Maho jubilait. Littéralement.
A 21 elle venait d’obtenir sa toute première voiture. Elle qui travaillait jusque tard le soir dans des quartiers pas forcement bien fréquentés était plus qu’heureuse de son acquisition. N’ayant pas des moyens illimités elle avait pris un premier prix de chez Motors District, mais cela lui convenait, de toute façon tout était mieux que de se taper les crados bourrés des trains du soir.

Bref, toute contente elle sortit de la concession automobile au volant de son bolide vert. Elle ne fit même pas deux kilomètres qu’elle rencontra violement un abruti fini qui lui avait grillé la priorité, sa pauvre voiture finit sa course elle allant se fracasser contre un mur. Un peu sonnée, mais sans aucune blessures, la demoiselle sortit difficilement de sa voiture, hurlant sur le pauvre homme responsable de l’accident. L’affaire fut cependant vite entendue, notamment grâce aux deux témoins présents, la dépanneuse fut vite appelée et la question de l’assurance réglée. Heureusement pour Maho, elle devrait pouvoir s’en sortir à moindre frais.

L’homme put repartir n’ayant finalement eu que peu de dégâts, mais la jeune mutante n’eut d’autre choix que d’attendre la dépanneuse qui la conduisit au garage le plus proche. Une fois arrivée elle se rendit à l’accueil où on lui fit remplir les formalités d’usage.

Elle se rappela soudainement avoir laissé ses clefs d’appartement dans la boite à gant, râlant comme pas deux elle se rendit à l’atelier où sa pauvre voiture bien amochée reposait. Malheureusement pour elle la portière du côté passager était trop enfoncée et refusait de s’ouvrir, en jetant un coup d’œil à l’objet de sa convoitise elle se rendit compte que la boite s’était déformé sous le choc et était de ce fait inouvrable.

« Et je fais comment moi maintenant ? »

Chauffard ! Et BOUM !

Une tâche de cambouis lui tomba dans les sourcils et il l'essuya d'un revers de gant, jurant dans sa barbe. Ça allait mettre des plombes à partir. Rei se concentra de nouveau, levant les yeux sur la carlingue qu'il réparait, repérant la fuite et la corrigeant d'un coup de clef à molette. On tapa sur le sol et il fit rouler la planche sur laquelle il était allongé, sortant du dessous de la carcasse métallique.

« On a une Motor District en chemin, carrosserie emboutie, possiblement l'axe avant qui foire et le moteur qui fait des siennes. Rien de bien grave apparemment, le patron veut que tu t'en occupes fissa avant de reprendre celle-là. »

Satoshi pointa du menton la voiture que Rei réparait quelques instant plus tôt. Rei fit la gueule. Il n'aimait pas laisser un travail en plan pour en commencer un autre. Son boss le savait, Satoshi le savait, tout le monde le savait. Mais non, on le faisait quand même chier. Connards de collègues. Le mécano ne dit rien mais le ricanement amusé de Satoshi l'informa que son expression transmettait parfaitement ses sentiments.
Il quitta l'atelier abritant les voitures nécessitant des réparations lourdes pour aller vers le hangar avant, celui où la dépanneuse déchargeait ses trouvailles les moins fracassées. Patientant, Rei se mit à jongler avec les différentes clefs qu'il avait à la ceinture, regrettant d'être entouré d'autant d'essence. Il se serait bien fumé une petite clope.
Le Monstre arriva. Tout le monde l'appelait le Monstre parce que leur dépanneuse était parmi les plus imposantes de Tokyo et on les appelait souvent pour tracter des poids lourds ou des convois spéciaux. C'était la petite fierté du patron, le Monstre. Et c'était un vrai cauchemar quand il tombait en panne.
Rei observa la voiture depuis le mur où il s'était adossé. Tout l'aile gauche était enfoncée et éraflée, la roue avant gauche était tordue à un angle passablement étrange et Rei s'imagina rapidement la scène et les autres problèmes qu'aurait pu subir la voiture. Il s'en approchait quand une jeune fille le devança, faisant le tour de la carcasse pour tenter d'ouvrir la portière côté passager. Bon prince, il la laissa s'escrimer avec quelques minutes avant de prendre un pied de biche, de s'approcher et de lui dire de se décaler.
Trois secondes après, il avait sorti la portière de ses gonds en lui imposant un mouvement de levier brutal à l'aide du pied de biche.
Le blond donna un coup de pied dans la carlingue au sol puis se tourna vers la jeune fille, ne cachant en rien son agacement.

