──La rage au ventre, les mâchoires crispées et les joues enflées, c'est dans un douloureux gémissement claquant contre les murs que ton genou craque contre le sol. Un bref mais sec courant électrique parcourt tes membres alors que tu peinais lourdement à reprendre ton souffle. Un ricanement flou résonne dans tes oreilles sans que tu ne parviennes à en trouver la provenance. Des silhouettes embrumées dansaient autour de toi, riaient de ton misérable sort. Peut-être étaient-ils trois ? Peut-être le double ? De ta faible vue ou même de ta piètre ouïe, tu n'arrivais à distinguer que des ombres sans doute satisfaites de ta position.

─C'était forcé, Tiamat arriverait, il arrivait toujours à ces moments-là. Alors pourquoi restais-tu seule face à ces minables rieurs ? Intérieurement, tu priais. De toutes tes forces, tu priais pour qu'il arrive, tel le chevalier qu'il devait être. La douleur avait arraché ton bon sens, brisé ton éclat et détruit la beauté de tes traits. Tout ce qu'il te restait, c'était ta piètre prière, envoyée au ciel comme un dernier cri.

─C'était ça, la vraie toi. Ce chiffon piétiné par la peur, démonté par la colère et maintenu en vie par la douleur.

─Une dernier fois tu sens un pied se nicher entre tes côtes et les observes s'éloigner. Un hurlement de désespoir étouffe ta gorge de sang lorsque, enfin, ils ont disparu. Tu avais retenu leur visage. A ces fils de pute qui, sans broncher une fois, t'avait laissée abattue au sol.

─Il aurait du être là, à te tendre les bras, à te murmurer au creux de l'oreille qu'il ne t'arriverait rien tant qu'il serait avec toi. Mais il n'était pas là.

─Tu rouvres sèchement les paupières alors qu'une douce chaleur maintenant ton corps dans un confort inespéré. Lorsque tu lèves les yeux, tu la vois, de toute sa triste beauté alors que tout ton être s'était lové contre le sien. Tu sentais sa frayeur, sa tristesse, son horreur et ses pleurs autant que son bonheur. Très certainement heureuse de sentir ton souffle effleurer le bout de ses lèvres.

─Tu avais espéré un sauveur et le ciel avait choisi ta si jolie sœur.
─Dans un maigre tremblement, tu poses ta main contre son bras, alors que ta voix brisée la suppliait d'un faible murmure. Appelle-le. Pitié, Appelle-le..

─ ..ça sonne.

──Une tignasse blonde, tu l'aperçois sans détails, l'observes sans présence. Tu restes immobile alors que ton corps battu restait faible, à l'abri dans les bras de ta sœur. Un faible sourire se marque sur ton visage alors que tu ne comprenais même pas ce qu'il disait. Sans doute n'avais-tu jamais compris, finalement. Tu fermes les paupières et te perds dans ce qui aurait du demeurer éternel. Sauf que la douleur t'avait sortie de tes rêves près de trente secondes plus tard. Tu écoutes le vent siffler dans le creux de tes oreilles et ne voit rien d'autre que des silhouettes floues. Sauf que tu savais que c'était lui. Parce qu'il était obligé d'être là. Puisque tu l'avais demandé. Ton sourire se brise lorsque ta sœur te soulève, laissant place à une grimace représentant non pas ta douleur mais ton manque d'envie d'embarquer dans un hélicoptère. Déjà parce que tu n'aimais pas qu'il exhibe sa fortune -même si tu la considérais également par la tienne- et ensuite parce que tu avais horreur des hauteurs. Le ciel te faisait peur de par sa grandeur et sa beauté et te retrouver sans les pieds sur terre te faisait tourner la tête.

─Mais si tu avais essayé de débattre, cela avait été en vain, car te voilà dans l'hélicoptère, à t'accrocher de tout ce qu'il te restait de forces au bras de ta sœur qui te regardait d'un œil méchant. Elle se retourne vers Tiamat, pinçant des lèvres et lui laisse un sourire hypocrite. Elle jouait de ses formes et se mettait en avant à ses yeux, cherchait à avoir l'air toujours plus belle.. Parce qu'elle n'avait pas le droit de laisser cet argent filer dans un hélicoptère. Il lui fallait. Et la pauvre ne savait pas que sa sœur, blanche comme un cul et peut-être sur le point de vomir, était déjà sur le coup.

─ .. Un hélicoptère, une tignasse blonde, des yeux rouges et un joli minois.. Qui êtes-vous donc ? Comment se fait-il que mon déchet de sœur vous ait dans son répertoire ?

─Tu ne relèves même pas la remarque, peut-être un peu trop faible que pour lui écraser sa fierté.
─Tu relèves les yeux vers Tiamat. Il n'avait pas le droit de dire qu'il était son mari, si ? Ou au moins pas le droit de faire ce que tu aurais voulu faire par toi-même: écraser ta douce jumelle -qui ne te ressemblait même pas. Tu te mords la langue et serres un peu plus le bras de ta sœur en sentant ta gorge brûler. Tu ne vomirais pas. parce que te retenir, tu en avais encore la force - ou du moins tu l'espérais.

