Roppongi. Un quartier de débauche, d'après les rumeurs. Ton esprit contradictoire t'a poussée à vouloir le visiter - dès l'instant où l'on t'a dit que c'était dangereux, tu as décidé d'en faire l'expérience. Après tout, tu n'es pas aussi faible que le laisse penser ton physique chétif. Et pas seule, malgré l'invisibilité de tes compagnons préférés. Chaque personne que tu croises avait une vision différente de ton caractère, probablement à cause de tes troubles mentaux.

Souriant niaisement en gambadant dans les rues, tu jettes rapidement un coup d'oeil à la montre à gousset que tu avais discrètement subtilisé chez Anasthasia. Il est tard - à en juger par la nuit tombée, en réalité tu ne sais pas lire l'heure. Riant de ta propre inconscience, tu poursuis ta route en prenant des ruelles de plus en plus étroites, de plus en plus sombres. Tu es plus à l'aise dans ce type d'endroit que dans les grands espaces bondés de gens. Ici, pas un chat ne traîne avec assurance, pas un enfant ne court sur les graviers, abîmant inutilement les chaussures achetées par Maman et Papa.

Non, dans ce genre de lieu, on n'entend que les gémissements des volets sous le vent, que les grognements des chiens enragés mais discrets. Cette ville est si fascinante, comme si plusieurs environnement la composait. En un sens, c'est inquiétant - après tout, s'il y a un réel combat dangereux, qui interviendra, mis à part les différents partis ? probablement personne, par peur du danger. Toi, tu te jettes sans soucis dans les conflits et prendras toujours le parti qui te plaît le plus, que cela plaise ou non.

Poussant un soupir, tu finis par t'engouffrer dans une rue légèrement plus large, où des présences t'attirent comme une mouche. Observant les différents individus, tu les classes dans plusieurs catégorie, comme d'habitude : l'alcoolique célibataire qui se sent plus puissant une fois quelques verres avalés ; le profiteur qui s'incruste chez les plus aisés pour taxer de la bonne nourriture et de la bonne boisson ; et quelques lambda, ces inconnus dont le nom nous échappe même lorsque eux nous connaissent, ces personnes qu'on utilise lorsque l'on se sent trop seuls. Des prostituées toutes à fait ordinaire.

Ta première intention est donc de rebrousser chemin et de trouver une compagnie légèrement plus raffinée, mais l'un d'eux se tourne vers toi, sourire lubrique au bout des lèvres. Aussitôt, tous ses larbins te fixent, jusqu'à ce que l'un d'eux te fasse signe de les rejoindre. Tes yeux se posent sur Molly et Jasper. Tu es en sécurité, avec eux à tes côtés. Ne parle pas aux inconnus. Ces ordres qu'on te donne t'énervent. C'est aussi une des raisons pour laquelle tu te mets à avancer et à te pencher légèrement devant ceux qui partageront une partie de ta soirée.

Ils parlent mais tu n'écoutes pas, te contentant de hocher la tête en prenant le verre que l'on te tend. Tu n'en boiras que si tu y es obligée, mais cette attitude t'amuse - on dirait une vraie femme de télé. Ils t'emmènent vers le quartier vivant, quelques dizaines de personnes se dandinant pour rendre l'endroit plus vif encore.

Une soirée qui s'annonce intéressante, il semblerait. J'espère que personne ne m'emmerdera.

Il semble que l'organisme des cochons que tu côtoies présentement soit trop imprégné par l'alcool pour leur permettre une irrigation sanguine suffisante dans le cerveau. Pour faire simple, tu as l'impression d'observer un petit groupe de porcs, rotant et grognant à tout va. Cette sensation de supériorité intellectuelle te plaît beaucoup, toi qui n'as que très rarement pu te sentir lumineuse ou tout bêtement intelligente.

Cependant, un grondement surpris et agacé de Molly détourne un instant ton attention de tes compagnons alcoolisés, pour que ton regard se pose... Sur la seule personne au monde que tu n'aurais en aucun cas voulu voir ici. Tes yeux se plissent de déception, tu es certaine qu'avec l'arrivée de Rin tes petits plaisirs devront rapidement se terminer. Cherchant déjà un moyen de t'éclipser, tu pousses un minuscule gémissement désespéré en comprenant qu'il ne venait que pour toi.

« Messieurs.  Bien évidemment, il s'approche de toi, te faisant comprendre que toute fuite serait inutile. Tu te mords la tête en fixant le sol, la sensation désagréable d'être une adolescente lambda en train de faire une connerie et prise sur le fait par son père t'obligeant à ne pas bouger d'un millimètre. Qu'est-ce que tu fais là, toi ? » Sa main prend place sur ta frêle carcasse, renforçant l'impression d'être prise au piège.