« Tiens, prends c'que tu cherches et tire toi. »

Puis marmonnant pour lui même, alors qu'il ouvrait le capot pour évaluer le sinistre.

« Ca devrait être un crime de laisser une femme conduire une bagnole de cette marque. Sérieusement, elle sort à peine de l'usine, qu'est-ce que tu foutais pour qu'on te l'emplâtre comme ça ? Tu t'remaquillais dans le rétro ? »

Oui, Rei et la relation client, ça fait quinze. C'est pour ça que le patron le laissait jamais s'approcher d'autre chose que des voitures. Sinon, il était capable d'incendier tous les abrutis défilant au garage à cause de leur conduite désastreuse mais blâmant toujours la faute sur l'autre.

Cinq minutes que tu t’escrimais sur cette pauvre portière. Okay la voiture et toi n’avez pas encore eu le temps de vous apprivoiser, okay tu l’as envoyé faire l’amour avec le mur dix minutes après avoir pris le volant pour la première fois … Mais était-ce une raison qui justifiait que la portière ne veuille pas s’ouvrir ? Non clairement pas !
Bref, tu psychotais grave en attendant.

A croire que dieu ne t’avais pas totalement abandonné. Un des mécanos du garage te fit te décaler, et trois seconde plus tard la maudite portière s’écrasa au sol et se fit envoyer valser comme une malpropre.
Pleine de bonnes intentions tu t’apprêtais à remercier l’homme qui venait de sauver ta soirée, mais tu ne pus même pas ouvrir la bouche qu’il t’envoya chier, royalement.

Pas forcément en position de force, tu te retins de répondre. Marmonnant juste un bref merci tu te penches dans ce qui fut ta voiture pour ouvrir la boite à gant, enfin essayé de l’ouvrir. Dur mission vu comment l’état de la boite.

« Ça devrait être un crime de laisser une femme conduire une bagnole de cette marque. Sérieusement, elle sort à peine de l'usine, qu'est-ce que tu foutais pour qu'on te l'emplâtre comme ça ? Tu t'remaquillais dans le rétro ? »

Et voilà qu’il s’y met l’autre. Il va passer son temps à se plaindre ou quoi ? Tu n’étais pas forcement d’humeur à entendre un mec que tu ne connais ni d’Eve, ni d’Adam critiquer ta conduite. Tu avais déjà assez eu la frousse quand tu as dérapé vers le mur, sans que tu n’es plus le contrôle de quoi que ce soit.
Frustrée comme pas deux, tu te mets à marmonner un peu trop fort.

«  Un mec pareil on devrait pas le laisser parler.  Surtout pour raconter de tels conneries.»

En même temps tu arrêtes de te battre avec le battant défoncé. Tu sors un peu trop précipitamment de l’habitacle, te cognant la tête au passage. Énervée, tu te masses la tête en grognant. N’étant pas d’humeur à faire le moindre effort, tu fais léviter le pied de biche vers toi en ayant la ferme attention de faire sa fête à la maudite boite.

Chauffard ! Et BOUM !

Je plisse les yeux, j'observe et je danse la samba intérieurement. Le moteur luit le neuf et il ne semble pas avoir trop souffert, si ce n'est quelques bosses et torsions pas très nettes. Ce s'ra déjà ça de moins à retaper. Plus vite je torche cette réparation, plus vite je peux reprendre celle sur l'Audi et ça c'est tout bénef' pour mon salaire. Le capot claque quand je le referme, m'empêchant presque d'entendre le "bong" ridicule que fait la tête de la rouquine quand elle se mange le toit. Un rictus m'échappe. Mais pas plus. Me foutre de la gueule des clients c'est mauvais pour le business.

