android.

Assis sur les marches d'un bâtiment, tu regardes le ciel s'assombrir un peu plus à chaque minute. L'air frais de fin de journée vient te chatouiller le visage et secouer la fourrure de ta capuche. Tranquillement, tu pousses un soupir, rabattant ton casque sur tes oreilles et ta capuche par dessus. Machinalement, tu mets en route une musique choisie par aléa et tu te lèves. Il est temps de te trouver un endroit pour passer la nuit, comme tous les soirs. Sauf que ton seul plan n'est pas en ville avant la semaine prochaine, fait chier. Tu grognes et avance dans une rue hantée par les grandes ombres des quelques arbres plantés ici et là, ton sac bien installé sur son épaule. Tu passes en revu les visages et noms qui pourraient t'aider et constate avec une mine renfrognée qu'ils se comptent sur les doigts d'une main. Une main. C'est pas énorme. C'est rien en fait. Que dalle, et t'en rigoles presque ironiquement. Hahaha...haaaa, putaaain. Quelle merde. Tu fais tinter quelques pièces dans la poche de ton manteau, les comptant en devinant leur valeur en glissant la pulpe de tes doigts dessus, caressant la surface. Comme tu t'y attendais, c'est pas la peine d'aller à l'hôtel ce soir. Tu sais pas si c'est toi qu'est trop pauvre, la société qu'est trop cher ou même les deux. Ouais, ça doit être ça, les deux.

Bordel. Ça fait combien de temps que tu marches comme un ectoplasme perdu dans l'espace ? T'as oublié, t'as arrêté de compter, en fait. Tu baisses un peu le volume de ta musique avant qu'un autre bruit n'attire ton intention. Un bruit familier. Un bruit de coups, de cris. Un bruit de bagarre. Et irrésistiblement, ça t'attire. Pas que t'aimes te battre, mais t'as rien à perdre à voir ce qui passe. Alors furtivement, sans bruit, ton corps félin longe les murs, le cou tendu vers l'avant pour apercevoir ne serait-ce qu'un mouvement. Et tu te vois servi plus que nécessaire. Un grand bonhomme plutôt bien monté, au larges épaules, s'amuse à tabasser un autre mec beaucoup plus petit et gringalet tandis que deux autres le regardent, l'air méfiant. Tu ricanes silencieusement devant cette triste solidarité. Et puis ça te rappelle aussi le petit Ishi, ton passe temps quand tu t'ennuies. Un gars que t'avais rencontré il y a quelques temps et qu'est devenu un peu ton souffre douleur. Mais au fond, tu l'aimes bien le petit Ishi, il est sympa. Tellement sympa qu'une putain d'idée vient de te monter à la tête : Le petit Ishi va t'héberger dès que t'auras posé un pied dans son appart. Qu'il le veuille ou non, tu sauras lui imposer ta demande. Même la méthode forte passera très bien. Tu tournes les talons avec un enthousiasme nouveau et quitte la ruelle pour te diriger vers son adresse, un sourire presque malsain figé sur tes lèvres.

Ok, c'est bon, t'es devant la porte. Le souffle rapide par les deux escaliers que t'as gravi rapidement, tu appuies sur la poignée en constatant que c'est ouvert. Naïf jusqu'au bout le Ishi, tu commentes intérieurement en te moquant déjà de lui sans même l'avoir encore dans ton champ de vision. Parfait. Tu rentres en referment soigneusement derrière toi, regardant autour de toi en sifflotant.

« Putain, il est où le frigo ici ? »

Tu devines où est la cuisine, ouvrant la porte de l'objet convoité pour en sortir une bière. Tu poses la canette froide sur ton front en soupirant avant de te diriger vers le salon et décapsuler ta boisson. T'en avales deux-trois grandes lampées en découvrant le jeune homme sur son canapé, ne te faisant pas prier davantage pour te laisser tomber dessus, le saluant d'un bref signe de la main.

« 'lut. »

Tu finis la première moitié avant de t'essuyer la bouche d'un revers de la main, t'enfonçant dans le canapé moelleux après avoir jeté ton sac par terre.

« Dis, ça te dérange pas que je squatte chez toi un moment ? Hein ? Pas de réponse, je prends ça pour un oui, donc. Super, je dors où ? » t'enchaines rapidement pour ne pas le laisser refuser ou en placer une. Et tu t'amuses un peu en devinant la surprise de te voir débarquer comme ça chez lui, sans aucune gêne. Ouais, ça t'amuse.

heart anthem.