─ Lâche mon bras, tu me fais mal.

──... Pardon ? Tu lâches le bras de ta sœur, grimace en écoutant les paroles de Tiamat. Sans aucune délicatesse, tu extirpes ta main de son emprise alors que ton regard tout entier semblait lui communiquer toute ta haine. Tu te mords la langue, restes silencieuse, alors que tu te crispais. Tes yeux les évitent, lui et ta sœur.  
─Connard. Finalement tu aurais peut-être préféré utiliser ton sifflet pour appeler Kamui.. il t'aurait sûrement insultée, lui aussi, mais au moins tu aurais trouvé ça un poil amusant.

─Si déjà de base ta susceptibilité te faisait défaut, qu'il prouve à ta sœur à quel point elle était importante et supérieure te déchirait un cœur que tu pensais ne pas avoir. Tu grimaces vaguement alors que la pouffiasse à côté semble s'émerveiller du vocabulaire de ce qui était censé être ton mari. Tu retires ton alliance, vérifie que madame ne puisse pas la voir et la garde dans ta main droite, fermée avec le peu de forces qu'il te restait. D'un côté, ta faiblesse te permettait de ne pas t'arracher la peau avec les ongles, à force de serrer des poings..

─ Actuellement, vous refuseriez ce que je veux.
─ T'inquiète, je suis sûre qu'il sera ravi de te rejoindre sous les draps.

─.. Tu avais presque laissé échapper tes mots. Ta voix restait calme et odieuse, comme d'habitude, comme tu l'avais toujours fait. Pas parce que tu étais indifférente mais parce que tu étais fière et -aux premières nouvelles- possessive.
─Parce que plus que le fait qu'il joue avec ta sœur, tu le détestais de la mettre sur un piédestal. C'était le coup à bouffer le reste de pâté pour chien plein de bave quand tu seras rentrée à la maison parce que "oups j'avais oublié que tu mangeais avec moi du coup il y aura pas assez pour nous deux".

─  Veuillez l'excuser, monsieur. Les coups qu'elle a reçu ont du agiter ses hormones, je suppose.

─Tu hausses un sourcil. Depuis quand est-ce que se faire taper agite les hormones ? Tu avais presque envie de rire. Mais tu étais censée être fâchée alors tu ne le ferais pas. Ou alors un petit peu. Puisqu'il y avait quand-même une esquisse de sourire dessinée sur tes lèvres.
─L'hélicoptère se pose et tu es tout de suite emmenée jusqu'à la clinique. Tu laisses ton alliance tomber, sans vraiment le vouloir, en vérité, et supposes que Tiamat et ta sœur auront bien le temps de s'envoyer de leur amour hypocrite une fois en salle d'attente. Tu en serres déjà les dents.

─Assise sur une chaise, les jambes croisées, la jeune femme soupire au moins trois fois chaque minute, et regarde l'heure sur sa montre avant même que les aiguilles ait bougées. Décidément trop peu heureuse de devoir attendre sa sœur sous prétexte qu'elle n'était pas assez forte pour se défendre toute seule.

─ Qu'est-ce qui vous a fait vous endetter de ma sœur ? Je veux dire.. Elle doit être capable d'éplucher des pommes de terre et encore ce n'est pas sûr alors qu'elle ait accomplit l'exploit de rendre service, ça semble miraculeux..

──La demoiselle sourit, de ses dents parfaites et ses lèvres bien roses, de sa peau pure et ses yeux pétillants d'une lueur de vitalité trop parfaite. Elle croise les mains sur son genou plié sur l'autre, relève le menton lorsqu'on lui parle et passe sa main dans ses doux cheveux soyeux pour les remettre dans son dos, parfaitement en cascade. De toutes évidences, elle était tout ce que tu n'étais pas; polie, charmante, enthousiaste, dynamique, vive, souriante, charmeuse, des tas de jolis mots pour décrire une personne qui se veut parfaite. Des tas de mots pour décrire l'ennui qu'elle inspire. Des tas de mots pour décrire ton dégoût envers la perfection.  
─D'un côté, tu t'en voulais. En voulant cacher l'alliance, tu l'avais laissée tomber et même lorsque les médecins s'occupaient de toi et te provoquaient parfois de vives douleurs, tu ne pensais qu'à ça. Retrouver ce maudit anneau, tombé de tes mains. Pendant que ta semblable semblait rire de toi, tu te faisais un sang d'encre pour un bien matériel. Ça ne te ressemblait pas.

─Le sourire de ta sœur se fanait, petit à petit que les mots effleuraient les lèvres de ton amant, chaque fois que l'un d'eux faisait son chemin jusqu'à son cerveau. Tu aurais tellement aimé voir ça.
─Elle fait mine de ne pas comprendre. Après tout, quoi de plus idiot que de penser que sa ratée de sœur pouvait être aimée des Dieux ? Une gamine insolente, insouciante et idiote, vouée à l'échec pour le restant de sa vie, qui largue tout autour d'elle alors qu'elle avait un bel avenir tout tracé devant ses pieds, cette gamine-là ne pouvait avoir aucune valeur aux yeux des Dieux, encore moins d'un homme aussi riche que celui-là, à côté d'une femme d'un niveau social aussi supérieur que l'était celui de ta sœur.