Les porcs qui t'amusaient quelques minutes auparavant regardent tous fixement le jeune homme, ce qui t'agace au plus haut point. Simplement sous prétexte que c'est un homme et qu'il est plus grand que toi, tout le monde doit le fixer et oublier ta présence ? Tu grognes sans chercher à être discrète et écartes de tes petits doigts le poids abattu sur ton épaule, préférant te concentrer sur ce problème que sur celui des benêts désorientés.

« Et toi qu'est-ce que tu fous là ? Quand est-ce que j'ai demandé d'avoir un chaperon ? Jamais, donc tu peux t'en aller, j'ai pas besoin de ton aide! » Tu gonfles les joues et prend tout simplement place derrière ton divertissement de la soirée. Dans toute ta maturité, tu te risques même à lui tirer la langue et à te retourner, bras croisés d'un air dédaigneux. Molly pouffe, ce que tu es la seule à entendre.

Le retournement de situation est cependant si rapide que même tes fantômes n'ont pas le temps de te protéger. L'un des hommes t'attrape par le bras et commence à te tirer violemment sur son chemin, tordant ledit membre sans s'en soucier. Tu lâches un cri de douleur mais ne te laisses pas faire pour autant, entre perdre un bras et te faire emmener contre ton gré par des individus de sexe masculin au cerveau embrouillé par le degré d'alcool dans leur sang... Le choix est vite fait. Tu plantes tes talons dans le sol et ordonne mentalement à Molly de plier dans le mauvais sens le genou de ton ravisseur, sans pour autant le briser.

Profitant de son meuglement et de sa souffrance pour t'extirper de son étreinte, tu cours.. En direction de Rin, la panique te poussant à chercher un pilier protecteur – et peu importe de qui il s'agit. Attrapant comme une enfant son haut pour te cacher derrière lui, tu te permets enfin de relâcher ton souffle retenu tout le temps de la manœuvre. Evidemment, monsieur je-choppe-les-demoiselles-sans-leur-demander-leur-avis n'apprécie pas les circonstances et se retourne brusquement, te fixant d'un air si lubrique et énervé que même toi tu en tremblerais presque. Serrant le tissu entre tes doigts, tu marmonnes difficilement. « Rend-toi utile et débarrasse-moi de ces cochons, ils m'ennuient. »

Pas de s'il te plaît, mais un ton proche de la supplication. Il est tard et tu n'auras pas la force nécessaire pour faire agir Molly très longtemps donc sans l'aide de ce pot de colle, il faudra prendre la fuite et prier pour un miracle. Argh, ils sont chiants les humains quand ils ont bu !

« Tu m'as pris pour ton garde du corps ou quoi ? Putain de merde. » Tu pouffes à son juron, comme une gamine. Tu sais que, malgré tout, il va t'aider. Parce que tu peux compter sur lui, au fond – ou parce qu'il sait qu'une Anasthasia qui a perdu sa Mado fera un véritable massacre. A la limite, tu aurais su te défendre s'il n'y en avait qu'un mais, évidemment, ils étaient plusieurs ; ce qui te donnait un handicap assez volumineux. Toujours bien cachée derrière lui, tu regardes brièvement les gorets alcoolisés, l'envie de leur adresser ton majeur dressé faisant frémir ta carcasse. Mais les énerver encore plus serait certainement une mauvaise idée.

« Ok les poivrots, on va passer un deal. Je vous évite un allé simple à l'hosto si vous partez sans faire d'histoire. » Est-ce qu'il a sérieusement l'espoir de les faire plier simplement avec une telle menace ? Tu n'en sais rien et tu t'en fiches. Jetant un regard à Molly, tu lui fais signe de venir et chuchotes au creux de son oreille. « Trouve quelque chose qui fait très mal et ramène des amis, j'ai pas envie que Rin soit blessé sinon c'est moi qui vais me faire engueuler. »

Elle s'enfuit à toute vitesse, alors que Jasper reste devant toi. Soupirant de lassitude, tu t'avances de quelques pas en lui tenant la main, attrapant d'un geste vif celle du mutant, histoire de prouver que même si t'es une grosse chieuse, tu vas pas le lâcher aussi facilement. Les porcs sont déjà prêts à avancer, même si l'un d'eux s'est effondré en vomissant le contenu de son estomac. Les effluves de sa bile s'infiltrent dans tes narines, te dégoûtant au plus haut point.

Naturellement, Molly ne mit pas longtemps à revenir, faisant flotter des armes de fortunes – plus précisément des pierres, des bâtons épais et quelques morceaux pointus de ferraille. Tu la félicites comme si tout le monde la voyait et te tournes légèrement vers l'autre. « Bon, t'es pas non plus tout seul, j't'explique vite fait ; en gros, y a des gens avec nous que tu vois pas et qui vont gentiment nous aider à faire plier ces trucs dégueulasses, tu fais un geste vague en direction de ce que tu n'arrives même pas à considérer comme une menace. Fais-moi confiance c'est à moi qu'ils obéissent.

