Une journée bien pourrie commençait. Un ciel gris, des nuages plus foncés encore, et une pluie fraîche s'abattait sur le Japon, alors qu'Iku passait une journée de plus à vagabonder dans les rues et à dormir dans des petits hôtels crasseux mais peu chers. Ok, dis comme ça, on dirait vraiment une pauvre gamine que la vie a lâchement abandonnée, la laissant se démerder toute seule. Et à vrai diiire... C'était à peu près ça. Mais bon, la petite nippone n'était pas si malheureuse que ça après tout, elle était avec Kuro. Ce jour là, elle ne connaissait encore pas le futur groupe dans lequel elle allait se trouver : les Eldorado. Elle n'était qu'une enfant qui avec les quelques sous volés à sa vilaine tante, essayait de se débrouiller. Mais avec Kuro, rien n'était triste, les journées passaient même plutôt rapidement, elle lui parlait comme on parle à un ami, ou un petit-frère, un confident, tout ça. Tous deux se suffisaient l'un à l'autre.

En cette après-midi pluvieuse, triste à souhait, la miss décida alors de faire ce qu'elle faisait toujours avec sa mère quand il faisait un temps de chien comme ça : aller dans la célèbre boutique de manga de Chiyoda, en lire, en chercher pleins, et en ramener à la maison avant de se faire une soirée au coin de la cheminée. C'était tout bête comme bonheur, et pourtant ce bonheur, Iku y tenait beaucoup. Toutefois aujourd'hui, sa maman n'était pas avec elle, et les manga resteraient dans la boutique, mais ça lui rappelait tout de même de jolis souvenirs ! C'est alors avec détermination et avec bonne humeur que la nippone marchait vers son but après avoir pris le bus tout de même, son chaton caché dans sa sacoche, à l'abri du froid et de l'humidité. Arrivée dans Chiyoda, elle se perdit, cherchant une rue qui lui serait familière sans pour autant la trouver. Après une heure ou deux, ses pieds frappaient le sol, jouaient avec des cailloux, et sa détermination l'avait quelque peu abandonnée.

«  Iku pensait pourtant la trouver facilement cette boutique... »

Sa main entre-ouvrit la sacoche et caressa la tête de son chaton, ses doigts fins frottant ensuite son minuscule menton. Perdue dans ses pensées, la gamine ne remarqua même pas qu'en gambadant ça et là, elle venait de tomber pile devant l'endroit qu'elle recherchait des minutes passées. On pourrait dire que c'est une chance inouï, mais Iku préférerait dire que se sont ses parents qui la protègent de loin, et lui offrent ce grand hasard pour avoir un petit bonheur parmi les moments difficiles que doit endurer leur fille. Quoi qu'il en soit, quand elle leva les yeux vers la boutique, un homme se cogna contre la porte vitrée, ce qui fit pouffer de rire la jeune nippone. Sa main se posa sur ses lèvres pour étouffer son rire, et elle attendit que l'inconnu sorte de la librairie avant de pouvoir rentrer à l'intérieur. Il passa à côté d'elle sans même la remarquer, et la donzelle l'entendit dire des grossièretés au téléphone, ce qui ne manqua pas de faire rire une nouvelle fois l'enfant qui remarquait bien qu'il n'était pas dans un état … normal. Il avait l'air de culpabiliser... C'était vraiment amusant ! Un vrai spectacle à lui tout seul ce monsieur ! Enfin bref, Iku n'allait pas passer sa journée à l'observer, elle avait d'autres choses à fai- …

« Et toi gamine, tu la vois elle ? Tu es petite, tu devrais y croire, non... ? Aller, je suis sûr que t'en as déjà vu un mais que tes parents ne t'ont jamais cru... Dis le et ne cache pas ta peur... DIS LE QUE JE NE SUIS PAS LE SEUL A LES VOIR !

- Eh ? » fut la seule parole de la fillette, dont les pupilles oscillèrent entre la main de l'homme qui l'agrippait et le regard quelque peu ivre de ce dernier.

