Le pire endroit sur Terre. Tiamat détestait vraiment s'y rendre, sous l'océan. Ce n'était pas d'être dans un caisson submersible qui le gênait, non, ses deux hélicoptères étaient plus petits que ces sous-marins qu'on empruntait pour s'y rendre. Non, ce qui le rendait malade, c'était la décoration, la sobriété des lieux. Lui, qui était habitué à vivre dans tant de faste, qui avait transformé l'intérieur de ses hélicoptères en salons cossus volant, était choqué par le métal froid, par les sièges en plastique dur de ces sous-marins. Mais là encore, ça n'était rien face à ce qu'il allait bientôt revoir, face à No Dawn. La mission du jour, il la devait à un chercheur qu'il avait fait recruter il y avait quelques mois, et qu'il avait envoyé une semaine plus tôt ici-même, examiner les mutants qui vivaient dans l'oeuf blanc. Bientôt, le sous-marin émergea, dans le hangar prévu à cet effet. Premier sorti de l'appareil, Tiamat eut un haut le coeur en voyant les deux portes d'acier titanesques se dresser entre l'espace où il se trouvait et le reste de l'édifice. S'il avait déjà vu ces portes maintes et maintes fois, elles ne manquaient jamais de l'impressionner. Et ce qui l'impressionnait par dessus tout, c'était que le mutant qui avait "enchanté" cet endroit, lui permettant d'inhiber toute mutation au point qu'elle semble absente, l'avait fait de son plein gré, convaincu qu'il servait la nation. Oh, avec un autre chef aux commandes, certes, sans doute seuls les mutants dangereux auraient fini ici leurs jours. Mais pas avec celui-ci, qui voyait dans chaque être déviant une menace en devenir, un être à abattre. Si seulement son fils avait eu sa place... Enfin, pour l'instant, il ne servait qu'un maitre, et ce maitre était le Japon.
***
Deux heures plus tard, le voici dans une salle appelée "Salle de soins", tandis qu'un petite brune rentre dans la salle, amené ici par un garde depuis sa cellule. Souriant gentillement, Tiamat lui indique de prendre un siège de l'autre côté du bureau, leur sert chacun un verre d'eau, avant de prendre la parole.
- Bonjour, Naomi-chan. Si je t'ai fait venir ici, c'est pour te demander ton aide. Vois-tu, je ne pense pas que la décision de mes subordonnées de t'enfermer ici soit intelligente. Non, tu pourrais faire tellement d'avantage. Avec ton pouvoir, nous pourrions envoyer ici ceux qui le méritent vraiment, et pas "les mutants" sans distinction. Joins-toi à moi, et défendons ensemble la patrie face à ceux qui la menacent.
Il sortit un contrat, marqué d'une étoile à sept branches, qu'il poussa sur la table en le tournant pour que la jeune fille puisse le lire. Il posa une sucette à côté.
- En t'engageant avec nous, tu pourras exiger un privilège. Cela peut aller d'un manoir avec personnel à la libération de quelqu'un de No Dawn.
Il s'arrêta, souriant tendrement à l'enfant. Il n'était pas son ennemi. Et pour le prouver, il s'affaissa, pour se redresser, une fameuse guitare dans les mains.
- Quand ils t'ont emmenée, il restait ça "chez toi". J'ai pensé que je pourrais te la rendre une fois que tu aurais signé pour devenir une super-héroïne.
Pauvre petite, tu n’aurais jamais pu croire que quelque-chose comme ça aurait pu se produire. Ça n’arrive pas, ces choses-là. Ça n’arrive que dans tes rêves, quand les gens en uniforme te poursuivent et te tirent. Ça n’arrive que quand tu as trop peur et que les bruits résonnent et amènent des images dans ton esprit. Ça n’arrive pas, quand tu marches, ça n’arrive pas. Et pourtant, te voilà, recroquevillée dans un coin de ta cellule, toute blanche, trop blanche, les yeux fermés, la tête entre tes genoux.
Tu n’es plus chez toi. Tu ne sais pas où tu es. Tu t’es réveillé ici. Ça fait quelques jours, mais le jour, tu ne le vois pas. Les lumières allument et s’éteignent toutes seules. Chaque fois, tu sursautes. Chaque fois, la détonation résonne dans ton crâne et te fait peur. Ça fait plus d’une semaine que tu es ici. Tu ne t’es toujours pas habitué.
