et dit :

▬ C’est bien, tu en as de la place ici dis moi. C’est à peu près aussi grand que mon dressing, wouhouh ! Elle tendit son esquimau : tu en veux ? Non ? Bon, tant pis.

Posant à nouveau la glace sur sa langue, elle enchaîna :

▬ Oh et puis tu sais, ici, ça ne sert à rien de pénétrer les murs, au passage. Ni quoi que ce soit d’autres d’ailleurs, dans tous les cas tu vas pas pénétrer grand-chose avant un petit moment...

Léchage de glace plus intensif encore.

▬ Je dis pas ça pour te vexer mais que tu sois là où pas, dans tous les cas y’a que les murs que tu traverses, non ?

Alors qu’elle riait, un morceau de l’esquimau tomba directement dans son décolleté. Elle eut un petit cri de surprise puis récupéra le bout qu’elle mit dans sa bouche.

▬ Je suis vraiment une cochonne, gloussa-t-elle, je mériterais presque une punition... Seulement c’est dommage pour toi, ici, c’est moi qui donne les punitions ! Elle poursuivit : Alors à ce qu’on dit tu es un fantôôôme ! Mais moi je ne crois pas aux fantômes. Alors t’es quoi en vrai ? T’es juste un mutant qui s’éclate à pourrir la vie des gens en faisant passer leur maison pour hantée c’est ça ?

Les larmes chargeaient les yeux de la jeune femme. Ses lèvres peintes de rouge tremblaient légèrement, tout comme ses mains croisées devant elle.
Lorsque Wisdom termina sa tirade, elle laissa même s’échapper une petite larme. Elle posa un regard chargé d’émotion sur le jeune homme et plongea ses yeux de biche dans les siens.
Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose puis... la referma. Lança un immense sourire, toute trace d’émotion quelconque disparue.

▬ Bien, vraiment bien, poignant même. Comme tu le vois ça m’a presque fait faire semblant de pleurer.

Amanda s’approcha et gifla tellement fort Wisdom qu’il saigna de la lèvre. Après quoi elle s’accroupit devant lui et colla presque son visage au sien en parlant en chuchotant.

▬ Tu préfères que j’agisse comme ça, pour une plus grande... crédibilité ? C’est ça que tu voulais ? Que je fasse peur ? Je peux faire peur si tu veux, je peux te frapper jusqu’au sang, te fouetter le dos jusqu’à ce qu’un énorme A s’y imprime, s’arracher des morceaux superflus de tout ton petit corps pathétique à la pince en te regardant souffrir et tout ça sans me départir du même sourire courtois que j’aborde depuis le début de notre petit entretient.

Elle éloigna son joli minois du masque que portait Wisdom.

▬ Mais j’ai décidé d’être clémente, aujourd’hui. Quant à ta condition de mutant, permets-moi de te dire deux choses ; premièrement non, tu ne l’as pas choisie et c’est pour cette unique raison que nous n’avons pas dès aujourd’hui organisé un génocide de la population mutante, parce que c’est arbitraire. Au lieu de cela nous vous offrons juste un séjour prolongé dans No Dawn, complexe 4 étoiles, festif, hein ? La deuxième chose : oui, nous avons peur de vous. Evidemment. Qui n’a pas peur des monstres comme vous qui pouvez tuer d’un battement de cil ou tout brûler en claquant des doigts ? Elle avait dit ça en crachant. C’est pourquoi nous prenons le problème à la racine. Nous coupons court à tout embryon avant de nous retrouver submergés par les abominations que vous êtes.

Amanda fit un pas en arrière.
Elle n’était pas raciste anti-mutant mais les horreurs engendrées par ces derniers qu’elle constatait ces derniers temps la rendaient aigrie.

▬ Quant à toi, ce petit séjour t’aura au moins permis de te rendre compte que tu étais encore bien vivant. Et c’est tant mieux, c’est plutôt difficile de torturer un fantôme.

Amanda partit dans un rire qui sonnait comme le tintement de dizaines de coupes de champagnes. Froid et clair.
Elle claqua des yeux et un garde lui apporta un objet carré drapé d’une étoffe en velours. Elle accrocha le miroir au mur juste en face de Wisdom se s’assit à ses côtés.
Elle bloqua ses deux poignets maigres d’une main et posa son menton sur son épaule.

▬ Allons allons, ta maman ne t’a jamais appris qu’il fallait se découvrir devant les dames ?

Puis elle fit ce qui la démangeait depuis un bon moment déjà.
Elle arracha le masque au visage de wisdom.