Oui euh bon, à mon avis, Gen ne s'attendait pas réellement à ce genre de réponse, mais Hosokawa avait vraiment été prise au dépourvu  pour le coup, pensant que l'homme était à présent plus loin que cela d'elle... Mais apparemment il n'avait pas beaucoup avancé, et fixait quelque chose qu'il semblait être le seul à voir près d'un salon de beauté en face, avant de fixer les iris foncés de la donzelle. Ils restèrent ainsi quelques minutes, comme deux imbéciles, à se scruter l'un l'autre sans bouger. Iku secoua alors sa tête lorsqu'elle l'entendit parler de cette fabuleuse envie qu'il eut soudain. L'envie de... gerber …

« N-N-N-Naniiiiiiiii ????* » hurla la nippone, qui vola des mains, par pur reflex, le sac de la première personne venue pour le mettre devant le visage du mec ivre.
* Q-Q-Q-Quoiiiiiiii ????

On lui avait toujours appris qu'il fallait vomir soit dans les toilettes, soit si les toilettes sont trop loin dans le lavabo, ou en dernier recoursdans une bassine ou un sac en plastique pour ne pas tout salire. Elle soupira de soulagement lorsqu'il vomit à l'intérieur, jusqu'à comprendre la grosse bourde qu'elle venait de faire... En plus d'être rempli d'une mixture à l'odeur envoûtante, le stress d'Iku avait donné au sac l'aspect d'une caisse, solide tout en étant élégante ahah... Ah... Ce n'était pas un sac en plastique n'est-ce pas ?

« Ahahah... Wa-wa-watashi wa … gomen neeeee Onna-san !!! * »
Ahahah... Je-je-je suis... désoléééée madame !

Son rire nerveux montrait bien la gêne qu'occasionnait une telle situation... L'objet vola dans les mains de sa propriétaire folle de rage, alors que la brunette tira sur la manche de l'homme, se mettant à courir pour justement éviter la tornade qui allait leur tomber dessus. Ses pieds passant à vivre allure l'un devant l'autre, la demoiselle n'avait aucune idée d'où elle se rendait, tant qu'ils étaient loin du lieu initial, c'était le plus important. Une fois plus ou moins tirés d'affaire, la miss s'arrêta, s'adossant à un mur, suffoquant.

« Pfiouh... Quelle aventure ! » ajouta-t-elle entre deux bouffées d'air.

Elle en avait même oublié qu'il pleuvait, et n'avait par ailleurs pas pensé non plus à récupérer son parapluie avant de s'enfuir. Kuro toujours dans la sacoche avait eu peur pour sa maîtresse, mais n'avait pas réagi assez rapidement par rapport à elle, perdu et sans reflex à cause de ce réveil brutal. Quel pacha celui-là ! Les gouttes d'eau perlaient alors sur le front de la gamine, dégoulinant de ses cheveux de jais, son nœud rouge trempé sur son crâne et tout ramolli. Cinq doigts de sa main frottèrent ses yeux et une fois son souffle reprit, elle resta adossée au mur mais se concentra plus en détail sur le parfait inconnu qui se trouvait devant son champ de vision. Il avait l'air d'aller mieux après avoir recraché tout l'alcool accumulé en plus de sa bile. Eurk, rien qu'en y repensant, cela donnait la nausée à Iku qui changea tout de suite d'image. Il semblait gentil cet homme, un peu bêbête, amusant, et … spécial. Qu'avait-il vu à l'autre coin de la rue ? Était-ce dû à son trop plein d'alcool dans l'estomac ou à un don quelconque ? Elle lui demanderait plus tard. La donzelle s'approcha de lui à petits pas, se mit sur la pointe des pieds, et déposa sa main sur sa joue, la caressant avec douceur avant de se poser sur son front, retirant quelques mèches du milieu de son visage au passage. Un éclat de rire sortit d'entre les lèvres de la japonaise qui pencha machinalement sa tête sur le côté, avant de s'exprimer.

« Hmmm... T'as pas l'air malade... ça va mieux ? Qu'est-ce qui t'es arrivé pour que tu sois dans un état pareil monsieur ? Iku trouvait ça drôle au départ mais quand elle t'a vu vomir c'était pas la joie, euuurk ! Une grimace prenant place sur sa petite bouille. Aaaah mais elle a eu trop peur quand elle a vu la dame mégaaa en colère ! »

Un rire, une fois encore. Puis ses cinq fins doigts ébouriffèrent les cheveux trempés du jeune homme, avant de venir se poser sur le sac en bandoulière de l'adolescente. La pluie ne cessait pas, et il valait mieux s'abriter quelque part par un temps pareil mais Iku n'avait aucune idée de l'endroit où aller. Elle essuya une nouvelle fois ses paupières, et attendit simplement que la voix de Gen se fasse à nouveau entendre.