Inutile de préciser quoi que ce soit de plus, tu lui fais un clin d'oeil et te places pour lancer ton premier projectile. Talons plantés dans le sol, silhouette légèrement recourbée et une pierre plus ou moins lourde dans la main gauche. Ton bras part en arrière, avant de se lancer brusquement en avant, ton arme ne partant pas aussi vite que tu l'aurais voulu. Elle percute l'épaule d'un des méchants, lui arrachant un grognement de douleur. Presque satisfaite, tu indiques à tes compagnons de lancer tout ce qu'ils trouvent sur ces cons, espérant qu'une petite peur les ferait partir.

Sans te préoccuper de Rin, tu joues avec les missiles, les lançant avec le plus de précision possible. C'est presque drôle de voir les humains ne rien comprendre, crier de souffrance à cause de quelque chose qu'ils n'arrivent pas à voir. Mais ce qui serait encore plus drôle, ce serait d'embêter ton propre « compagnon ». Un sourire au bout des lèvres, tu ordonnes d'un geste discret aux fantômes de le soulever, de l'élever de quelques centimètres.

C'est plus fort que toi, quand tu es de bonne humeur tu as envie de faire n'importe quoi – une vraie gamine, en somme. Tournoyant gaiement autour de tes visions, tu finis par oublier l'objectif premier, ignorant tout simplement les porcs qui hurlent. L'un d'eux finit même par partir en courant, ce qui t'amuses bien plus que leur trépas. Avoir des cadavres sur les bras, c'est pas marrant, alors que s'ils partent en beuglant que des fantômes les pourchassent... C'est hilarant !

Mais bon, cinq minutes suffisent pour te lasser. Tu claques des doigts pour qu'ils reposent Rin, et croises les bras d'un air arrogant. « Amuses-toi mais les tue pas, après faut nettoyer c'est chiant. » Décidément, aujourd'hui tu as décidé d'être la pire peste de l'univers.

« Il a déjà gerbé par terre de toute façon. » Tu grognes simplement, ennuyée par sa façon de faire. Tu n'es pas une brute, lorsque tu fais mal c'est avec la douceur d'une enfant ; la sympathie d'une amie, presque. La violence des hommes t'effraie, même si tu ne l'avoueras jamais. Le seul qui a toute ta confiance, c'est Akira. Rin, c'est juste le « papa » lourd – enfin c'est même pas ton père, même si au fond t'as tendance à le voir comme tel (chiant, adulte et qui se croit tout permis lorsque ça te concerne).

Il commence à frapper violemment l'humain, lui faisant recracher ses tripes, presque au sens littéral du terme. Tu ne regardes pas, tu t'assois par terre en prenant Molly par la main. « Toi bouges pas, je finis ici et je m'occupe de toi. » Tu éclates de rire en caressant les cheveux translucides de ton amie, le reste t'entourant dans une espèce de cocon protecteur. D'un geste vague tu leur indiques de ne pas trop te protéger, que l'individu qui frappe inlassablement une créature faiblarde et gémissante n'a rien de dangereux à tes yeux.

Tu n'as pas peur de Rin, tout ça grâce à cette arrogance – tu es juste certaine qu'il ne touchera pas un seul de tes cheveux parce qu'Anasthasia te protège, présente ou absente. Tu replies les jambes contre ta poitrine et commence à fredonner, ta petite voix s'élevant à travers les gémissements étouffés de la victime de Rin. « It's raining, it's pouring, the old man is snoring... »

Un petit sourire se taille sur tes lèvres ; on t'a dit que ce genre de chant faisait peur aux humains, alors tu la chantes tous les soirs, comme un espèce de rituel. Les films d'horreurs te font plus rire qu'autre chose, ils te donnent de nouvelles idées pour les soirées avec Shangri-La. Tu te relèves d'un coup et croises les bras, toisant l'autre d'un air totalement blasé.

« Tu t'occupes de moi, hein ? Et tu vas me faire quoi ? T'as rien le droit de me faire du mal parce que sinon Maman elle s'énerve! Tu pointes un doigt accusateur vers lui et sa barre en métal, absolument pas effrayée par ce qu'il vient de faire – c'est normal, après tout il voulait te protéger. Et puis d'abord si tu voulais vraiment être méchant tu m'aurais laissé avec ces porcs. Même si je me serais débrouillée toute seule. Et puis je suis fatiguée moi, j'ai pas envie de me prendre un sermon parce que j'aurais pas du sortir ce soir et nyanyanya je m'en FICHE! »

Tu t'énerves un peu à cause du manque de sommeil, mais au fond toutes ces paroles sont destinées à l'énerver encore plus. Ca t'amuse de le voir fâché – y a toujours quelque chose de drôle dans sa façon de faire. Des gros mots, des poings serrés ou encore d'autres trucs ; mais à chaque fois tu finis par exploser de rire et te moquer de lui.

Autant dans le groupe certains t'intimident, autant lui... Il t'agace juste, pour l'instant.