─ ... Les Dieux, hm ?

─Un soupire lui échappe, alors que tu ne fais aucun bruits dans la salle à côté. Tu aurais aimé hurler de toutes tes forces, pour inquiéter Tiamat et le faire accourir, le faire quitter la salle d'attente et surtout la compagnie de ta charmante jumelle. Pourtant, tu restais calme, le regard dans le vide, les yeux perdus au plafond.

─Un raclement de gorge alors qu'elle semble réfléchir à ce qu'elle pourrait bien demander, c'est avec un sourire radieux que la demoiselle commence à fixer ton mari, dans l'espoir peut-être de faire bonne pêche cette fois.

─  Peut-être m'accorderiez-vous le plaisir de visiter votre chez-vous ?

─Quelques minutes plus tard, le voyant lumineux au-dessus de la porte s'éteint et un médecin en sort, indiquant que tout allait bien, pas d’hémorragie ni de côtés fêlées, juste des bleus partout et le traumatisme d'avoir été tabassée. C'était déjà pas mal, ceci dit.

─Assise sur une table, tu sembles vouloir descendre. Un médecin t'y aide, alors que tu tiens presque par miracle sur tes jambes tremblantes. Le médecin ravale sa salive en te regardant dans les yeux. Tu serres les dents, il te raccompagne jusqu'à la salle d'attente. Le jeune homme semble embêté. Après tout, tu étais sensée te reposer, pas commencer à te déplacer. Sauf qu'il n'avait rien à dire face à tes caprices alors forcément, il t'avait conduite jusqu'à ton époux.

─ Je veux rentrer. Maintenant. Ou au moins après être retournée à l'entrée. J'y ai fait tomber quelque chose d'important.

─Ta sœur ricane, incapable d'imaginer ce qu'un bien matériel pouvait avoir d'important à tes yeux. Elle ne se rendait même pas compte à quel point elle s'enfonçait.

──L'anneau valse entre tes doigts, file contre la paume de ta main qui se referme contre le bijou. Une décoration, un accessoire futile, une bête preuve de ce en quoi tu espérais croire. Tes yeux le détaillent, l'observe sans complexe ou jugement. Tu t'arrêtes sur ses doigts. Elle n'y était pas.
─Tout ça, qu'est-ce que ça avait été ? Un rêve ? Le rêve d'être aimée, pour de vrai ? Ton imagination, juste une preuve de plus pour te rappeler que tout ça était irréel. Kei, ta sœur, avait toujours tout eu pour elle. La beauté, une dentition parfaite, des yeux adorables, un sourire à tomber, la volonté, le courage, la gentillesse, la douceur, même l'argent, elle l'avait. Comment avais-tu espéré pouvoir lui être supérieure ? Comment avais-tu pu imaginer un seul instant que tu avais la moindre valeur, à côté d'elle ?

─Ses ricanements te ramènent à la réalité. Un rire dégueulasse qui lui troue la gorge et te fait plisser le nez. Tu te corriges vite, pourtant, et laisse se dessiner sur ton visage un sourire. Un large sourire chargé d'ironie. Tes yeux fuient le regard de Tiamat comme de Kei. Tu te pinces les lèvres. Les Dieux ne s'étaient pas épris de toi. Ils t'avaient prise en pitié lorsque tu agonisais au fond de ta ruelle froide et humide, lorsqu'ils ont entendu ton dernier gémissement douloureux. Ils t'ont offert le luxe de pouvoir te bercer d'illusions et de bercer le monde avec toi. De tes yeux.

─Tu restes muette lorsque ta sœur semble jubiler, ne portant pas vraiment attention au numéro auquel elle assistait. Une seule raison pouvait rendre ta sœur joyeuse. Elle avait trouvé la perle rare pendant que toi, elle te filait entre les doigts. Tu n'aurais jamais du lui demander de l'appeler lui. Koyomi t'aurait emmené dans un hôpital où ça aurait pris bien plus de temps de te soigner, mais au moins il aurait pu s'éprendre de ta sœur que ça t'aurait été égal.

─ hm ? Je ne l'ai pas perdu, puisque je savais où il était..

─Ta voix brise ton mutisme. Tu semblais plus grogner que parler à proprement dit. Encore une fois, Kei ricanait, d'un rire mauvais et détestable que tu n'en pouvais plus de supporter. Tu te mords la lèvre inférieure mais maintiens ton sourire. Tu détestais ça. De sourire sous prétexte qu'il fallait faire bonne figure. En fait tu détestais faire bonne figure tout court. Tu détestais beaucoup de chose. Va savoir ce que tu aimais. A part lui. Merde.

─Tu te grattes la joue du bout des ongles et déambules quelques mètres avant de faire un vague mouvement de main en direction de ta sœur, comme pour lui dire de te laisser tranquille.

─  Amusez-vous bien.