Le son de la pluie qui cliquetait sur les toits rappelaient à Iku des tas de souvenirs passés. Ses cheveux trempés se collaient à son visage que les gouttes d'eau attaquaient. Elle savait qu'à cause de cela elle serait malade, comme sa mère la prévenait à chaque fois lorsqu'elle jouait dehors peu couverte et dans les flaques d'eau. Le froid de l'eau envahit le corps entier de la demoiselle qui frissonnait sous sa robe. Toutefois cela ne la dérangeait pas plus que ça, parce que voilà longtemps, tout du moins à ses yeux, qu'elle n'avait plus parlé comme ça à quelqu'un. Pour ainsi dire, la dernière réelle conversation qu'elle eut avec quelqu'un fut celle avec sa mère avant qu'elle ne la ramène chez sa tante. Eurk, sa tante... A dire vrai elle n'arrivait même pas à la nommer ainsi, Birei. Son prénom ne lui correspondait décidément vraiment pas ! C'est sa jolie maman qui aurait dû porter ce doux nom.

Lorsque Gen dégagea à son tour les mèches de cheveux du visage de l'adolescente, celle-ci sentir ses pommettes rougir. Non pas qu'elle était gênée de sa compagnie, mais ce genre de geste doux et chaleureux lui rappelait son père, et tout comme ce genre de conversation, voilà tellement longtemps qu'on ne lui avait pas porté d'affection. Elle avait beau avoir 15 ans, au fond, c'était une jeune fille qui bien qu'indépendante, avait un grand manque d'amour à combler. Sa mère étant partie chercher son père on ne sait où, et même étant heureuse avec Kuro, il faut dire qu'un contact humain n'était pas de refus. Elle détourna son visage pour fixer derechef le sol, alors que Gen lui parla quelques minutes tout  en lui tapotant la tête. Iku ne répondit rien, hochant juste sa petite bouille qui paraissait bien trop jeune par rapport à son âge. De toute façon, même s'il ne lui avait pas dit de l'appeler par son prénom, elle l'aurait fait. Après tout, ça sert bien à ça un prénom, non ?

Quoi qu'il en soit, Gen n'avait vraiment pas l'air d'aimer les chats. C'était dommage, Iku aimait tellement son Kuro. Et puis c'était le chat le plus gentil du monde ! Il ne se plaignait jamais... Ou presque. Sa chaleur corporelle réchauffait un peu la miss lorsqu'elle le tenait dans ses bras, ronronnant à ses caresses. Quand elle le « rangea » dans sa sacoche afin qu'il soit au sec, le jeune homme semblait rassuré. Il avait vraiment l'air d'avoir peur ! Pourtant, il n'y avait pas de quoi. Cette réaction étonnait vraiment la demoiselle qui avait tellement l'habitude que les gens s'extasient devant le chat noir. Cependant cela rappela une fois plus à la miss que cette rencontre était spéciale, et qu'il n'était pas comme tous les autres. Après tout, cela plaisait à la donzelle qui aimait bien rencontrer des caractères très différents. De plus, lorsqu'elle parla de sa tante, la petite Hosokawa crut voir une mimique assez amusante et quelque peu compatissante de la part de son interlocuteur qui l'écoutait avec attention. Il essaya quand même de parler de Birei en bien, et cela n'étonna pas la nippone qui répondit en haussant les épaules, sur un ton plus sérieux.

« Non, je n'y retournerai pas. Tu sais, Birei est vraiment pas sympa. Tout ce qu'elle aime dans sa vie, c'est se faire acheter des choses chères par des hommes riches et même pas beaux en plus ! Elle s'inquiètera pas pour moi, elle s'inquiètera juste pour l'argent que je lui ai piqué ahah ! Elle fit mine de tousser pour ajouter à son petit monologue. Aeuhm je sais c'est pas bien de voler, mais Iku avait pas le choix là ! De toute façon, je vais retrouver maman, et on vivra heureuses. Je suis sûre que papa reviendra pas, il est parti, c'est tout... »

Sa mine souvent guillerette s'efface quelques instants, faisant place à un regard plus triste. Elle était sûre que pendant l'explosion de la centrale son père avait trouvé la mort. Au fond, elle se réfugiait dans son monde et son caractère de gamine pour ne pas faire face à cette réalité trop difficile à vivre. Oui, elle le recherchait encore, gardant une certaine lueur d'espoir, mais celle-ci était si faible, au fond de son cœur.