Quelques secondes s'écoulent, le sablier est passé en mode ralenti. Ce ne sont pas des centaines de petits grains qui tombent en même temps mais un à la fois. Tic. Tic. Bordel, réponds, dis quelque chose mais me fous pas un plan.

Il a l'air choqué, surpris, le petit Ishi. C'est bon à lire sur son visage, ça t'amuse. Tu ricanes même, de façon un peu sinistre avant de t'arrêter sous le touché de sa main. Là, juste sur ton épaule. Il fait quoi ? D'où se permet-il de te toucher, le gringalet ? Tu arques un sourcil légèrement, coulant ton regard vert vers le sien. Oi, mec, retire ta main, tout de suite. Mais il fronce les sourcils. Oh, est-il mécontent de te trouver ici ? N'est-il finalement pas prêt à se plier à ton petit caprice ? Ose refuser et je te jure que...

« Sors de chez moi. »

C'est sec, c'est froid. Cassant. Mais en vérité, ça ne t'atteint pas plus que ça, bien que tu ne l'attendais pas forcément, venant de sa part. Tant pis, ça rajoute un peu de piment, haha. Et puis c'est une bonne raison de le taquiner voir de le bousculer un peu. Ça fait longtemps que tu t'es pas défoulé sur ton petit souffre douleur personnel. Tu fixes son froncement de sourcils avec un brin de perplexité. C'est qu'il serait presque mignon avec cette petite ride sur le front, ça lui va bien. Ta main se lève, se pose sur la sienne pour l'étreindre. Non pas amicalement, juste fermement, la pressant jusqu'à sentir les os de ses doigts bien distinctement sous la pulpe des tiens. Tu veux lui faire comprendre que non, ça ne va pas se passer comme il veut, comme il l'espère. C'est toi le dominant ici. Ton faciès se retrouve gommé de toute expression amusé ou ironique. L'air sérieux te va bien, et tes yeux revolvers se plissent presque vicieusement, regardant ton camarade intensément.

Non, tu peux te brosser, je bougerai pas.

Mais tu décides de te la jouer encore provoque, retirant sa main de ton épaule en la lâchant ensuite.
Mais il se lève avant même que tu puisses rétorquer quelque chose. Putain, il se prend pour qui le morveux ? Il va t'écouter et t'obéir. De toute façon, tu vas pas lui laisser le choix, il est hors de question que tu dormes encore dehors avec tous les mecs craignos du coin. Noway.

Alors tu te lèves à ton tour en ramassant ton sac au passage, avalant d'une traite le reste de la canette avant de la claquer sur la table basse. Et tu suis sa fine silhouette se glisser silencieusement dans l'appartement pour le rejoindre.

Plutôt sympa, la baraque. Tu sens déjà que tu vas te plaire ici. Mais avant, tu vas lui remettre les idées en place.

« Chez toi ? De quoi tu parles ? C'est chez nous, maintenant. »

T'appuies bien sur chaque mot et plus particulièrement sur le pronom personnel et le complément de temps. Tu détaches soigneusement chaque syllabe. D'un ton ferme aussi. Et tu croises les bras sur ton torse, décidé à ne pas bouger de là, de ne pas mettre ne serait-ce qu'un seul orteil hors du logement. Tu ne respireras pas d'autres airs non plus que celui qui se trouve dans la pièce. Et à force de lui faire subir toutes sortes de belles crasses, il devrait savoir que tu es indéniablement têtu. Et inflexible. Quand tu veux quelque chose, tu l'as. Alors mon coco, la meilleure chose que tu as faire, c'est de me laisser squatter ton chez toi, si tu ne veux pas à avoir à confronter des conséquences dramatiques. Ouais, parce que quand t'es en colère Kyo, t'es une vraie salope. Et tu le sais ça, tu l'assumes pleinement. Et tu ne vas pas faire de favoritisme avec ton Shishi adoré, noooon. Même si tu souhaites ne pas trop l'abîmé. Il est fragile mais peut s'avérer être pas mal utile pour ton bon compte, finalement. C'est ce genre de chose que tu repères très vite chez les gens ça. Et avec lui, tu l'as bien compris aussi.

requiem.

