Ichiro n'avait pas l'âme matinale, à peu près comme n'importe quel individu normal en ce monde. N'était-ce pas pourquoi les matins existaient, d'ailleurs? Toutefois, il avait été forcé d'avouer une chose depuis qu'il avait intégré les traqueurs. Ici, la normalité devenait d'autant plus subjective parce que ses membres présentaient de graves carences. Il aimait s'imaginer les traqueurs comme une grande famille. Une grande famille dysfonctionnelle qui n'hésiterait sans doute pas à se sauter à la gorge une fois la chance présentée. N'était-ce pas l'environnement idéal pour y bâtir des liens forts et durables? Même s'ils étaient tenus en laisse par le respect de l'autorité, les relations n'allaient pas toujours bon train. bref, tout cela pour dire qu'Ichiro n'aimait pas les matins. Encore moins s'entraîner le matin. Mais chez les traqueurs, le vouloir ne changeait rien au devoir.

Alors, accompagné de Sébastien, il s'entraînait, sans vraiment le vouloir -et ça paraissait sur son rendement-. Combien de fois avait-il fait ce parcours? Déjà que ses aptitudes à l'arme à feu n'étaient plus à prouver, Il se devait simplement de conserver la forme, rien de plus. Profitant d'une pause non-méritée, l'homme regardait son collègue défiler dans le parcours avec aisance et agilité, un scénario qui ne lui était pas étranger non plus, d'ailleurs. Toutefois, pour briser la monotonie de la routine, c'est le lieutenant qui tomba au sol, forçant l'arrêt des appareils. il l'observa quelques secondes avant, évidemment, de se porter à son secours.

Chevauchant quelques obstacles, il le rejoignit, tout juste pour l'entendre lui demander si l'infirmerie était ouverte. d'ordinaire oui, mais à une telle heure, il avait tout à parier que ce n'était pas le cas. Puis, il devait bien l'admettre, les risques qu'il se fasse d'autant plus mal en se rendant là-bas n'aideraient sans doute pas. Une seule solution s'offrait à lui, il fallait apaiser le mal avant d'aller plus loin. C'est à ce moment qu'il bloqua. Il n'allait certainement pas le masser avec un analgésique, lui. Deux hommes, qui se frottent le dos dans de longs gestes sensuels. Non, ça n'arriverait pas. Il avait chaud tout d'un coup. Il regarda dans les alentours, personne. Un scénario de film gay s'immisçait vicieusement dans son esprit. Il irait trouver ce qu'il fallait, il gérerait ensuite.

-Euh, bouges pas trop, j'vais chercher un truc pour détendre tes muscles, ça devrait t'aider. J'vais t'emmener à l'infirmerie ensuite.

Ça sonnait beaucoup trop gay, déjà. Ne croyez pas qu'Ichiro est homophobe, loin de là. Du moment où il n'est pas impliqué, il n'a aucun problème. À la rigueur, ça sonnait dangereusement homo-érotique. Il chassa ces fourbes pensées de sa tête et parti en quête d'un analgésique quelconque. Une fois qu'il eut trouvé ce qu'il cherchait, il revint auprès de son lieutenant, armé d'une bouteille et d'une paire de gants. Il fallait toujours se protéger.

-Tu peux retirer ton débardeur, s'il te plaît? Je sais que c'est étrange, mais j'ai trouvé personne pour t'étendre la crème sur le dos.

Il expira bruyamment. Ça ne lui tentait pas, mais pas du tout. Il devait voir ça comme des premiers secours, parce que c'était ça. Plus vite ça serait fini, plus vite ce sera oublié. Même si ça laisserait une tache indélébile sur son pedigree d'hétérosexuel accompli. Ce devait être réciproque, cela dit. Il doutait bien que Sébastien était aussi désenchanté que lui. Ce qu'on ferait pas pour le bien commun.

C'était vraiment embarrassant. D'ailleurs, il ne manquait pas de le faire se sentir d'autant plus mal avec sa remarque. Toutefois, il se devait de le faire. Surtout que ce serait un peu idiot de se défiler maintenant qu'il s'était dévêtu. Apparemment, la vie n'avait pas été douce avec lui, à en juger les cicatrices qu'il arborait sur son dos. Chassant ces idées de sa tête, il tenta d'enfiler les gants qu'il était allé chercher. Seulement, ils étaient beaucoup trop petits pour lui et le premier éclata dans sa main sous la tension. Grimaçant face à cette mauvaise nouvelle soudaine, il se résigna à poursuivre à main nues, sans protection. Il savait que c'était une pratique dangereuse, mais il devait s'y conformer, malgré tout. Appliquant l'analgésique sur ses mains, il les frotta un peu avant de poser ses mains sur ses épaules, hésitant pendant de longues secondes avant de masser. Il ne put s'empêcher de commenter son état.

«Tu es drôlement tendu. Essaies de relaxer un peu.»

Puis, il commença. Doucement au début, un peu plus fort par la suite, sans pour autant chercher à augmenter sa douleur déjà existante. Déjà, il pouvait commencer à sentir l'action chaud et froid de la crème qu'il appliquait sur son corps musclé. Pris de chaleur -notamment par la gêne et la peur que quelqu'un les aperçoive, il marqua une pause, enlevant son haut à lui aussi. Peut-être se sentait-il mieux, mais le niveau d'homosexualité de ce seul geste venait de dépasser la masse critique. Il descendit un peu plus bas, toujours avec de grandes précautions. N'arrivant à masser de manière uniforme, il posa ses genoux de chaque côté de son bassin, arrivant à couvrir toute la surface nécessaire.

«Pourquoi il fait si chaud, ici? Désolé de devoir prendre cette position, mais plus vite c'est fait, plus vite on oublie. Bouges pas, j'ai presque terminé.»

Mais ce que les autres verraient, s'ils venaient à entrer dans la pièce, c'est deux hommes torse nu, l'un chevauchant l'autre et le massant avec une crème blanche, douteuse et qui sentait la menthe et l'eucalyptus. Y'a matière à se poser des questions. Puis, Ichiro s'éloigna un peu, se rhabilla avant de répondre à sa question, laquelle il avait médité un peu durant le massage.

«À la chasse? J'imagine que si tu me proposes ça, c'est que tu as déjà une idée de ce que tu veux faire...Je t'écoutes.»