A vrai dire, Amanda s’attendait effectivement à une réaction certaine mais peut-être pas aussi violente que celle-ci. Ceci dit lorsqu’elle aperçu le visage que Wisdom devait cacher depuis ce qui semblait être des années, elle eut un mouvement de recul automatique, écœurée par ce faciès qui se rapprochait beaucoup plus du cadavre que du véritable être humain.
Adieu Casper, bonjour Freddy les griffes de la nuit.
Il avait la peau diaphane, de lourds cernes violets, les lèves craquelées, les orbites énormes et creusées, des yeux qui cherchaient sans cesse un point d’accroche sans jamais le trouver, toujours écarquillés dans une expression de détresse pure.
Amanda eut une moue dégoutée et sa légère passade émotive laissa à Wisdom le loisir de se détacher de son étreinte pour briser le miroir. Le détenu fit volte face, l’enserra à la gorge et la hissa contre le mur, force décuplée par la colère qui l’habitait.

▬ ÇA NE PEUT PAS ÊTRE MOI ! TU MENS ! Vous mentez tous. VOUS MENTEZ ! CE N'EST PAS MOI ! PUTAIN, CE N'EST PAS MOI ! ... Je vous en supplie...

Lorsqu’il la lâcha, Amanda s’effondra sur le sol. Des tâches sombres avaient commencé à s’afficher dans son champ de vision, l’air était venu à lui manquer. Pour la première fois depuis de nombreuses années, Amanda eut [i ]peur[/i]. Elle s’était débattue avec vigueur, s’agitant dans tous les sens en gémissant jusqu’à ce qu’il ne la relâche.
Maintenant elle avait de lourdes ecchymoses autour du cou, comme un collier mauve habillant sa nuque fragile. Elle respirait difficilement.
La traqueuse entendit très rapidement des gardes arriver au pas de course pour neutraliser Wisdom.
D’une voix rauque et éraillée, elle hurla :

▬ LAISSEZ-MOI AVEC LUI. Partez !

Avant même qu’ils n’apparaissent dans son champ de vision.
Les pas se firent hésitants, des murmures retentirent. Après tout Amanda était la personne la plus haut gradée à des kilomètres à la ronde.

Wisdom n’avait rien entendu.
Wisdom parlait tout seul.
Wisdom se dégoûtait lui-même, lui hurlant de dire que ce n’était pas lui.
Mais c’était lui qu’il venait de contempler.
Lorsqu’il eut finit son cinéma et qu’il inscrivit en lettres sanglantes I HATE YOU sur un mur de la cellule, Amanda devina qu’il ne parlait pas d’elle. Il se détestait lui-même. Elle en avait déjà fait assez mais elle poursuivit, s’amusant à ce jeu sadique de l’interrogatoire où l’on brisait les suspects aussi facilement que des brindilles et ce sans abîmer d’un doigt leur joli minois.

▬ Oh si, c’est bien toi, susurra-t-elle. Si, c’est toi que tu vois dans chacun des éclats de miroirs. Briser les glaces ne fera pas fuir l’abomination que tu es devenu, Wisdom. Elle s’avança à pas lents, la voix encore abîmée par la strangulation. Tu es devenu un monstre. Tu es une créature affreuse, tu fais peur aux enfants, tu terrifies les adultes, tu es intangibles, tu n’es plus de ce monde. Alors, n’es-tu pas mieux ici, tout compte fait, avec nous ? Elle était très proche de lui désormais, accroupie en face de son visage répugnant. Nous allons t’aider. Nous allons t’aider à devenir quelqu'un d'autre, à sortir ces voix de ta tête.

Elle se releva. Sa voix se fit mielleuse, sucrée.

▬ Et tant pis si pour cela il faut les extirper en collant une perceuse au fond de ton crâne.

Amanda s’approcha de Wisdom en serrant la mâchoire, offrant à sa vue son cou désormais bleui par les hématomes. Elle siffla entre ses dents, furieuse :

▬ Qu’est ce qui te fait croire que je me préoccupe de ton nom, du choix mystique qui t’a poussé à choisir Wisdom alors que tu n’es que Madness ? Qu’est ce qui te fait croire que je ne sais pas tout de toi, que nous n’avons pas relevé ton ADN et que je ne sais pas, peut-être que je connaîtrais ton vrai nom, celui de ta défunte princesse ? Peut-être que je sais tout de toi. Et toi tu ne sais rien.