J'ignore sa répartie marmonnée parce que, moi, je suis au dessus de ça. Les insultes et les piques, c'est mon quotidien, m'voyez, alors qu'elle y aille, j'attends que ça. Puis si elle fait preuve d'imagination, peut-être que ça en vaudra la chandelle.
Je me dirige vers un frigo sale, ouvre le compartiment congélateur et en sors une poche de glace. Vu le nombre de brûlures, coupures et autres merdes qu'on se tape dans ce putain de garage à la con, les poches de glaces sont les seuls trucs nous permettant de rester en vie, à moi et aux autres gars. En plus, par cette chaleur, ça devient carrément une question de survie. Je ramène mon sac de glace, me place derrière Miss Lévitation et le lui pose sur la tête avec délicatesse.

« Ce serait con que ça enfle. »

Curieux, j'observe le pied de biche.

« C'est ton pouvoir ? Bordel, ça au moins c'est pratique, pas comme ma connerie de mutation. Tu ferais fureur ici. Putain, ce serait juste parfait en fait. Eh, ça te dirait pas de m'aider pour une autre bagnole ? »

Je lui offre un sourire poli, celui qu'on m'oblige à prendre quand c'est moi qui doit tenir la boutique en nocturne et qu'un client débarque. Je lui souris comme un type sympa, comme si je n'avais jamais insulté sa conduite et sa condition de femme, parce qu'il parait que quand on sourit, les gens ont plus de chance de nous apprécier. J'me dis que ça passera peut-être.

Tu te sentais un peu comme un personnage de dessin animé, avec une bosse qui te poussait tel un gros champignon sur la tête. Et en plus, tu étais sûr que le mécano devait bien se marrer. Pauvre petit fille totalement parano.  
Légèrement obsédée par tes clefs qui se refusent à toi, tu envoies valser le battant de la boite à gant, appuyant de toutes tes forces sur la barre de fer. Extrêmement fière de ton coup, tu n’avais absolument pas remarqué que l’homme qui s’occupait de ta voiture était derrière toi. Fatalement, lorsque la poche de glace touche ta tête de rouquine, tu manques de faire un bon et de pousser un cri.

« Ce serait con que ça enfle. »

Tu ne t’attendais clairement pas à ce qu’il fasse preuve de délicatesse, ni même à ce qu’il te donne la moindre poche de glace. Misogyne mais pas si con ? Mh, à méditer. En même temps ça a le don de calmer tes nerfs en pelote. Curieuse tu tournes la tête.

« C'est ton pouvoir ? Bordel, ça au moins c'est pratique, pas comme ma connerie de mutation. Tu ferais fureur ici. Putain, ce serait juste parfait en fait. Eh, ça te dirait pas de m'aider pour une autre bagnole ? »

Profiteur en fait. Pour le coup tu doutes que son excès de gentillesse ne soit dû qu’à un intérêt pour tes pouvoirs. Gardons foi en l’humanité. Tu fais la moue en regardant son sourire, mouai …

«  Avouez, vous êtes un misogyne bipolaire qui vient de se faire larguer ? »

Le tout avec un grand sourire, s’il vous plait merci ! L’air de rien, tu lèves une main et gardes la poche de glace bien collé contre ta tête. Histoire qu’il te la reprenne pas.
Tu te demandes cependant s’il ne te prenait pour un pigeon sur les bords ?
Remarque, t’en es un.

«  Enfin bon, j’vois pas en quoi je peux être utile. Mais pourquoi pas. »

Maho, t’es trop conne. Allez, fais un effort et passe pas pour une débile niaise.