Finalement, après cela, Gen posa sa veste sur les épaules de la demoiselle qui esquissa un visage étonné. Pourquoi faisait-il cela ? Il allait avoir froid... Elle voulut lui faire la remarque mais lorsqu'elle observa ses bras, elle se rendit compte qu'elle tremblait. Son corps entier tremblait  sans même qu'lele ne s'en rende compte. Elle hocha alors la tête en guise de remerciements, montant de ses deux mains la veste bien sur elle, et l'écouta répondre à sa question concernant ce qu'il avait vu auparavant. Sa réponse la laissa perplexe. Un problème ? Des fantômes ? Iku croyait aux fantômes, peu importe ce que disaient les gens. Elle était certaine qu'ils étaient là, autour du monde des « vivants », à les observer, les protéger, ou parfois au contraire à faire en sorte qu'ils se retrouvent dans des situations incongrues. Alors lorsqu'il essaya de se « justifier » en disant que ce n'était que lui, qu'il devait avoir un problème, la demoiselle rit doucement.

« Tu sais Gen, moi j'y crois aux fantômes ! Elle prit une forte inspiration et regarda autour d'elle. Attends ! »

Puis elle alla cueillir une fleur flétrie dans un pot non loin de là, devant une enseigne. C'était une rose rouge, qui semblait mourir à cause du temps et de la température qui, soyons honnête, n'était pas très haute actuellement. Quand elle revint devant le jeune homme, elle souffla, se concentra quelques secondes, puis fronça les sourcils, un peu inquiète bien qu'ayant assez confiance en lui pour lui montrer ceci.

« On se connaît pas beaucoup mais... Iku pense que tu es comme elle, même si c'est pas vraiment pareil. Enfin... Tiens ! »

Elle lui tendit la fleur. Il devait la prendre pour une folle, mais tant pis. Celle-ci était devenue beaucoup plus rigide qu'auparavant,  plus raide. Ses quelques pétales encore accrochées ne tombaient plus. La rose avait toujours la même apparence, une tige verte, des pétales rouges, des épines. La seule chose qui avait changé était sa solidité, et son poids, bien que pour ce dernier, cela ne se sentait pas beaucoup puisque ce n'était pas un objet très consistant et très imposant de base. Une boule au ventre, la miss attendit la réaction de jeune Mioshin, mais assez peu longtemps pour ajouter avec un grand débit et des tas de « Iku » gênés.

« Je... Iku croit qu'elle est comme ça depuis l'explosion ! Mais Iku arrive pas à se gérer parfois, m-m-mais t'inquiètes pas hein Iku va pas te solidifier ! Iku est gentille, et puis parfois quand elle a peur ou qu'elle est super triste ou en colère bah PAF ça devient plus dur ou plus lourd, mais Iku le fera pas sur toi tu sais ! Tu fais pas peur à Iku... Beuwaaah... »

Elle secoua la tête et se cacha le visage de ses deux mains, ne sachant plus où se mettre. Quelle idée de vouloir lui montrer ça... Et si au fond il ne voyait pas les fantômes ? S'il était vraiment fou, s'il prenait peur, s'il, s'il... Elle ne pouvait qu'attendre après tout... Sa manche était toujours aussi solide au passage ! Et malgré la veste au dessus de sa robe trempée, la miss avait vraiment froid. Elle demanda d'une petite voix étranglée.

« On... On peut aller au chaud ? Quelque part... ? Enfin... Si... Tu me prends pas pour un monstre... ? »

Un monstre... Voilà comment certaines personnes la qualifiaient. Un mutant, une erreur de la nature ? Parfois Iku avait peur, très peur des autres, mais aussi très peur d'elle même. Elle avait peur qu'on la juge, peur qu'on la rejette, comme on avait déjà pu la rejeter. A vrai dire, seule sa mère savait quel était son don, ou tout du moins elle était la seule avec qui elle en avait parlé, sans compter Kuro. Même son amie Ban ne le savait encore pas. Mais voilà trop longtemps que ce « secret » pesait sur ses épaules, trop longtemps qu'elle n'osait pas en parler. Elle avait besoin de quelqu'un, besoin de se confier, besoin d'être rassurée, et aussi étrange que cela puisse paraître, Gen la rassurait. Sa présence la calmait, le contact de sa main lui rappelait la vie « normale » qu'elle avait eu en famille, et sa façon de parler la faisait rire.

N'ai pas peur... Onegai...