Amanda s’approcha plus encore. Une émotion étrange se lisait sur son visage. Elle gomma instantanément ce qu’elle laissait échapper pour reprendre son masque de cruauté.

▬ Je m’appelle Amanda. Et, je suis ravie de te rencontrer aussi...

Elle marqua une pause et planta son regard gris clair dans celui de Wisdom, à travers les fentes de son masque, seul rempart face au reste du monde. Elle pourrait le briser si facilement. Lui et son masque.

▬  ... Denbe.

Au moment même où elle prononça ces deux syllabes, un CLAC imposant retentit et les projecteurs installés partout dans la cellule se mirent en route. Sur toutes les surfaces de la pièce ; plafond, murs, sol compris ; étaient projetés un visage. Le même visage. Partout. Un visage triste, ravagé par la folie et la solitude. Celui d’une jeune femme.

▬ Tu n’as pas aimé voir ton propre visage, Dende. Oh, tu vas détester voir celui de ta tarée d’amoureuse.

Elle cracha presque ces quelques mots :

▬ Ou plutôt devrais-je dire ta sale suicidaire de sœur.

La diffusion des images d’Akane n’eut pas l’effet escompté sur la folie de Wisdom.
A vrai dire, étrangement, ça l’apaisa.
Mais Amanda avait tout prévu.

Elle le laissa parler.
Elle le laissa poser ses questions, s’interroger sur sa place chez les traqueurs.
Amanda répondit du tac au tac.

▬ Vous me répugnez. Vous êtes aussi malades que des lépreux et vous pavanez. Et vous vous en vantez. Vous êtes une peste qui ronge le Japon. Une variole qui a fait vaciller l’ordre dans Tokyo, un choléra qui menace l’humanité toute entière. Votre mutation vous ronge le cerveau, tout juste comme toi Wisdom. Et qui voudrait d’une nation faite de gens comme toi ?

Amanda tourna les talons, faisant claquer ses Louboutins sur le sol immaculé. Elle claqua la porte de la cellule derrière elle puis, semblant brutalement se rappeler de quelque chose, elle passa son beau visage entre les barreaux.

▬ Oh, et, Akane ne s’est pas suicidée. Bon séjour parmi nous, Sagesse.

Elle actionna un interrupteur et l’image projetée changea. On pouvait voir un petit film dans lequel Akane était dans sa chambre, paisiblement, quand un individu s’introduisait dans la pièce et poignardait de deux coups de couteaux sanglants l’abdomen de la jeune femme.
Juste comme dans le rapport d’autopsie.

Bien sûr c’était un montage.
Mais comment Wisdom l’aurait-il su ? Il était convaincu de la véracité du meurtre quelques secondes plus tôt.

Amanda fit quelques pas pour s’éloigner de la cellule de Wisdom, un sourire satisfait aux lèvres. Elle actionna l’oreillette discrète qui habillait son oreille et lança :

▬ Alors ? J’espère que vous êtes satisfaits, et que vous ne viendrez plus remettre en question mes capacités, ni ma rigueur.
▬ Merci Mlle Hatsuyo, vous nous avez convaincu, votre évalutation est terminé.

Amanda hocha la tête et arracha son oreillette.
Elle s’éloigna, entra dans les toilettes des détenus où elle brisa la caméra.

Il lui fallut quelques secondes.
Quelques secondes avant qu’elle ne fonde en larmes. Ses jambes lâchèrent et elle tomba sur la cuvette fermée, hurlant contre ce foutu blanc de merde qui l’aveuglait de partout. Elle pleurait parce qu’elle haïssait ce qu’elle venait de faire. Parce qu’elle haïssait son métier. Parce qu’elle haïssait sa stupide décision de signer pour les traqueurs. Parce qu’elle haïssait sa foutue envie de reconnaissance et de traque qui l’avaient poussée à accepter. Pas parce qu’elle haïssait les mutants.
Parce qu’elle se haïssait tout court.

Amanda venait de briser un homme parce qu’on lui avait fait comprendre que si elle ne faisait pas, ce serait à son tour de finir dans une cellule, avec comme seules capacités cérébrales la possibilité de respirer et d’ingurgiter ce qu’on lui proposerait.

Elle se sentait faible.
Elle était faible.
Elle se haïssait.


Elle essuya le mascara qui avait noircit ses joues et repassa ses lèvres avec du rouge à lèvre éclatant. En quelques secondes, Amanda était revenue.
Comme quoi, qui aurait cru que le fond de teint pouvait redonner à une statue brisée son apparence éclatante ?