Tu es seule. Tu sais que tu peux sortir – comme les autres, les autres que tu ne connais pas, peuvent rentrer – mais tu ne le fais pas. Tu ne sors pas. Tu restes là. Tu attends que ta porte apparaisse. Mais elle n’apparaît pas. Elle n’est pas apparue depuis si longtemps. Ça te fait peur. Tu ne comprends pas et ça te fait peur.
Ils ont dû te nourrir, parce que tu ne voulais pas sortir. Ils le font par une obligation étrange que tu ne peux pas réellement comprendre. Tu as pris du poids. Tu as l’air moins squelettique, mais tu restes tellement maigre, tellement fragile. Tu as tant peur, parce que tu les entends parler. Tu les entends hurler, les autres.
Et tu n’as pas ta guitare. Tu n’as pas ta guitare, tu n’as pas ta guitare tu n’as pas ta guitare. Depuis des jours, des jours entiers, tu ne l’as pas. Tu as du mal à dormir. Tu pleures, tu trembles. Tu ne dors qu’à peine. Ça te fait étrange. Ils t’ont donné des vêtements. Ils sont toujours trop grands pour toi – tu as notamment un chandail brun avec des dessins incompréhensibles.
Propres. Les vêtements sont propres. Tu es propre – plus qu’à l’habitude. Tes cheveux, ta peau. Il n’y a plus cette couche brunâtre et sale. Elle n’est pas sur le sol, elle n’est pas sur toi. Nulle part.
Que du blanc.
Même les couvertures que tu as traînées par terre sont blanches. Le lit est trop mou. Tu n’arrives pas à y dormir. D’être soulevée de terre te donne un sentiment étrange. Tu es tellement déstabilisée, dépaysée. Au moins, tu n’as pas froid. Tu n’as pas faim. Tu n’as pas mal. Pourtant, tu trembles et tu pleures. Tu es en choc et ça te fait peur de voir les gens passer par la porte coulissante. Les gens, ici, sont effrayants. Ils ne sont pas comme les gens du dehors. Ils n’ont pas de sourires. Ils ne rient pas – ou leurs rires sont étranges, maniaques. Ça te fait peur.
Tu veux partir. Tu veux ta guitare. Tu veux ton masque. Tu veux retourner à ta maison. Tu veux partir. Tu veux partir. Tu veux partir. Partir.
Recroquevillée dans les couvertures, tu tentes de te cacher comme tu l’aurais fait une fois ta porte ouverte. Rien n’y fait. Tu ne te sens pas mieux. Et tu sursautes, quand la porte coulissante émet un bruit d’air décompressé. Tes yeux fermés ne te laissent rien distinguer. Tu te braques quand les pas approchent de toi. Quand quelqu’un se penche à ton niveau, tu ouvres ton œil émeraude et tu le regardes. Sans bouger.
Il te somme de le suivre. Tu ne veux pas. Tu as peur. Mais tu as peur de la conséquence, si tu ne le fais pas. Les cris des autres te reviennent en mémoire. La porte qui électrocute te revient en mémoire. À contrecœur, apeurée, tu te redresses et tu te lèves. Il te tend la main et tu la prends, obéissante. Tu ne la serres pas. Tu ne fais que la prendre pour te dire que tu le suis et que tu ne lui désobéiras pas.
Et une porte s’ouvre devant vous après que vous ayez marché, marché, marché. Le garde lâche ta main et te laisse entrer dans la salle. Ton regard caché parmi tes mèches éparses distinguent un homme aux cheveux clairs et aux yeux différents – comme les tiens. Il sourit.
La porte se referme derrière toi et tu te retournes pour voir que ton escorte est partie. Et l’homme, devant, pointe la chaise.
Hésitante, tu la contournes avant de t’asseoir dessus. Tu es petite. Le bureau est grand comparé à toi et tu as du mal à réellement distinguer l’homme. Il te serre un verre d’eau et tu regardes l’eau se verser, l’appréhension figeant le sang dans tes veines.
Et puis, il se met à parler. Il s’adresse à toi par ton nom et ça te fait relever les yeux vers lui. Il parle lentement. Il veut que tu comprennes – mais tu ne comprends pas tout. Ça veut dire quoi, tous ces mots trop longs qui s’enfilent les uns après les autres dans ses phrases? Et puis, il sort du papier – du papier comme dans tes livres. Les livres que tu as lus il y a de ça au moins sept ans. Sept ans.