Il sait pas ce que c'est lui, de vivre à la rue. Il sait pas ce que c'est lui, d'être livré, seul contre tous. Non, il sait pas ce que c'est de n'avoir plus aucun soutien, pas même un toit pour dormir, pas même un morceau de pain pour se nourrir. Il sait pas ce que c'est de vivre sans un rond, dans une situation merdique. Il sait pas ce que c'est d'être un pur enculé que personne veut plus aider à force des crasses accumulés. Ça t'apprendra à faire de sales coups au gens en sachant pertinemment que ça va finir par te retomber dessus. Quel con tu fais.

Tu plisses les sourcils. Et tu vas continuer à agir comme tel. C'est le seul moyen.

Le seul moyen de survivre.

Alors, comme si on avait jeté une glu perpétuelle sur le pauvre Ishi, parfaite allégorie de ton être, tu le suis. Avec un léger sourire fantôme, tu écoutes son inaudible « dégage de là, connard ». Il ne l'a pas dit concrètement, tu le sais, mais c'est comme si ça émanait de lui, qu'il le pensait très fort. Ça fait vibrer un peu plus ton esprit d'éternel égoïste et provocateur. T'en as pas fini, la tentation de le pousser encore un peu plus, jusqu'à bout même, te hante. Putain, qu'est-ce que t'en as envie. Tu penches légèrement la tête en le regardant, plissant les yeux, comme amusé. Il se mordille la lèvre doucement. Tentation. Tentation.

Non...
Tu ne devrais pas abuser de lui sur tous les fronts, ça en deviendrait presque malsain. En fait, ça l'est déjà presque, la façon tu joues de lui. Mais tu ne peux pas t'empêcher de fixer intensément son faciès, essayant désespérément de percer ce qu'il pense, ses ressentis, son impression... Tout. Tu veux le cerner entièrement, complètement, pour toujours mieux le coincer ensuite. Mais c'est dur parfois, comme là, mais tu persistes. Tu persistes sur tout, comme toujours, parce que t'es juste un putain d'obstiné de la vie. Même pour un détail futile. T'aimes être un maniaque du contrôle, tout savoir.

Marionnettiste, tu as à chacun de tes dix doigts des fils invisibles que toi seul peut voir. Des fils spirituels. Ça ne marche pas sur tout le monde, même si tu excelles en cette matière en tant qu'affabulateur hors pair.

« Ne dis pas n'importe quoi, ça n'a jamais était notre chez nous et puis je n'ai pas besoin de colocataire donc tu peux partir. »

Lui aussi, est obstiné. Ça te surprend, cette fois. C'est rare qu'il te tienne autant tête, et tu en es presque admirateur car tu sais qu'il sait que tu sais qu'il te craint. Oh, complexe. C'est vrai qu'à chaque fois que tu y repenses, même si au fond tu lui voues une certaine affection en tout point insensible et imperceptible, tu finis par lever le poing sur lui. Par moment, tu le regrettes un peu, t'y vas pas de main morte des fois. À ton tour de calmer tes ardeurs et de te bouffer la lèvre inférieure en le fixant, te renfrognant un peu. Au fond, quand tu le veux réellement, t'es pas un sale type. Mais vraiment au fond, genre. Et là, t'as un peu pitié. Doucement, tu soupires et passe une main dans tes cheveux ébouriffés naturellement, réfléchissant un peu. Mais quelque chose te perturbe. Son expression a changé, tu le sens. Ses yeux parcourent la pièce. Il cherche quelque chose... Quoi ? Va t-il essayer une action contre toi ? Cette simple pensée te ragaillardit de nouveau et tu redresses la tête, le visage un peu crispé.

Non. Résiste. Tu n'as pas le droit. Tu ne dois pas...

Ta main a attrapé son col sans même que ta réelle volonté terrée en toi ne monte à ton cerveau. Tu veux pas que ça se finisse par quelques tâches de sang sur son haut et sur tes poings. Tu ne veux pas le briser davantage. Mais tu ne veux pas finir à la rue, seul, avec la conscience que des mecs plus forts que toi veulent ta peau. Tous ces gangs, quelle merde, putain.

« Je te jure que je veux pas en finir là, Ishi... Alors laisse moi... Fais moi dormir par terre si tu veux, je m'en fous, c'est juste pour un temps. »

Malgré ton geste agressif, ta voix est plus posée, presque un brin craintive et suppliante. Putain le comble, t'agis juste comme un sacré soumis. Avec lui en plus. Tu dis silencieusement au revoir à ta crédibilité, ta survie passant avant ton peu de dignité. Lentement, mais fermement, tu le pousses vers le mur derrière pour le bloquer de toute issue possible.

