La brise se faisait pinçante, comme si chaque parcelle de sa peau était devenue une plaie. Ses larmes étaient de l'acide, elle était enfant de douleur. Elle rêvait de grands paysages, des montagnes brumeuses , l'envol du soleil, la course de la lune. Protégée, elle y serait inaccessible. Ses poumons voulaient exploser, elle se sentait écrasée par le poids de l'oxygène. Dans ses mains, Fénèbe ne bougeait plus depuis trop longtemps déjà. Dans sa tête, les voix s'étaient même tues. Elle se sentit si seule un instant que l'inconnu commençait à la limite de son corps. Tout ce qui la touchait était vide de sens. Elle ne pousserait plus comme les arbres des montagnes maintenant.

Elle se sentit relever, ses jambes ne fléchissant pas. Elle était peut-être morte, mais son corps lui, semblait toujours bien vivant. Son sang se mélangeait à la chaussée, il ne laisserait pas de marque, mais quelqu'un s'était éteint ici ce soir. Le corps léger de l'oiseau était mou entre ses doigts et elle pouvait presque sentir ses entrailles se déplacer dans ses mains. Une voix grave lui posa des questions, s'excusa . Elle n'écoutait pas. Ses yeux charbonneux étaient fixés sur le cadavre moite et elle envisagea un instant de l'avaler, de le conserver en elle, de ne pas laisser sa lumière s'éteindre. Mais elle comprit instantanément la futilité de son geste. Elle laissa échapper le moribond sur le sol, corps vide sans aucune importance. Il flottait encore autour d'elle, dans l'air, plus libre qu'il ne l'aurait jamais été.

L'homme s'était tu, n'oubliant pas de mentionner sa part de responsabilité dans le mestre grotesque du corbeau. Elle ne comprit pas tout de suite et puis de toute façon, comment ça pouvait être de sa faute ? C'était elle, elle qui l'avait laissé s'envoler, elle qu'il l'avait ne l'avait pas averti, qui ne lui avait pas dit au revoir. Alors de quoi parlait-il ?

Ses yeux remontèrent lentement vers la figure floue de l'homme. Son visage était beau, ses cheveux étaient pâles. Il avait voulu dire que c'était lui qui avait enlevé le souffle à Fénèbe, n'est-ce pas ? Ses yeux s'agrandirent, elle ne comprenait pas. Pourquoi il aurait fait ça ? Personne ne tuait des oiseaux comme ça, en plein milieu de la ville, sans but précis. Elle tendit les doigts vers quelque chose de solide pour l'agripper sur le monde, il lui demanda si elle connaissait Ayanami. Si elle le connaissait ah... Sa main se refermant sur le couteau, elle le poignardant encore, le sang qui coulait de partout, comme une fontaine. Ses souvenirs se mêlaient au présent, elle était désorientée. « Ayanami ? Oui il est mort » Pourquoi elle en parlait, pourquoi elle pouvait parler au juste. Sa langue était rêche quand elle saisit soudain le sort... Il savait pour elle et Ayanami. Il connaissait son implication, il avait deviné qu'elle lui avait donné le baiser mortel. Ses pieds reculèrent, son visage devient plus blanc qu'il ne l'était déjà. Ses larmes chaudes brouillaient sa vision, mais la gifle sèche qu'elle jeta sur son visage ne manqua pas sa cible. Effrayée, glacée, elle partit à la course dans la direction opposée. Elle se sentait en danger, et le danger courait derrière elle, souriant. L'adrénaline et la peur lui firent oublier une seconde son âme soeur morte et elle était de nouveau vivante.