Tu regardes longuement l’étoile sur le papier. Tes yeux défilent sur les caractères. Tu tentes d’en comprendre les sons, les intonations, dans ta tête, mais tu dois les dire à haute voix. Et même si tu le fais, tu ne comprends pas ce que tu dis. En plus, l’homme continue de parler pendant que tu tentes de lire. Tu as du mal, alors tu décides de l’écouter à la place.
Tu ne comprends pas ce qu’il dit. Tu ne comprends pas pourquoi il te parle de manoir. Pourquoi il te parle de ‘No Dawn’. C’est quoi, ‘No Dawn’? Tu fronces les sourcils, faisant la moue, remontant ton regard sur le sien. Tu tentes d’y distinguer quoi que ce soit qui pourrait t’aider à comprendre. Tu grattes ton œil brûlé de ton poing.
Et alors qu’il s’affaisse, tu baisses la tête, par peur qu’il te fasse quoi que ce soit.
Quelle n’est pas ta surprise, alors qu’il sort ta guitare de tu ne sais trop où!
Ta guitare! Tes yeux s’illuminent. De ta bouche entrouverte s’échappe un cri de stupéfaction, de soulagement. Tu tends les mains vers ton instrument, au même moment où il te dit qu’il te la redonnera « une fois que tu auras signé. » mais, mais.
Tu la veux, tout de suite, tout de suite, tout de suite!
Ton regard tourne au désespoir quand tu vois qu’il ne te la donne pas.
Tu as besoin de ta guitare. Tu en as besoin. Au Diable le papier, au Diable tout ce qu’il vient de te dire, ta guitare est devant toi et tu ne peux pas fonctionner sans ta guitare.
« Je… Je. Je— Je. » Bégayes-tu, les mains toujours tendues vers ta guitare. Une lamentation s’échappe de tes lèvres. Le ton que tu utilises se fait suppliant, pressant, comme ton regard. « Donne, donne, donne! »
L’impolitesse ne t’amènera à rien. Mais que peut-on espérer d’une enfant coupée de la réalité depuis sept ans?
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Sam 19 Avr - 14:33
What would you do, to get out ?
feat LN
Tiamat n'aimait pas les gosses. Trop compliqués. Discours incohérent, incapacité à rester concentré sans une grosse carotte bien juteuse, petits, avec un timbre de voix aiguë. Et il était là, forcé de venir dans cet endroit immonde, d'y passer de longues heures, tout ça pour une enfant. Une fillette qui était plus sauvage que civilisée, qu'il allait avoir la charge d'éduquer. Rien que d'y penser, il plaignait le personnel à qui il allait déléguer cette tâche. Oui, il allait déléguer cette tâche à des gens, il était formellement exclu qu'il passe plus de temps que nécessaire avec Naomi, il avait d'autres chats à fouetter. Des jeux qui l'attendaient, un pays à redresser, des femmes à forniquer. Dans dix ans, peut-être s'intéresserait-il à cette fille, mais pour le moment, ça n'était que du dégoût en barre pou lui. Et qu'elle ne réponde pas immédiatement oui, qu'elle ne mette pas son nom, ou un croix ou quoi que ce soit sur le document qu'il lui a passé, qu'elle soit si obsédée par sa guitare, ça l'énerve. Mais au moins, il sait qu'il la tient, qu'elle va signer. Maintenant, il n'a qu'à voir jusqu'où il doit pousser pour qu'elle le fasse.
- Naomi-chan, écoute. Je ne veux que ça, te donner ta guitare et te faire sortir d'ici. Mais il faut que tu m'aides. Avec ton aide, nous pourrons faire tellement plus. Tu n'as pas envie de manger de la bonne nourriture, de voir le soleil, de pouvoir jouer de la guitare ? Alors signe. Signe vite. Je compte jusqu'à dix. Après, je te redemanderai.
Surtout à dix, il broiera le manche de la guitare dans sa main. Et au lieu de lui promettre de la lui rendre, il lui promettra de la restaurer dans l'état où elle était avant qu'il ne la casse. Il sait qu'il doit être gentil avec elle, puisqu'il veut en faire son employée, qu'il veut lui pourvoir de la sécurité en veux-tu en voilà. Mais si elle l'énerve trop, ce sera sans appel. Son jouet sera cassé devant elle. De toute façon, il a les moyens de lui effacer la mémoire partiellement. Il lui fera oublier cet acte, mais pas qu'il est froid et dur quand on lui désobéit.