Le soulagement fut le premier sentiment que ressentit la demoiselle après avoir fait ce long monologue, et supporté pendant quelques secondes la boule qui se baladait dans son ventre ! Elle en avait presque oublié la pluie pendant un court instant. Elle sursauta néanmoins lorsque la main de Gen se posa sur son crâne alors que la gamine rentrait sa petite tête entre ses épaules, un œil se fermant au même moment. Toutefois après cette frayeur, un large sourire prit place sur son visage enfantin. Il disait du bien de son don, il ne la jugeait pas, bien au contraire la soutenait. C'était plutôt amusant de voir comme il se contredisait. Il trouvait ça chouette pour se défendre, lui fit part de ce qu'il ferait à sa place avant d'ajouter qu'en fait c'était mal.

La petite main de la nippone cachait ses lèvres, et alors qu'elle riait, ses pommettes prenaient un peu de couleurs. Son autre main quant à elle, se fit soudainement attrapée par celle de Gen, ses doigts s'entrelaçant aux siens. Étrangement, ce geste la fit rougir de plus bel, alors je ne vous parle pas de quand il la serra contre lui. Ce n'était rien de spécial, pourtant pour elle qui n'avait pas eu d'affection depuis que sa mère était partie chercher son père, et qui à la base était très câline, ça représentait beaucoup. Elle le suivit d'un pas rapide, n'ayant pas trop le choix mais n'étant pas contre non plus. Elle avait si froid. Mais à vrai dire, c'était parfois à se demander si c'était lui qui la soutenait ou si c'était elle. Les effets indésirables de l'alcool semblaient encore peser sur ses épaules, même si ce n'était que quelque chose de minime.

Quoi qu'il en soit, ils marchaient tous deux dans la rue, évitant les flaques d'eau, ou parfois pas, trébuchants et se soutenant. Les deux compères avaient l'air chouette comme ça : trempés, maladroits et l'un avec le visage plutôt pâle, et l'autre avec le visage plutôt rosé. Lequel des deux avait le visage de telle couleur et lequel de l'autre ? Ca dépend de la vision de chacun, peut-être qu'Iku était blanche à cause du froid, tout en étant probablement rouge des pommettes, ou peut-être que Gen était blanc à cause de ce même froid mais rouge sur le bout du nez. Elle ne savait pas où il l'emmenait, mais elle le suivait sans broncher, confiante. Oui, Iku avait confiance en ce monsieur qu'elle ne connaissait pas vraiment. C'était le genre d'homme auprès duquel on se sentait calme, rassuré. La petite nippone était certaine qu'il n'en avait pas conscience, parce qu'il avait l'air maladroit et qu'il pouvait sembler un peu fou aux premiers abords. Certaines personnes devaient le juger facilement, comme on la jugeait sur son « don ». On la jugeait aussi sur ses paroles ressemblant à celles d'une petite fille. Mais dans le fond, qui savait pour quelle raison une jeune femme de 15 ans au physique désavantageux, enfantin, s'exprimait ainsi ? Il devait bien y avoir une raison, non ? Ca ne pouvait être que par amusement, même si c'était un peu le cas par moment.

Ces quelques rêveries rendirent le chemin plus court que ce qu'elle aurait cru. Voilà vingt minutes qu'ils avaient marché, et ils se trouvaient à présent devant un immeuble. Iku leva la tête pour essayer d'en voir le bout mais la pluie tombait en trombe sur son visage, l'obligeant à fermer les yeux. Le ciel était d'un gris très clair, presque blanc, hormis les quelques nuages noirs le décorant. Les frissons sur la peau blanche de la demoiselle n'avaient pas cessés durant le chemin. Quand Gen la lâcha, elle eut alors l'impression que le froid s'abattait encore plus sur elle, un souffle glacial venant parcourir subitement toute sa colonne vertébrale. Pourtant ils étaient à présent dans le hall de l'immeuble, et la porte se refermaient doucement derrière eux. Quelques secondes défilèrent entre le moment où Gen grimpa les premières marches pour rejoindre le troisième étage, et où Iku réagit et le suivit. Un peu perdue dans ses pensées, elle secoua la tête comme pour essayer de se « réveiller », puis ses pas imitèrent ceux du jeune homme devant elle.