« Me laisse pas crever dehors, putain... »

Tu plantes tes yeux revolvers dans les siens. Tu sais que ton regard est sincère. Tu sais que tu passes pour une sous-merde. Mais là, t'en as vraiment besoin.

sweet dreams.

Silence insupportable, tu quémandes une réponse par un regard insistant, un brin apeuré. T'aimes pas ça, ce soudain inversement de rôles. T'es passé du dominant au presque soumis. Et avec Ishi, le comble. Tu ne sais même plus vers qui va ce flot d'insultes qui traverse ton esprit. Connard, connard, connard.

Mais réponds putain. Ou je te finis.

La simple pensée qu'il se moque peut être intérieurement de toi te fait bouillir sur place. Littéralement. Ça te consume le peu de dignité qui te reste. Mais son faciès ne montre pas l'ombre d'un quelconque amusement devant ton pitoyable spectacle. À croire qu'encore un peu et tu serais prêt à lui lécher les pieds. Une sacrée claque mentale pour toi, cette humiliation. Une chance que ça soit chez lui. Et tu lui préciseras après qu'il ne vaut mieux pas que ça sorte d'entre ses murs. Pour lui et sa jolie gueule d'ange. Jolie gueule que tu hais avec cet air de penseur qui te tord l'estomac un peu plus. Tu tiens plus, tu sais pas si tu dois attendre, le frapper, te barrer pour qu'il oublie ton semblant de supplication. Enfin, après ce qui t'a semblé une éternité, il penche la tête légèrement vers son épaule pour la secouer. Ce geste tend tout tes muscles d'un coup, tressaillant devant cette réaction bien que minime bien que tu ne scilles pas. Tu restes de glace malgré toi et ton envie d'exploser. Et après ce simple signe, il replonge une nouvelle fois dans un silence oppressant.

Putain, retiens toi Kyo, retiens toi. Non, lui bouffe pas la gueule à coups d'incisives, tu vaux mieux qu'un clébard enragé. Les poings, c'est plus propre. Non, castre le avec le tiroir. Ou... Putain ta gueule, conscience de merde.

Enfin, il soupire discrètement, son souffle venant mourir sur ton visage crispé tandis qu'il braque ses yeux bleus dans les tiens, subtil mélange de cette même couleur et de vert.

« Tu trouveras des couvertures et un oreiller dans le placard là-bas... » finit-il par te dire, l'air passablement désespéré, te montrant un placard coulissant du regard. « Tu peux dormir sur le canapé vu que je n'ai qu'un seul futon. »

Ton ton être frémit et tu jubiles sous silence, intérieurement. Tu viens sûrement de gagner quelques jours sans traque ni quelconque danger supplémentaire. Parfait. Tu te permets de te détendre enfin, relâchant tes muscles un peu endoloris. Tu fais lentement rouler tes épaules en les haussant dans un geste circulaire avant de reculer, laissant son col en paix. Ta main vient même lui asséner une petite tape sur le haut du bras, en signe de remerciement et de reconnaissance. C'est plus facile que les mots quand on est un mec de ton genre. Mais ta conviction s'affirme un peu plus : t'as beau le martyriser, lui faire mal, au fond c'est vraiment un chouette type, Ishi.

Mais la fatigue te rattrape et te rappelle à l'ordre. Alors dans un dernier regard sincère à son égard, tu te diriges vers le rangement à la porte coulissante pour l'ouvrir et sortir une couverture et un oreiller. Ton sac sur l'épaule, tu sors de la chambre sans te faire prier, pour ne plus le déranger, te dirigeant vers le salon.

« Bonne nuit, Ishi. » tu murmures dans un dernier effort.

Pour aujourd'hui. Car tu sais que tu devras en faire d'autres. Tu sais que tu devras lui rendre dignement le cadeau qu'il t'offre là. T'as qu'un sale égoïste, un crevard, un bon à rien. Mais quand il s'agit de gratitude, tu rends jusqu'au bout ce qui est mérité. T'as au moins ce sens de justice en toi.

Parce qu'au fond, tout au fond de toi, t'es pas mauvais que ça.