Tu n’aimes pas son regard. Il est sombre. Il n’est pas accueillant. Il a l’air désintéressé – non, pire, il a l’air sévère, austère. Tu n’en finis plus. Tu ne tiens plus tranquille. Tu sautes sur place, sur la chaise, les mains tendues, les cheveux dans tes yeux, les larmes dans tes cheveux, sur tes joues. Tu as peur, Naomi, tu as tellement peur qu’il ne te la redonne pas. Ça te désespère. Ce désespoir ne finit plus de sortir de ta bouche en lamentations profondes, tes mains toujours tendues vers ton instrument, ta seule amie, la seule qui te comprenne.
Tu veux entendre les cordes vibrer, tu veux entendre des accords. Tu veux l’avoir, dans tes mains, tu veux jouer, tu veux te sentir rassurée. Tu n’es pas rassurée. Tu ne le seras pas tant que tu ne l’auras pas. Il te la faut, tout de suite, tout de suite, tout de suite!
Pourquoi ne te la donne-t-il pas? Pourquoi continue-t-il de te regarder avec cet air presque dégoûté? Pourquoi n’a-t-il pas bougé? Donne-moi ma guitare, elle m’appartient, elle est à moi, à moi, pas à toi, tu me l’as ravi, je la veux, là, maintenant! La peur monte en toi, tu es un volcan en éruption tellement les émotions t’habitent. Tu veux prendre ta guitare et te sauver. Mais tu ne peux pas, Naomi. Tu ne peux pas, car tu ne sais pas où tu es. Tu es perdue, tu as peur et tu es désorientée.
Il tient ta guitare, se met à parler avec son air strict et ses intonations sévères. Tu te tais, parce que tu as appris qu’il faut que tu te taises, s’il ne te la donne pas, maintenant, ce sera peut-être ta seule chance. Il veut te la donner, ta guitare. Mais pourquoi ne te la donne-t-il pas, dans ce cas? Et il faut que tu l’aides à quoi, il faut que tu fasses quoi? Maintenant, maintenant!
Il te dit de signer. Il te dit de signer, vite. Et il te fait peur, quand il te dit ça. Il te fait peur. Il dit qu’il va compter. Et il commence, à compter, et la pression monte. Elle monte, elle monte, elle explose.
Ta petite main tremblante s’empare du crayon, broie presque la feuille alors qu’elle s’en empare, aussi.
Tu dois écrire. Tu dois écrire et tu ne sais pas comment écrire, tu ne sais pas comment tu dois faire, mais tu dois le faire, maintenant!
Et tu le fais. Tu écris avec des symboles trop grands, trop petits, étrangement mis sur papier. Tu as signé ton nom.
Tu laisses le crayon tomber sur la table et tu lances un regard suppliant au ravisseur de guitare.
« Maintenant, donne. » dis-tu, d’un ton déterminé, sans pour autant cacher ton désespoir.
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Ven 9 Mai - 17:31
What would you do, to get out ?
feat LN
Good girl. C'est bien. La guitare ne serait pas cassée. Et puis elle était jolie la guitare. De facture acceptable, pour une gamine de basse extraction. Tiamat récupéra le contrat. Elle n'avait pas stipulé de voeu. Il pouvait être un abject connard et stipuler "guitare pas abîmée à No Dawn", mais se disait qu'il avait plus efficace à mourir.
- Jeune fille, il lui donna sa guitare, suivez moi, nous remontons. Et je suis ravi de vous dire que vous avez gagné, pour votre bonne volonté, une nouvelle maison. Grande. Propre. Avec des gens à votre service. Il faut que l'héroïne qui sommeille en vous soit éduquée un minimum. Lecture, écriture, un peu de mathématiques, et de l'histoire. Allez hop, debout, on y va !
La petite se leva, il lui prit la main avant de se diriger vers le sous-marin. Allez, quittons cet endroit sordide.
***
Dix heures plus tard, le sous-marin émergeait à Chuo. Tiamat réveilla la petite fille, agrippée à son instrument. Ils sautèrent d'un appareil dans un autre, montant dans un hélicoptère. Quelques minutes de vol dans un salon cossu, on en oubliait que c'était un hélicoptère militaire. Lorsque la porte s'ouvrit, une large parc s'étendait devant eux, avec un manoir imposant.
- Naomi-chan, tu es désormais la propriétaire du domaine Toyotomi.
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