Une fois arrivés devant la porte, un homme ouvrit. Pour le coup, la petite Hosokawa n'était pas très rassurée en voyant cette personne négligée à l'air renfrogné et peut-être même un peu sévère. Gen entra, et la donzelle resta tout d'abord au pas de la porte, un peu intimidée. Elle ne savait pas où ils étaient, et quel lien entretenait l'inconnu et son compagnon. Elle attendit alors un signe, et finalement retira à son tour ses chaussures avant de rejoindre les deux compères dans le salon. Quelque peu cachée derrière Gen, la miss les écoutait parler sans broncher. Elle appris que le dénommé Yami avait des filles qu'il devait emmener chez leur mère, ce qui la rassura un peu. Dans le fond, ça voulait dire qu'il avait quand même l'air gentil. Kuro ne semblait pas s'en méfier plus que ça, il restait caché bien au chaud dans sa sacoche entre-ouverte, attendant un signe pour pouvoir sortir. Signe qu'Iku lui donna une fois que le père de famille fut parti de son appartement.

Kuro une fois au sol, la miss l'essuya avec une petite serviette qu'elle gardait toujours dans son sac pour lui nettoyer ses pattounes. Gen lui retira alors sa veste, les iris marrons de la demoiselle se posant sur les siennes. Elle rit d'abord doucement lorsqu'il parla des bières que son ami avait dans son frigo,  puis s'inclina à la fin du « monologue » du jeune homme, plus que reconnaissante de tout ce qu'il lui proposait.

« Merci beaucoup beaucoup beaucoup ! Je... je pourrais avoir un chocolat chaud, vraiment ? J'aimerais beaucoup, c'est tellement gentil ! Elle frotta légèrement son petit nez du dos de son index après s'être relevée.[/color] Ahah oui je veux bien un mouchoir, merci. »

Oui, ça devait lui faire bizarre qu'il n'y ait plus un seul « Iku » dans les phrases de la jeune fille. Ou peut-être ne s'en était-il pas rendu compte. Ca lui arrivait parfois, de parler « normalement ». Mais bien évidemment c'était rare. Elle attrape alors le mouchoir qu'il lui tend et se rend à la chambre qu'il lui a indiqué pour se changer. Tout en essayant de tâcher le sol le moins possible, la donzelle emprunta un jean et un sweat à une demoiselle, style de vêtements qu'elle ne mettait jamais, mais pour le coup, elle était vraiment frigorifiée et n'avait aucune envie de remettre une robe pour le moment. En se regardant dans le miroir, elle se dit néanmoins que ça ne lui allait pas trop mal. Elle ne s'était pas priée d'emprunter aussi des chaussettes, ses collants ayant été trempés eux aussi par la pluie. Quand elle reprit sa robe en main pour aller les poser sur le radiateur, elle soupira en frôlant sa manche solide. En fait Iku aurait presque pu la jeter à cause de cela, mais elle avait tout de même une valeur sentimentale cette robe : sa mère la lui avait offerte avant qu'elle n'aille chez sa tante.

Pour en revenir à Gen, lorsqu'elle le rejoignit à la cuisine, celui-ci semblait terrorisé par Kuro qui était dans la même pièce que lui, et semblait donc l'apprécier au point de le suivre. Il fallait croire que l'amour n'était vraiment pas réciproque. Iku le prit donc dans ses bras bien que ses poils soient encore humides, et s'assit sur une chaise avant de le poser sur ses genoux. Il ronronna à ses caresses, avant de s'allonger sur elle lorsqu'elle s'arrêta pour prendre en main la tasse chaude qui lui réchauffait ses petits doigts frigorifiés. Un large sourire aux lèvres elle souffla sur la boisson chocolatée, humant sa douce odeur avant d'en boire une gorgée.

« Hmm... J'ai l'impression que ça fait une éternité que j'en ai pas bu ! »

Ses pupilles se relevèrent vers le jeune homme qu'elle scruta avec attention. Sa main gauche reprit ses caresses sur Kuro, son oreille tremblant subitement avant que les ronronnements ne reprennent. La tasse posée sur la table, Iku pencha la tête avant de la soutenir avec son poing, son coude posé à côté de la boisson.