« Mais vous retirez ce que vous avez dit sur les femmes. C’pas beau les préjugés. Vous qui êtes un si parfait commercial, ça gâche le charme. »


Tu te demandes bien pourquoi tu acceptes sans trop rechigner. D'un certain côté, il a plus à y perdre qu'à y gagner ...

Chauffard ! Et BOUM !

«  Avouez, vous êtes un misogyne bipolaire qui vient de se faire larguer ? »

J'éclate de rire pour le coup. Au moins, je lui reconnais qu'elle ne se démonte pas facilement face à un comportement étrange. C'est cool. Mon agacement s'apaise un peu et je décide d'être plus sympa avec Miss Lévitation, parce que j'suis comme ça, grand prince. Négligeant de lui répondre, je m'étire rapidement, secoue le bas de mon t-shirt histoire de faire ventilation parce que je crève de chaud sous ce putain de hangar plein de tôle, et me dirige vers l'autre atelier, celui où je bosse habituellement. D'un mouvement paresseux de la main, je lui fais signe de me suivre quand elle termine de mettre en doute son utilité.

« Ma grande, j'ai une voiture tellement ruinée qu'aucun des bras mécanique ne peut la toucher sans risquer de l'endommager encore plus et les systèmes d'élévations basiques ne sont pas adaptés. Pourquoi se casser le cul à réparer un truc aussi fracassé me diras-tu, et je te répondrai que mon boss est un rapiat et que ce client paie gros, très gros, pour qu'on lui remette sa bagnole en l'état. En général, faut pas chercher, l'argent est la plus puissante des motivations face à l'impossible. »

J'ouvre le chemin jusqu'à un coin de l'atelier où s'alignent une Audi, une Motors District d'une classe bien supérieure à celle de la rouquine et une Jaguar. Mes trois boulots simultanés. Ou plutôt mes deux réparations et mon épave. La Jaguar est dans un état tel qu'on pourrait la croire sortie d'une décharge. Et pourtant, plutôt que de s'en acheter une autre, son putain de proprio veut la remettre à neuf, tout en sachant que ça lui coûtera plus cher. Mais non, monsieur y apporte une valeur sentimentale vous comprenez, elle est plus précieuse que sa vie, m'voyez. C'est pour ça qu'il a laissé l'une de ces connaissances complètement torchée la conduire et l'encastrer dans un camion puis fracasser une rambarde de sécurité avant qu'elle ne tombe du pont de la voie rapide qu'elle parcourait. La logique même.
Je m'arrête devant le squelette métallique et soupire.

« Je retire c'que j'ai dit plus tôt. C'est un gars qui conduisait ce bijou et regarde un peu c'qu'il en a fait. Donc ouais, statistiquement parlant, les femmes sont quand même plus prudentes. »

Je m'approche du côté conducteur, frôlant la tôle déchirée et fondue aux endroits touchées par le feu déclenché lors de l'impact. Je me penche par le trou où se trouvait autrefois une vitre et observe le tableau de bord avant de me reculer en grimaçant. T'ain, ils avaient même pas été fichus d'enlever les dents encastrées dedans. Je retourne vers Miss Lévitation en retroussant ma manche droite, qui commençait à se dérouler, la mécréante.

« Faut que tu comprennes par contre, si tu acceptes, va falloir que tu passes régulièrement. J'me doute bien que t'es pas une ressource illimitée et crois moi, il va en falloir du boulot avant que je puisse au moins la foutre sur un pont élévateur. En échange, j'peux te retaper ta caisse gratis. T'en dis quoi ? »

Je l'observe patiemment, penchant la tête sur le côté. Si elle refuse, je pourrai comprendre. Ca doit pas être folichon de s'imaginer coincée ici à rien faire sinon s'épuiser pour qu'un autre puisse faire son job. En tout cas, moi, ça me ferait chier. Puis elle doit avoir d'autres choses à faire. Mais bon sang, si jamais elle m'aide, je promets de ne plus jamais m'énerver contre les conductrices qui défilent au garage.