«  Dis Gen, enfin... Je peux t'appeler comme ça, hm ? Tu vois souvent des fantômes alors ? Mais tu vis tout seul ? Tu dois tout le temps avoir super peur... Mais tu sais je suis sûre qu'il y a pleins de fantômes gentils. D'ailleurs si un jour tu vois mon papa, tu me le dis hein ? Ahah... »

Un petit rire nerveux termina sa phrase, le ton de sa voix ayant baissé à ce moment là. Le regard perdu dans le vide, elle soupira en pensant à son père, puis à sa mère. Ils lui manquaient déjà tous les deux. Enfin déjà... Voilà quoi ? Un peu plus d'un mois peut-être, qu'elle était seule et dormait dans des auberges ou des hôtels miteux, et qu'elle vagabondait avec Kuro dans Tokyo à la recherche de ses parents qui étaient on ne sait où. C'était sans aucun doute peine perdue mais elle ne savait pas vraiment où aller à vrai dire. Les larmes lui montèrent aux yeux, mais elle les ravala rapidement, ayant horreur de pleurer devant les autres. Elle préférait montrer sa joie de vivre à sa sensibilité. Elle voulut alors changer rapidement de sujet : quelle idée d'avoir dit une chose pareil après tout ? Affichant alors un léger sourire, elle le questionna une nouvelle fois.

« Tu le connais depuis longtemps Ya... Yal...Yan... Yami ? Oui c'est ça Yami ! Il fait un peu peur ce monsieur, mais il a pas l'air méchant, c'est un ami à toi ? Aaah eh mais en fait tu me dois une nouvelle robe parce qu'elle a une manche toute solide à cause de toi, et un sac parce que t'as vomis dedans ! … Elle toussota et termina à voix basse, avant de rire. Comment ça c'était pas le sac de Iku? »

Tout en discutant avec lui, elle finissait peu à peu le succulent chocolat chaud que Gen lui avait préparé.

Être dans une maison chaude et confortable, être avec Gen et discuter avec lui de tout et de rien, c'était vraiment plaisant. Peu importe que le sujet soit triste, actuellement, Iku se sentait moins seule, et cette compagnie lui faisait un bien fou. Ce simple chocolat chaud avait rendue sa journée plus belle encore, bien plus belle que si finalement elle avait été à la bibliothèque avec Kuro. La demoiselle écoutait la voix du jeune homme avec sérénité, riant lorsqu'il accusa son don et non pas sa propre personne du changement de matière de sa robe. Elle haussa les épaules comme pour dire « J'aurai essayé ! » et cligna des yeux lorsqu'elle reçut une petite pichenette sur le nez, un petit « Eh ! » sortant d'entre ses lèvres. Ce moment de complicité était un moment simple, et pourtant un moment tellement joyeux. Cependant Iku se rendit compte qu'après cette taquinerie, Gen semblait à son tour pensif. Elle ne craignait pas qu'il lui pose des tas de questions sur elle, sur ses parents : après tout elle avait un peu engagé le sujet.

Ses paroles flottaient dans l'air, l'ambiance devenant un peu plus lourde. Le cœur de la miss se serra soudainement lorsqu'il évoqua sa "tante". La jeune Hosokawa ne savait pas vraiment haïr les gens, mais pour le coup elle, elle la détestait quand même pas mal... Elle fut cela dit touchée par la dernière phrase de Gen, du fait qu'il s'inquiète pour elle. Ainsi, la demoiselle prit une grande inspiration à la fin de ce monologue, et s'exprima à son tour, souhaitant répondre à toutes les questions qui lui avaient été posées.

« Euhm... C'est assez compliqué. Je sais pas par où commencer ! Elle rit doucement avant d'être un peu plus sérieuse à son tour. En fait, depuis l'explosion de la centrale, mon père est porté disparu. Il travaillait dans une entreprise juste à côté. On a jamais été informé de plus avec ma mère, et elle devenait folle de rester à la maison à rien faire, alors elle est partie le chercher. Elle voulait pas que je vienne avec, et disait qu'il est peut-être comme moi, et vivant. Mais Iku pense pas pareil... Enfin je pensais pareil au début, mais pourquoi il serait pas rentré s'il était en vie, hm ? Son regard se perdit dans le vide, et ses doigts se resserrèrent autour de la tasse. Elle soupira. Birei, c'est la sœur de ma mère. Iku pensait qu'elle était gentille, mais elle ramenait des hommes à la maison quand son mari était pas là pour arrondir ses fins de mois et m'enfermait dans une pièce pour être tranquille. Maman pensait vraiment pas que sa sœur était devenue comme ça. Ses pupilles se dirigèrent vers Gen et elle sourit en haussant une nouvelle fois les épaules. Mais j'ai réussi à partir, et j'ai laissé une lettre à son mari, ahah ! Je sais c'est pas gentil. Mais Iku est gentille d'habitude hein ! Elle avait juste pas à être méchante avec moi... »

Elle but une dernière gorgée de chocolat, et reposa la tasse vide, laissant un temps mort de quelques minutes, comme pour se reprendre avant de continuer sur le second sujet, se raccordant à l'autre puisqu'il s'agissait de savoir ce qu'elle allait faire à présent. Très bonne question, à laquelle Iku ne savait pas réellement répondre finalement...

« Et bieeen... Je ne sais pas vraiment où elle va aller, c'est sûr que toute seule c'est un peu compli... Eh  Kuro ! »

Kuro semblait être un chat vraiment très intelligent, parfois cela étonnait même la miss. A l'instant où elle venait de dire qu'elle était seule, celui-ci avait levé ses deux oreilles aux aguets et sauté sur la table, s'asseyant devant elle comme pour lui dire « Eh oh je suis là moi. » Iku se mit à rire à la suite de ce petit caprice que lui avait fait son animal de compagnie et se reprit en le descendant de la table pour le poser au sol.

« Oui enfin pas seule, avec Kuro ! Et je t'ai déjà dit de ne pas monter sur la table chez d'autres personnes vilain Neko !, ajouta-t-elle sur un ton plaisantin, son index remuant d'avant en arrière devant son chat pendant qu'elle lui faisait la morale. Mais bon, je me débrouille, je suis grande ! »

La jeune femme observait à nouveau Gen de ses deux iris marrons, avant de se lever, et d'apporter la tasser à l'évier. Elle tendit la main vers le verre du jeune homme et lui demanda s'il voulait bien le lui passer pour qu'elle puisse le laver. Après tout, déjà qu'il l'invitait ici, chez un ami, un parfait inconnu pour Iku, elle pouvait bien faire cette micro vaisselle. Cela dit à ce moment là son ventre se mit à gargouiller très bruyamment, et la miss plaqua son bras contre son estomac pour essayer de calmer ces hurlements, gênée. Elle ne voulait pas une trop grande charité de la part d'un homme qui ne la connaissait qu'à peine, et qui avait déjà tant fait pour elle en cette journée qui semblait commencer vraiment tristement. Souriante comme toujours, elle lui demanda alors en se retournant.

« Euhm... On reste longtemps ici ? Je veux pas déranger, mais si tu veux, je peux faire un petit plat pour quand Yami reviendra pour le remercier ? J'adore cuisiner ! Enfin peut-être que ça le dérangerait en fait... Awh Iku est bête ! Ou Iku peut tout simplement euh... rentrer. Euh ok je m'en vais, je... Aeuhm, c'est rien si le ventre d'Iku gargouille, c'est juste une petite faim de rien du tout t'inquiètes paas ! Et puis Iku peut euh... Beuh je dis de nouveau pleins de "Iku" mais Iku est gênée à l'instant... AAH mais pourquoi je te dis ça ? »

Ses deux mains se posèrent sur ses yeux, cachant au maximum son visage devenu rosé. Quels numéros ils faisaient ces deux-là. Iku et Kuro, j'entends. Enfin bon, Gen n'était pas mal dans son genre non plus, quand on y pense. Elle se retourna, et prit une éponge et du produit vaisselle pour nettoyer cette petite vaisselle qu'ils avaient utilisés, évitant de croiser le regard de celui qui l'accompagnait aujourd'hui. C'était moins gênant de ne pas être en face à face à vrai dire.

La demoiselle souffla pour essayer de se reprendre, et remarqua que Kuro s'amusait à faire le tour de la pièce, se rapprochant « dangereusement » du jeune homme afin probablement de se frotter contre sa jambe en ronronnant. Iku se mordit alors doucement la lèvre inférieure, espérant que son chaton n'allait pas vraiment se frotter à lui, et que Gen n'allait pas lui donner un coup ou que sais-je encore sur le coup de la panique. Elle posa les deux contenants sur le côté de l'évier ne sachant pas où ceux-ci se rangeaient, avant d'ordonner à voix basse à Kuro de venir chez elle. Chose qu'il ne fit évidemment pas, une vraie tête de mule. La tête de l'animal se frotta alors doucement aux chevilles de Gen. La petite nippone se précipita alors pour le récupérer et le prendre dans ses bras, à nouveau nez à nez avec le jeune homme, toujours aussi intimidée.

« Ah, désolée ! »